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MÉKONG – TOURISME : Thaïlande – Laos – Chine: Pédaler le long du Mékong

Journaliste : Marie Normand (avec C.Bialès)
La source : Gavroche
Date de publication : 03/06/2020
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Retour dans le passé avec ce reportage de 2008, les débuts d’une course qui est aujourd’hui un des évènements sportif de l’année, “the Great Mekong Bike ride”. Un pari impossible ? Pas si sûr. Rejoindre en une semaine Jinhong, en Chine, depuis le nord de la Thaïlande, en VTT, sans avoir suivi d’entraînement intensif, c’est ce qu’à réussi une reporter de Gavroche au “péril de sa vie”. Récit….

 

« Song, song, sooong ! » Le restaurant de Jinhong, dans le sud du Yunnan, en Chine, ne résonne plus que de chants karaoké et de verres qui trinquent à la fin d’une belle aventure… de 530 kilomètres. Depuis huit jours maintenant, ces cyclistes chevronnés ou amateurs ont pédalé tout leur saoul pour rejoindre l’Empire du milieu depuis Chiang Sean, dans le nord de la Thaïlande. Le défi était de taille et le programme, décrivant les parcours quotidiens, plutôt décourageant.

 

Lorsque le Tourism Authority of Thailand (TAT) m’a contactée pour participer à cet événement, il faut avouer que je n’en menais pas large. «Toi, pédaler plus de 100 kilomètres par jour ? », rigolait doucement mon entourage. Oui, moi, pas sportive pour un sou. Entrainée par ma rédaction en chef, je décide finalement, sans conviction, de tenter le diable. Armée de l’indispensable short cycliste rembourré aux endroits stratégiques et de baskets neuves, je m’envole pour Chiang Rai, avant de rejoindre Chiang Saen, point de départ de mon épopée.

 

Sur place, plus de soixante concurrents, dont quelques femmes, s’échauffent avant le grand jour. Il y a bien quelques journalistes, mais principalement des fans de la petite reine, le gros des troupes étant inscrit en club. Venus de Thaïlande, de Suède ou du Vietnam, 90% d’entre eux sont habitués à avaler des kilomètres de bitume comme l’attestent leurs mollets sculptés. Aussi loin que je m’en souvienne, ma dernière balade en VTT remonte à mes 13 ans. J’avale ma salive et me fixe un objectif: sauver l’honneur.

 

A 8h30, dimanche 26 octobre, le top départ est donné par la gouverneur du TAT à l’issue de la traditionnelle cérémonie d’ouverture. Les valeureux cyclistes s’élancent comme des flèches en direction de Chiang Khong, en longeant le Mékong. « Aujourd’hui c’est facile, nous répètent les organisateurs, seulement 62 kilomètres !»

 

Mouais. C’est vrai que les premiers kilomètres ont tout d’une bonne vieille balade champêtre: la route est bonne, relativement plate, avec juste quelques petites collines qui se dessinent au loin.Tiens, les voilà justement Même sur le petit plateau de mon splendide vélo tout terrain, la première montée, que je tente de gravir sous un soleil de plomb, m’assène un sérieux coup. Heureusement, un joli point de vue sur la vallée traversée par le Mékong -et une nécessaire pause déjeuner- nous attendent, tout là-haut. Les dix derniers kilomètres passent beaucoup plus facilement, portée par cet espoir: «J’y suis presque !». A l’arrivée, je gagne un tee-shirt aux couleurs du Mékong Tour 2008. Un chouette souvenir de mon aventure, me dis-je. Si j’y survis ! Car demain, la lutte s’annonce acharnée: il faudra pédaler 120 kilomètres.

 

Le réveil en fanfare à 5 heures du matin a de quoi donner des envies de coups de pédale dans le tibia. Heureusement, le joli lever de soleil sur le Mékong et le petit déjeuner gargantuesque que l’on nous sert – riz frit et œufs- comme chaque jour – radoucissent mes ardeurs… Seuls quelques kilomètres nous séparent de la frontière avec le Laos, que le gouverneur de la province a spécialement ouvert plus tôt pour nous faciliter le passage.

