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INDONÉSIE – GÉOPOLITIQUE : Entre l’Indonésie et la Papouasie occidentale, l’engrenage colonisé-colonisateur

Journaliste : Jean-Luc Maurer
La source : The Convention
Date de publication : 09/08/2021
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Gavroche est aussi une plate forme d’informations destinée à recueillir les meilleures analyses sur l’Asie du Sud-Est. L’excellent site The Conversation, dont nous vous recommandons la lecture, vient de publier un texte de référence du professeur Jean Luc Maurer sur l’Indonésie. Nous en publions ici des extraits.

 

Jean-Luc Maurer est Professeur honoraire en études du développement, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève.

 

La mort dans une embuscade, le 25 avril dernier, d’un brigadier général indonésien en charge du renseignement militaire dans le cadre de la lutte contre le mouvement séparatiste de libération de la Papouasie occidentale constitue un pas de plus dans l’escalade de ce conflit lancinant qui empoisonne la vie du pays depuis l’indépendance proclamée par Sukarno en août 1945, après trois siècles et demi de colonisation néerlandaise.

 

C’est en effet le plus haut gradé indonésien à être tué en action sur le terrain dans cette région. Après les graves émeutes qui ont eu lieu en août et septembre 2019 dans les principales villes de ce territoire, cet événement confirme que la situation est plus critique que jamais et que la traditionnelle politique répressive employée par Jakarta pour juguler la rébellion ne parvient pas à régler le problème.

 

Seule une solution politique négociée serait à même de permettre à l’Indonésie de relever le défi de nature néocoloniale auquel elle est confrontée.

 

Quelques jalons historiques pour comprendre la situation

 

Au moment où l’Indonésie prit son indépendance, en 1945, la région nommée Nouvelle-Guinée néerlandaise était restée sous la férule des Pays-Bas. En 1962, Sukarno parvient à l’intégrer à son pays grâce à un accord signé avec l’ancienne puissance coloniale, sous l’égide de l’ONU. La province sera gérée par l’organisation internationale pendant une année avant de rentrer dans le giron de l’Indonésie en 1963, encore du temps de Sukarno (….)

 

Pendant le tiers de siècle où l’Indonésie va vivre sous la dictature militaire du général Suharto et de son « Ordre nouveau », qui prend le pouvoir en 1966 et le gardera jusqu’en 1998, les opérations militaires vont s’enchaîner en représailles aux quelques escarmouches épisodiques du mouvement séparatiste, et les exactions se multiplier à l’égard de la population civile mélanésienne de l’Irian Jaya. Les auteurs les plus fiables estiment qu’entre 100 et 300 000 personnes ont été tuées dans cette seule province par l’armée indonésienne pendant cette période, sans parler des viols fréquents et des spoliations en tout genre. Certains défenseurs des droits humains n’hésitent d’ailleurs pas à parler à cet égard de génocide.

 

Puis la crise financière asiatique partie de Thaïlande en 1997 s’étend à l’Indonésie et met son économie à bas, entraînant la fin de l’Ordre nouveau en mai 1998 et l’avènement d’une démocratie au début très agitée et fragile.

 

Deux entités sur une seule île

 

L’île de Nouvelle-Guinée est aujourd’hui divisée entre, d’une part, l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée (partie est) et, d’autre part, deux provinces de l’Indonésie : la Papouasie et la Papouasie occidentale. À partir de 2008, on assiste à un regain d’intensité des activités du mouvement séparatiste et à des représailles de l’armée nationale. La répression fait des centaines de nouvelles victimes. Des dizaines de soldats et policiers indonésiens y laissent aussi la vie et plus de 100 000 personnes sont déplacées à cause de l’intensification du conflit.

 

En 2014, les diverses factions du mouvement séparatiste se fédèrent avec la création de l’ULMWP (United Liberation Movement for West Papua) et l’on assiste à une radicalisation de leur action.

 

C’est pourtant l’année où Joko Widodo (dit Jokowi) est élu à la présidence de l’Indonésie en affirmant que l’une de ses priorités est de résoudre le conflit en Papouasie. Mais il ne pense qu’en termes de développement économique et social, et n’envisage guère la question sous l’angle politique ou en termes de revendication identitaire et de quête de respect.

