Nous republions ici le très intéressant article signalé dans sa dernière livraison par la lettre quotidienne des Français de l’étranger. N’hésitez pas à la consulter ici: Cet article, signé de l’analyste Valérie Moschetti, est particulièrement intéressant au regard de la situation de nombreux pays asiatiques où le vieillissement va s’accélérer dans les prochaines décennies. Derrière le cas du Japon ? Demain celui de la Thaïlande, de Singapour ou de Taïwan et de la Corée du sud. A lire pour mieux comprendre la région et son avenir. A lire aussi dans l’optique des prochains Jeux Olympiques de Tokyo en 2020.
Une enquête de Valérie Moschetti
2,4%, c’est le taux de chômage actuel au Japon !
Selon les statistiques du ministère du travail japonais, le rapport emplois/demandeurs d’emploi était de 1,63 en janvier 2019, c’est-à-dire que pour 100 travailleurs, 163 offres d’emploi étaient disponibles.
Dans le contexte européen, ce serait une bonne nouvelle, mais pour le Japon, la situation est sérieuse : le pays « manque de bras » et la question aujourd’hui est de savoir à quel rythme le Japon compte ouvrir ses frontières et comment il accueillera ces nouveaux arrivants.
Le Japon manque cruellement de bras
Le Japon compte 126 millions d’habitants.
L’espérance de vie y est parmi les plus élevées au monde : 87 ans pour les femmes, 81 ans pour les hommes.
En 2040, plus de 35 % des Japonais auront 65 ans et plus (28% aujourd’hui).
A l’opposé de la pyramide des âges, le taux de fertilité ne cesse de baisser pour atteindre actuellement 1,4 enfant par femme (le taux de remplacement étant de 2,1).
Ainsi, en 2018, le Japon a-t-il connu son déclin naturel le plus fort depuis la dernière guerre, avec environ 400 000 Japonais en moins.
Si cette tendance se poursuit, il ne comptera plus que 88 millions d’habitants en 2065.
Dans ce contexte de démographie négative et vieillissante, un nombre très important d’emplois reste à pourvoir, notamment dans les domaines de la construction, de la restauration et de l’hôtellerie, de la vente au détail ou encore des services à la personne.
Le Japon pourtant reste très fermé, les étrangers n’y trouvent que difficilement leur place.
Vers une politique d’immigration qui ne dit pas son nom
Cela s’explique par l’Histoire du pays : afin d’éliminer tout risque d’influences étrangères et religieuses perçues comme des menaces pour le pouvoir en place, le Japon s’est fermé au monde pendant plus de 200 ans (1633-1853) et a développé ainsi une forte homogénéité intérieure.
Les quelques étrangers qui commerçaient avec le pays, n’étaient autorisés à le faire que dans des zones bien déterminées tandis que les Japonais ne pouvaient quitter leur sol sans autorisation spéciale.
Cette mise à distance de l’« Étranger » qui a longtemps permis de limiter la perméabilité de la culture locale, existe encore dans ce pays insulaire.
Les gouvernements ont depuis toujours été réticents à pratiquer clairement une politique d’immigration et la situation peine à changer radicalement.
C’est ainsi que depuis 2012 et l’arrivée au pouvoir de l’actuel Premier ministre Abe, la préférence a été donnée à la robotisation d’une part, à la promotion du travail des femmes (« Womenomics ») et des personnes âgées d’autre part.
Ces politiques ont néanmoins des limites et le gouvernement s’est rendu à l’évidence : il faut, de manière plus ou moins directe, ouvrir les frontières.
C’est d’ailleurs ce qui avait été fait, fort timidement, dans les années 1980, quand les pouvoirs publics ont cherché à attirer les descendants de Japonais ayant émigré en Amérique du sud au début du 20e siècle.
En pleine crise économique chez eux, Brésiliens et Péruviens sont venus travailler dans les usines de l’archipel.
Ils ont bénéficié d’un visa spécial de « descendants de Japonais ».
Leur intégration, toutefois, ne s’est pas toujours bien passée et beaucoup ont finalement décidé de quitter le Japon.
Dans les années 1990, des travailleurs de pays asiatiques en voie de développement sont arrivés sur le territoire national pour des « stages techniques » de trois ans avec pour objectif de se former à la technologie et aux pratiques des entreprises japonaises.
Ces stages sont en fait de véritables emplois.
La durée du séjour a été portée à 5 ans et, malgré certains cas incontestables de violation du Code du Travail qui, entre 2010 et 2017, ont eu pour conséquence la mort de 174 personnes, on comptait 213 000 « stagiaires » en 2016.
Pour les étrangers hautement qualifiés, un visa spécifique obtenu en fonction d’un système à points a été introduit en 2012 pour attirer des scientifiques, des chercheurs, des ingénieurs et des hommes d’affaires.
La nouvelle « Loi sur le contrôle de l’immigration et la reconnaissance du statut de réfugié » révisée en décembre dernier, les autorise désormais à rester au Japon pour une durée illimitée avec leur famille.
Elle institue une autre catégorie de visas qui permettra d’accueillir, pour 5 ans, avec la possibilité d’une prolongation de 5 ans, jusqu’à 345 000 « cols bleus » étrangers.