 

Adieu le Siam, bienvenue en Indochine, nous indiquent les panneaux. Grisés, nous transportons nos vélos sur un porte-conteneur pour traverser le fleuve. La Laos nous tend déjà les bras. A peine arrivés sur l’autre rive, à Huay Xai, nous enfourchons de nouveaux nos deux-roues crantées et, bravant la douleur de nous asseoir de nouveau sur notre selle, nous nous enfonçons un peu plus dans la cambrousse. Au milieu des rizières, nous croisons des villages Kamu, Tai Lue et quelques communautés Hmong. De plus en plus de familles issues de ces minorités ethniques sont poussées par les autorités laotiennes à quitter la jungle pour se rapprocher de la route. Les paysages qui s’offrent à nous témoignent que la culture sur brûlis est encore largement répandue: en brûlant la forêt, les villages récupèrent des terres pour cultiver du riz. Une menace écologique que le gouvernement laotien tente de juguler depuis plusieurs dizaines d’années, sans toujours proposer d’alternative.

 

Sainte Jeannie, sauvez moi !

 

Au seuil de leurs cabanes en bois, les enfants nous sourient et nous font de grands signes en criant «bye bye !». On se croirait au Tour de France, en mieux. Mon sourire s’efface très vite à l’arrivée de la première côte, sous le soleil brûlant de midi; des panneaux menaçants indiquent une pente de 10%. Sainte Jeannie Longo, priez pour moi ! En tirant la langue, je jette des coups d’œil réguliers au cadran de mon vélo pour vérifier que je mouline bien sur le plus petit plateau. Devant moi, j’entends mes camarades du Tour psalmodier le célèbre mantra des cyclistes: « What goes up, must come down ».

 

J’essaye alors de me fixer des objectifs: allez, après ce virage là-haut, je suis sûre que j’aurai droit à une jolie descente pour souffler un peu, non? Non. Cette colline est interminable. J’ai déjà épuisé toutes mes réserves d’eau. Après une heure à pédaler dans la semoule, c’est l’échec: j’abandonne. Je suis sûre que le maillot à pois du meilleur grimpeur ne m’irait pas au teint, de toute façon. D’autres m’emboitent rapidement le pas et les derniers participants seront finalement remorqués à 16 heures, l’heure limite pour terminer le parcours. Ce soir-là, nous apprécions, en lot de consolation, notre premier dîner laotien à Viang Pouka. Nous allons passer la nuit dans ce petit village, où les femmes se lavent en fin d’après-midi dans la rivière et où la majorité des habitants travaille dans les mines de lignite.

 

C’est en 2002 que la belle aventure du Mekong Mountain Bike ou Mekong Challenge commence, initiée par Chainarong Somchat, un pédiatre de la région de Samut Prakan, passionné de cyclisme. L’objectif est de trouver une route reliant les pays du haut-Mékong: la Thaïlande, le Laos et la Chine. Une équipe part en éclaireuse et concocte un trajet de 600 kilomètres, à parcourir en neuf jours. Le succès est immédiat et le Tourism Authority of Thailand (TAT) commence à s’y intéresser. Plus tard, le trajet sera étendu à Luang Prabang, site classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, pour finir par couvrir, en 2007, les cinq pays qui bordent le Mékong, en l’honneur du 80ème anniversaire de Sa Majesté le Roi de Thaïlande. Chaque année, les organisateurs du Tour s’amusent à dénicher de nouvelles routes ou de nouvelles attractions pour rendre le voyage plus attrayant. « Le plus difficile, explique Chainarong Somchat, c’est de trouver un parcours qui puisse séduire un maximum de cyclistes. Il ne faut pas que ce soit trop dur, pour garder cette atmosphère bon enfant, mais il faut un minimum de challenge pour séduire les plus chevronnés.