 

Le conflit s’aggrave avec l’assassinat en décembre 2018 de 19 ouvriers indonésiens sur le chantier de la route trans-Papua, dont les indépendantistes ne veulent pas, nous y reviendrons. Après des insultes racistes proférées à l’encontre d’étudiants papous vivant à Java, la situation s’envenime et la violence explose en 2019 dans les deux provinces avec des émeutes qui ravagent les villes de Manokwari, Sorong et Jayapura au mois d’août et celle de Wamena fin septembre, où 33 immigrants indonésiens périssent dans leurs magasins en feu, entraînant l’évacuation de milliers d’entre eux.

 

Après une certaine accalmie en 2020, la situation recommence à se dégrader avec des attentats, enlèvements et assassinats ciblés du côté indépendantiste, y compris de certains de leurs congénères accusés de collaboration avec l’armée indonésienne, suivis d’une répression souvent aveugle de la part de cette dernière. La tension a culminé avec la mort du brigadier général évoquée en introduction. Cela amène le président Jokowi à décréter l’état d’urgence dans les deux provinces papoues, à y dépêcher des forces de police et des troupes armées supplémentaires pour lutter contre l’ULMWP, déclarée organisation terroriste, au même titre que les organisations islamistes radicales ayant perpétré les attentats meurtriers qui ont ensanglanté l’Indonésie depuis le début de la démocratie.

 

Les principales causes à l’origine du conflit

 

Bien qu’il soit toujours délicat de l’évoquer, la première est liée aux différences ethniques, culturelles et religieuses existant entre une population autochtone mélanésienne largement christianisée et le reste des peuples de l’archipel indonésien, qui sont principalement de souche malaise et adhèrent majoritairement à l’islam.

 

Certes, l’Indonésie se singularise par une extraordinaire diversité qui est magnifiée dans sa devise nationale « Unité dans la diversité » et dans les cinq principes de son idéologie nationale unanimiste du Pancasila, laquelle reconnaît une place légitime et égale à toutes les ethnies, les langues, les cultures et même les religions du pays.

 

Mais dans le cas d’espèce, les différences sont très profondes, résultant du fait que la Papouasie occidentale a eu une expérience historique peu comparable avec celle de la majorité des autres régions indonésiennes. Elle n’a en effet été touchée ni par l’indianisation ni par l’islamisation précoloniales ; quant à la colonisation occidentale qui prend pied à Java et aux Moluques dès le début du XVIIe siècle, elle ne l’affectera qu’à la toute fin du XIXe et seulement dans la première moitié du 20e pour ce qui concerne les vallées montagneuses de l’intérieur ou les zones marécageuses méridionales. (…)

 

La seule solution est politique

 

La seule solution est donc politique et passe par des négociations. À moins d’une évolution imprévisible de la situation, il est difficile d’imaginer qu’elles puissent porter sur l’organisation d’un référendum d’autodétermination, réclamé par les séparatistes papous, qui mènerait à une possible indépendance. Les Indonésiens ont été échaudés et traumatisés par le précédent de Timor oriental. L’indépendance de la Papouasie occidentale est inacceptable pour eux, la différence majeure entre les deux cas étant que cette dernière fait historiquement partie intégrante du territoire national et que sa séparation ouvrirait la boîte de Pandore en ravivant les velléités sécessionnistes d’autres provinces. Dans un archipel d’une grande diversité, dont l’unité est fragile, comme on l’a vu entre 1998 et 2004 dans la période de transition démocratique, un tel précédent serait un risque trop grand.

 

Cela dit, outre le fait que le résultat d’un tel référendum dépendrait évidemment de la constitution d’un corps électoral local dans lequel les Papous sont de plus en plus minorisés, il n’est pas certain que la majorité de ces derniers votent en faveur de l’indépendance. Eux-mêmes divisés, ils n’ont guère de raison d’être inspirés par le succès pour le moins mitigé en matière de développement économique et de libertés politiques de leurs voisins du « front mélanésien » comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu, les îles Salomon et les Fidji, où la situation n’est guère meilleure que chez eux, voire pire (…)

 

Il ne sera toutefois pas facile pour l’Indonésie de résoudre le véritable problème de nature néocoloniale auquel elle est confrontée en Papua occidentale et de repousser le spectre de son indépendance, elle qui a pourtant tellement lutté contre le colonialisme pour obtenir la sienne. C’est bien là le paradoxe cruel et ironique d’un pays anciennement colonisé devenu à son tour colonisateur…

 

L’intégralité de ce texte est à lire sur le site theconversation.com dont nous vous recommandons la lecture.

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