Home Accueil INDOCHINE – LITTÉRATURE : René Jouglet, l’homme des dessous de Saïgon (2)

INDOCHINE – LITTÉRATURE : René Jouglet, l’homme des dessous de Saïgon (2)

Journaliste : François Doré
La source : Gavroche
Date de publication : 06/09/2021
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Nouvel épisode du voyage à Saïgon, dans les années vingt, de notre chère Lucienne tout droit débarquée de Marseille. Nous sommes au temps des colonies. Celui que notre chroniqueur-libraire François Doré affectionne… Épisode 2/3

 

Une chronique littéraire de François Doré

 

Épisode 2 : Une piastre, c’est combien de francs déjà

 

— Mon gros, on ne peut pas dire que tu t’es ruiné. Mais enfin, on fait comme on peut et je n’ai pas l’habitude râler. Parlons de choses utiles. Ça me ferait plaisir tout de même de te revoir.
— Je ne repars que demain, dit Darand.
— Compris mon gros. Pour commencer, rendez-vous à sept heures à la terrasse du Continental… si toutefois je ne te compromets pas. Nous sommes d’accord ?
— Tu parles !

 

Le brouhaha habituel des escales

 

Le bateau accosta… Les passagers interpellaient les parents et les amis qui étaient venus les attendre. Le brouhaha habituel des escales régna sur ce coin de terre et d’eau. Puis le vide s’y fit, et presque le silence. La foule avait regagné la ville…

 

Avant sept heures, Darand vint s’asseoir à la terrasse du café, seul à la table où une demi-heure plus tard, Lucienne le rejoignit.

 

— Nous dînons tout de suite ? dit Darand.
C’est à la nuit et non au repas qu’il pensait. Il allait repartir pour la brousse et il lui tardait de finir en beauté ses dernières heures de vie parmi les civilisés. Il se souciait fort peu que ses compagnons de voyage, assis aux tables voisines, le regardaient du coin de l’œil, prêts à la moquerie. Ils l’enviaient au fond.
— Je ne suis pas si pressée, dit Lucienne.

 

Elle appela le garçon et la conversation languit. Un moment après, elle se leva et elle dit :
— Mon gros, attends-moi.
— Où vas-tu ? dit Darand.
— Tout juste là, comme t’as compris…

 

Il la vit qui se dirigeait vers les lavabos. Mais comme elle en sortait, elle rencontra le gros monsieur qui lui faisait de l’œil depuis dix minutes, derrière le dos du capitaine.
— Bonjour, dit-il, ça va ?
Elle répondit :
— Pas mal et vous ?
Il poursuivit :
— J’ai à cent mètres d’ici un petit pied à terre. On sort de ce côté-là. Personne ne peut nous voir.

 

Le meilleur des quatre.

 

— C’est bien combiné, dit-elle.
— On ne peut pas mieux, dit-il en riant.
— Et c’est combien ?
— Mes affaires vont à merveille dit le monsieur. On n’a jamais eu à se plaindre quand on s’en est remis à ma gentillesse.
— C’est que je suis attendue, dit Lucienne.
— Je sais. Mais un quart d’heure, ce n’est pas un siècle, et l’on peut vous attendre ce bout de temps là. Cependant, si nous faisons des discours…
— Eh bien, dit-elle, mon garçon, tu n’y vas pas par quatre chemins, toi.
— C’est par ici dit-il, le meilleur des quatre.

 

Elle revint au bout d’une demi-heure. Darand n’avait pas bougé, encore que son inquiétude devint réelle. Mais en présence de tous ces gens assis autour de lui, il ne pouvait que faire semblant d’être à l’aise.

 

— Tu y as mis le temps, dit-il. Si tu devais aller chez toi, tu aurais pu me prévenir.
— Je ne suis pas allée chez moi, dit-elle posément.

 

Le monsieur du lavabo vint à ce moment se rasseoir. Lucienne entr’ouvrit son sac et déplia discrètement le billet que cet homme satisfait y avait glissé. Elle faillit suffoquer. Puis elle reprit ses esprits et dit :
— Une piastre, c’est combien de francs déjà ?
— C’est vingt-trois francs.

 

Prochain épisode : Elle était un peu moqueuse

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