 

Le TAT, qui est devenu l’organisateur du Tour cette année, a vite vu dans cette épreuve sportive une manière de promouvoir Chiang Rai comme une base pour visiter la sous-région du haut-Mékong (Greater Mekong Subregion). « Nous organisions déjà des circuits en vélo vers Champassak, dans le Sud du Laos, mais ce rendez-vous sportif le long du Mékong est un bon moyen d’attirer un tourisme de niche dans la région », rappelle Tamrongsak Lompomgpipat, l’une des responsables événementielles du TAT.

 

L’organisme table sur une augmentation de 20% de la fréquentation et entend séduire les «touristes de qualité» -en particulier des Européens-, intéressés par la nature. « Notre rêve? Un visa commun à tous les pays du Mékong, pour maximiser les flux touristiques entre nos pays, ajoute Tamron-gsak Lompomgpipat. Malheureusement, le Laos bloque encore le projet. »

 

Oublié le mal de fesses

 

Le lendemain, un parcours de 62 km nous mène jusqu’à Luang Namtha, base bien connue de treks dans le nord du Laos. Oublié le mal de fesses: on ne les sent même plus. La route est dure, mais les participants commencent à se connaître et s’entraident. De mon côté, je trouve progressivement mon rythme de croisière et apprend à jongler habilement entre mes 21 vitesses, comme une vraie pro. Après les vingt premiers kilomètres -toujours les plus difficiles- je réussis à lever le nez de mon guidon pour profiter du paysage. Tiens donc, je ne suis plus juste devant la voiture balais, comme les jours précédents. J’ai même réussi à semer quelques camarades de galère, toujours épuisés de la veille. Je jubile… Est-ce que je ne commencerais pas à y prendre goût, finalement ? Les derniers kilomètres avant le chef-lieu de la province se feront en convoi, escorté par la police locale. Les riverains observent avec étonnement ce troupeau de petits hommes verts -la couleur de nos maillots- qui gagne Luang Namtha le sourire aux lèvres. Plus tard, nous serons conviés sur la place du marché à une cérémonie traditionnelle du «baisee» (prononcer baye-si) destinée à nous souhaiter bonne chance.

 

Une nuit chez les Tai Lue

 

Jour 4. C’est reparti pour 112 km, avec cette fois un objectif de taille: la Chine! Quel soulagement par rapport aux jours précédents, la route est presque plate avec, à perte de vue, des collines verdoyantes et des rizières. Après 54 km, le long et laborieux passage de la frontière -une tripotée de cyclistes de nationalités différentes, ça fait désordre – a le mérite de nous laisser souffler un peu. Mais l’arrivée à Bo Ten est plutôt brutale: le visage fermé des Chinois tranche avec le sourire des Laotiens que nous venons de quitter et la ville nouvelle qui jouxte le poste d’immigration ressemble à un Disneyland option béton. Heureusement, le parcours quitte vite la route principale pour emprunter un petit chemin à l’ombre des arbres. Quelques heures plus tard, nous voici enfin à Meng La, une bourgade qui autrefois servait d’aire de repos aux voyageurs. C’était également un point de passage important pour les Tai Lue souhaitant immigrer en Thaïlande (voir encadré ci-dessus). Meng La s’insère dans la région autonome de Sipsong Panna Thai, qui couvre 19.700 kilomètres carrés et a pour capitale Jin Hong, notre destination finale. On retrouve, rien que dans cette région, 12 des quelque 50 minorités ethniques qui peuplent la Chine.

 

Les Tai Lue sont connus sous différents noms. De l’autre côté de la frontière, en Chine, dans le Sipsong Panna, ils sont appelés Daï. Leur peuplement remonte à la fondation de Mu-eang Sipsong Panna, il y 830 ans. Fondé par le Roi Ho Kham Chiang Rung 1er, le royaume allait devenir puissant et bientôt étendre son influence sur Chiang Tung, Mueang Thanen (aujourd’hui connu sous le nom de Dien Bien Phu, au Vietnam), Chiang Saen (de nos jours en Thaïlande) et Lan Chang, avant de tomber aux mains des Mongols puis sous la domination chinoise en 1290. Une fois annexé, Sipsong Panna fut divisé en douze villes. « L’État Taï Lue ou Sipsong Panna comptait à la veille de son abolition (1954) trente-quatre muang regroupés en douze panna ou principautés. Il avait à sa tête un roi résidant avec sa cour dans la ‘capitale’, Jin Hong », écrit Michel Bruneau dans la revue Hérodote.

