London Escorts sunderland escorts

Ginseng Roots

Date de publication : 14/01/2025
0

 

Un roman graphique de Craig Thompson pour mieux comprendre l’Extrême-orient, une lecture de François Guilbert.

 

Le dessinateur américain Craig Thompson est un adepte des romans graphiques fleuves. Ce mode d’expression est sa patte. Il lui vaut succès éditoriaux, prix et renommée internationale. Bien avant tout, cette écriture permet au chroniqueur quinquagénaire d’être au cœur de ses propres récits – un besoin quasi-thérapeutique – et de traiter avec minutie et émotions, avec ses yeux et sa main, les travers religieux, politiques et sociaux états-uniens contemporains.

 

Regarder le monde depuis le bas, les petites gens, les amis et la famille est sa marque de fabrique

 

Tour à tour, en scrutant son environnement comme un mémorialiste, un enquêteur et un éditorialiste, le narrateur affirme son point de vue, l’étaye et le fait habilement partager au plus grand nombre. Après une première publication intimiste très réussie parue il y a vingt ans (Blankets, manteau de neige, Casterman, 576 p), cette nouvelle formidable autobiographie plonge, elle aussi, ses racines dans l’État du Wisconsin.

 

Là a été ancrée son enfance et pousse le ginseng en quantité, cette racine rabougrie qui lui a gâché tous ces temps libres, tout en lui permettant de s’offrir ses premiers comics. Dès lors, quoi de plus naturel que de faire de la plante vivace le marqueur scriptural de ce nouveau récit. Mais en douze chapitres, les propriétés des ginsénosides n’ont pas constitué seulement un documentaire d’histoire naturelle mais un fil conducteur pour parler de familles, d’économie, de relations internationales, de santé et de mal être.

 

Dix ans de labeurs pour parvenir à achever la publication mais au final un récit palpitant qui se lit presque d’une seule traite

 

Avec moins de colère sur sa famille rattachée aux rigoristes évangélistes des born again que dans son premier manuscrit à succès, Craig Thompson revient ici sur le dur travail agricole des paysans de son enfance et d’aujourd’hui. Une étude minutieuse fondée sur des dizaines de longues interviews qui ont donné matière à un lent périple conduisant avec adresse le lecteur des rives du lac Michigan à la Chine et la péninsule coréenne, des années 80 à l’ère du COVID-19.

 

En trois couleurs (blanc, noir, vermillon), on suit dans son parcours de vie sinueux et sa progressive résilience à la maladie et à l’intégrisme chrétien l’adolescent devenu un acteur célébré par les amateurs de bandes dessinées.

 

Autant de péripéties saisies pour découvrir une plante dont les consommateurs ne sont pas ceux qui la cultive. Au fil des pages, on apprend : à distinguer les espèces, leurs standards et leurs qualités, les fonctions bienfaitrices, les modes de production, leur commerce avec l’Extrême Orient et l’emploi si diversifié de la racine (alimentation, cosmétique, pharmacopée, teinture). Si les infusions au ginseng sont peut-être les plus familières, l’ingrédient est également utilisé pour des bières, des sirops, des whiskys. Il sert aussi à aromatiser des bonbons, des fromages, des fruits, des glaces ou encore, États-Unis obligent, des hamburgers. Voilà une plante ayant concouru à des constructions mythiques devenue au fil du temps un produit de la grande consommation mondialisée.

 

Derrière le tonifiant exotique se cache de féroces batailles commerciales d’un secteur économique en manque de main d’œuvre

 

Depuis des décennies, les petits producteurs états-uniens ont recours au travail des enfants et des migrants. Si dans les champs triment avec douleurs de nombreux employés mexicains, il y a aussi des familles entières de Hmong.

 

Avec tendresse et amitiés, Craig Thompson évoque ses amis venus du Laos à l’issue du second conflit indochinois. L’occasion de rendre hommage au travail des exilés, leurs soutiens passés aux Gi’s et les sacrifices immenses de toute une communauté. Au passage, on croise l’historique général Vang Pao (1929 – 2011) venu un temps trouver refuge dans les montagnes du Montana avant de s’éteindre en Californie. Les jeunes générations hmong confrontés à des emplois difficiles, peu rémunérateurs et à la concurrence des producteurs de tabac reconvertis de l’Ontario (Canada) quittent, eux, le Wisconsin et le Minnesota pour le sud et l’Oklahoma afin de s’y lancer dans la profitable culture du cannabis aux fins « médicales ».

 

Le ginseng américain continue de plaire et de s’exporter, tout particulièrement en Asie

 

Voici un lien économique d’Est en Ouest qui existe depuis le XVIIIème siècle et dont les entrepreneurs nord-américains sont convaincus qu’il perdurera du fait des singularités de leur produit et de l’adage selon lequel « Tant qu’il y aura des Chinois, il y aura du ginseng ». Cette géoéconomie a logiquement poussé le narrateur à se rendre de l’autre côté du Pacifique : à Wanliang dans la province de Jilin (Chine), à Geumsan (Corée du Sud) le centre commerçant de la péninsule mais également à proximité du 38ème parallèle, n’oubliant pas que dans les sols de la région de Kaesong en Corée du Nord on récolte du ginseng rouge.

 

Mais en Asie comme en Amérique du Nord, la production de ginseng se fait au détriment de ses petites mains et de l’environnement (cf. déforestation). Du comté de Marathon aux parcelles aux pieds des montagnes Changbai, les ouvriers agricoles mal payés font un travail harassant, mettant à mal leur santé du fait de leur recroquevillement pour accéder aux plants et à un emploi massif de produits chimiques intoxicants pour se prémunir des nuisibles. Une exploitation éhontée mais qui nourrit aussi ses anticorps sous forme de contestations politico-environnementales et de tentatives de cultures plus respectueuses, notamment sous la forme de production semi-sauvages en milieu forestier. Une perspective optimiste auquel veut croire le narrateur et tous ceux qui ont le goût de vouloir continuer à consommer dans leurs assiettes et dans leurs verres des morceaux de racines de ginseng de qualité.

 

Craig Thompson : Ginseng Roots, Casterman, 2024, 447 p, 27 €

 

François Guilbert

 

Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.

Les plus lus