Une grande partie de ce contingent sera issu des « stagiaires techniques » déjà présents dans le pays.
Problème (de taille) : ils ne pourront pas faire venir leurs familles.
Autre « réservoir » de population susceptible d’apporter du « sang neuf » au Japon, les étudiants étrangers.
Ils ne représentent pas seulement un potentiel important, ils sont surtout facilement intégrables dans le secteur privé japonais et en une dizaine d’années, la part des étudiants dans l’ensemble de la population étrangère est passée de 6,3 % (131 789 visas étudiants) en 2006 à 11 % (257 739) en 2016.
Ils sont aujourd’hui autorisés à travailler à temps partiel pendant l’année scolaire et à plein temps pendant les vacances.
Un défi à relever pour ce pays à la population très homogène
Au 1er janvier 2018, 2,5 millions d’étrangers vivaient au Japon et 1,28 millions, dont 30% de Chinois, y travaillaient.
Cela représente seulement 2% de la population, une proportion extrêmement faible comparée aux 39% à Singapour, 16% en France et même aux 4% en Corée.
Il sera difficile de ne pas faire évoluer les politiques gouvernementales à court ou à moyen terme et cela d’autant plus que les gouvernements locaux semblent résolus à aller de l’avant.
Une enquête du journal Yomiuri menée en janvier 2019 montre que ces derniers sont majoritairement (79%) favorables à l’arrivée de travailleurs étrangers en raison de la pénurie de main-d’œuvre dans leurs industries.
Pour 70% d’entre eux pourtant, l’accueil de ces travailleurs étrangers est une préoccupation car elle nécessite de mettre en place des infrastructures de base inexistantes jusqu’ici.
Aussi, les autorités locales attendent-elles l’aide du gouvernement central et notamment « des financements pour travailler sur des mesures d’acceptation des résidents étrangers » (69%).
Anticiper les problèmes
L’ouverture des frontières a aussi été saluée par le monde industriel qui y voit une solution rapide pour faire tourner ses usines et ses chantiers.
Le Japon doit cependant « apprendre à se vendre » comme une destination attractive dans un contexte où les écarts de salaire minimum avec les pays asiatiques se réduisent peu à peu.
Selon une étude du Daiichi Health Research Institute, il était de 14 fois supérieur en 2005 à celui de la Chine, mais il ne l’était plus que de 3,9 fois en 2016.
Premier intéressé, le secteur privé doit veiller à assurer, à travail et compétences comparables, une égalité salariale entre étrangers et Japonais.
Il doit aussi aider les collaborateurs étrangers sur le plan logistique.
Il est en effet très compliqué pour eux de trouver un logement ou d’ouvrir un compte bancaire par exemple !
L’apprentissage de la langue est également un élément indispensable pour travailler en milieu japonais et passer des certifications permettant de pleinement exercer son métier dans certains secteurs d’activité (infirmières notamment).
Si ces obstacles peuvent être levés, même si cela prendra un certain temps, il est toujours difficile de faire admettre aux japonais que l’arrivée de travailleurs étrangers est une chance pour leur pays.
C’est là une proposition qui est loin de faire l’unanimité.
Sur le plan politique, les critiques ne manquent pas.
Japan First, un minuscule parti d’extrême-droite, milite pour la « préférence nationale » tandis que beaucoup de partisans du Premier ministre souhaitent limiter l’immigration afin de ne pas menacer l’homogénéité ethnique actuelle et ne pas risquer d’augmenter la criminalité qui est parmi les plus faibles au monde.
Certains pointent du doigt les risques que cet afflux ferait peser, d’une part sur des salaires qui stagnent depuis quelques années comme, d’autre part, sur la productivité par travailleur qui est déjà l’une des plus basses parmi les pays de l’OCDE.
D’autres encore dénoncent l’insuffisance de la lutte contre l’exploitation de ces salariés étrangers.
En conclusion
Le Japon pourra-t-il encore longtemps conjuguer à un même temps histoire et nationalisme ?
Sans doute pas : le pays est dans une phase de doute et de changement… à petits pas.
Les Jeux Olympiques de 2020 à Tokyo qui se profilent à l’horizon sont un facteur d’accélération du changement : ils peuvent être considérés comme un premier test, de courte durée certes, mais regardé de très près parce qu’ils permettront une expérimentation « grandeur nature » d’interactions entre les Japonais et les étrangers.
Par ailleurs, l’étude attentive des écueils rencontrés il y a quelques années par les Brésiliens et Péruviens devrait également éclairer la réflexion en vue d’une intégration réussie.
Il sera notamment essentiel de donner aux étrangers des facilités pour apprendre la langue et la création de plus de classes d’adaptation dans les écoles sera fondamentale pour éviter les ghettos et l’exclusion sociale.
Dans ce contexte, nul doute que les personnes ayant des compétences en matière de langues étrangères et de relations interculturelles seront sollicitées, tant dans le monde de l’entreprise que dans la société en général, pour participer à ce défi important des prochaines années.
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Valérie Moschetti
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