 

Aujourd’hui, les communautés Tai Lue sont toujours implantées en Birmanie, au Laos, en Thaïlande et en Chine. « Ils seraient notamment 600.000 dans le Yunnan », explique Tawang Jiao, un guide touristique local. Elles ont pour particularité de parler un dialecte très proche du thaï utilisé en Thaïlande du Nord, mais aussi la même écriture, les mêmes coutumes. Le royaume a de ce fait connu de grosses vagues d’immigration de Tai Lue, surtout sous Rama V, lors de l’établissement de Bangkok.

 

Festin et… alcool de riz !

 

Le jour suivant, c’est un nouveau paysage de forêt, avec des routes sinueuses et ombragées, qui nous mène un peu plus au cœur du pays Tai Lue. Les cyclistes s’offrent quelques arrêts dans les villages et s’amusent de pouvoir échanger quelques mots en thaï avec les habitants. Après avoir vaincu trois collines assez vicieuses, nous arrivons enfin à destination: un petit village de 300 habitants du nom de Chiang Klang. Nous allons y passer la nuit, chez l’habitant. Ici, pas de boutiques de souvenirs, juste le charme de l’authenticité. Les demeures, construites sur pilotis pour garder le bétail et la volaille sous l’espace habitable, sont collées les unes aux autres, comme le veut la tradition. Chacune comporte une grande pièce à vivre et une terrasse ouverte, où se trouve la salle de bains. Encore récemment, on y trouvait des dizaines de jarres remplies d’eau et exposées au soleil pour pouvoir se laver à l’eau tiède l’hiver; aujourd’hui, des panneaux solaires alimentent ces mini-salles de bains en eau chaude. Nos hôtes, qui vivent principalement de l’agriculture (riz, caoutchouc, légumes…), ont préparé un festin et les femmes se sont réparties par tranches d’âge pour nous concocter un grand spectacle de danses traditionnelles. L’alcool de riz local, contenu dans de petites bouteilles en grès, coule à flot. La soirée se termine par une “Battle” (combat de danse) inédite entre plusieurs jeunes filles du village et des cyclistes chinois. Internet n’est pas encore arrivé jusqu’à Chiang Klang, mais la danse « tectonique » si !

 

Sixième et dernier jour de traversée. Ce matin, c’est le chant du coq qui nous tire du lit pour affronter 90 km de faux plat jusqu’à Jin Hong (Chiang Rung en thaï): presque une balade de santé. A mesure que nous approchons du chef-lieu, nous traversons des plantations d’hévéas, mais aussi d’ananas, de bananes et de thé. Comme à l’accoutumée, pédaler en groupe avec d’autres camarades VTTistes aide à garder le rythme: je comprends enfin pourquoi les cyclistes du Tour de France sont souvent dans la roue d’un autre. Escorté par la police locale, notre convoi se fraye un passage dans cette ville au paysage contrasté, où des fermiers munis de leur faucille cheminent dans les rues a côté de grosses berlines aux vitres teintées. Au loin se dessine déjà la ligne d’arrivée: un rutilant hôtel chinois nous accueille en fanfare.

 

C’est la fin du voyage. J’essaye de faire les comptes: trois pays, six jours, 530 km, les jambes en compote, un disgracieux « bronzage cycliste », mais une tonicité à toute épreuve, des images gravées dans la tête pour longtemps et la découverte d’une autre manière de voyager. Et peut-être même l’envie de remettre le couvert l’année prochaine. Il faut dire que l’idée est alléchante: en 2009, le Cambodge et la Birmanie pourraient aussi faire partie du parcours…

 

 

Marie Normand (avec C. Bialès)

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