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PHILIPPINES – POLITIQUE : Ferdinand « Bongbong » Marcos à la tête du pays, quelles leçons ?

Journaliste : Yves Carmona Date de publication : 10/05/2022
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Manille

 

Notre ami et chroniqueur Yves Carmona avait les doigts sur son clavier en cette journée d’élection présidentielle aux Philippines. Passionné de géopolitique et d’Asie, cet ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal nous avait promis un commentaire à chaud. Le voici. A lire pour mieux comprendre ce qui se passe du coté de Manille !

 

Un commentaire à chaud de Yves Carmona

 

Les Philippins sont donc en passe, à l’issue de l’élection présidentielle du 9 mai d’élire un héritier à la tête de leur pays et une héritière à la vice-présidence.

 

Dans ce pays pauvre longtemps marqué par la guerre froide où le PNB par tête est de 8000 $ par personne et par an en PPA, on ne s’attendrait pas à un tel rapprochement avec un des pays les plus riches du monde, Singapour : 93400 $. Et pourtant les deux pays ont en commun d’être gouvernés par des dynasties.

 

À Singapour, le Premier ministre-fondateur en 1965 a été Lee Kwan Yew, devenu « Senior Minister », donc continuant à diriger le pays quand il a laissé la place en 1990 à Goh Chok Tong et enfin « Minister Mentor » quand son fils Lee Hsien Loong, aujourd’hui encore au pouvoir, a repris le flambeau en 2004. Singapour connaît les difficultés d’une fin de dynastie. Lee Hsien Loong n’a pas désigné de successeur, même si le ministre des finances part favori. A 70 ans passés, échéance qu’il avait fixée pour transmettre le pouvoir à son vice-premier ministre Heng Swee Keat, celui-ci s’est jugé trop âgé et trois ministres lui ont succédé comme prétendants, ceux des finances, de la santé et de l’éducation que la lutte anti-Covid a fait ressortir.

 

Le risque pour Lee Hsien Loong, dont la domination électorale s’est érodée et pour sa dynastie s’il reste trop longtemps au pouvoir est d’apparaître comme ce que beaucoup pensent déjà tout bas : un dictateur.

 

Un archipel indépendant depuis 1946

 

Aux Philippines, indépendantes depuis 1946, l’histoire est plus hachée et sanglante mais le phénomène dynastique se perpétue. On a vu s’affronter les Aquino, Cory succédant de 1986 à  1992 à son époux Benito, assassiné en 1983 pour avoir conduit la révolte contre Ferdinand Marcos, Président de 1965 à 1986 et sa femme Imelda connue entre autres pour ses milliers de paires de chaussures. Le fils Benigno Aquiño III a été Président de 2010 à 2016.

 

Aujourd’hui, le fils du couple Marcos, Ferdinand, est élu à la Présidence, allié pour la vice-présidence à Sara, fille du précédent Président  Duterte (2016-2022), un commissaire de police qui a su s’intégrer au monde des riches dont il protège, au besoin par les armes, les intérêts.

 

Les dynasties font la loi

 

On le voit, les dynasties font la loi dans ces deux pays comme dans d’autres en Asie et ailleurs – il n’y a pas besoin d’aller très loin pour le retrouver même en République…. Les Etats-Unis, où le phénomène dynastique est également très présent, sont régulièrement accusés de le soutenir hors de leurs frontières.

 

Rappelons que George W. Bush a été Président comme son père George H.W. Bush qui se félicitait d’avoir en lui et Jeff Bush deux Présidents possibles…

 

Trois amendements récents, en libéralisant l’économie des Philippines, continuent d’alimenter la pompe à finances et ainsi la corruption.

 

Celle du 10/12/2021 réduit nettement les exigences en fonds propres pour les grandes enseignes étrangères.

 

Ensuite l’amendement du 2 mars 2022 permet aux petits commerçants philippins, qui ont le monopole de la vente, de réduire eux aussi les exigences en fonds propres en les réservant au contenu local.

 

Enfin, peut-être le plus significatif est un amendement du 21 mars dernier restreignant à la distribution d’énergie, d’eau et réseaux de traitement des eaux usées ainsi qu’aux véhicules le service public protégé, permettant ainsi aux capitaux étrangers de s’investir librement dans les grandes infrastructures de télécoms, les aéroports, les transporteurs aériens, le transport, etc.

 

Ainsi, le domaine réservé aux intérêts locaux voit son périmètre diminuer. Le système électoral (scrutin de liste) encourage la corruption en favorisant le populisme.

 

Celui-ci est aussi à l’œuvre dans une situation géopolitique complexe et évolutive car une partie des îles de mer de Chine du Sud font l’objet d’une dispute avec la Chine dans laquelle le tribunal international de La Haye a donné en 2016 raison aux Philippines, arrêt non respecté par Pékin.

 

On a longtemps cru que la Chine allait imposer sa loi mais, avec l’aide des Américains, les Philippines se sont opposées à la Chine qui risque de s’aliéner l’Asie du Sud-Est par sa posture agressive. Les Philippines sont de ce fait en proie à une vague nationaliste qui renforce la course aux armements.

 

Enfin, dans ce pays durement touché par la Covid et profitant d’une récente amélioration, le pouvoir se défausse de sa responsabilité en demandant au peuple de s’en charger dans l’unité nationale.

 

En résumé, ce que Francis Fukuyama appelle « devenir le Danemark », c’est-à-dire devenir un pays moderne et démocratique, est en jeu. La fille du père Duterte alliée au fils Marcos seront-ils à la hauteur ?

 

Commentaire :

 

Les Philippines ressemblent fort à un pays latino-américain, on y trouve beaucoup d’ingrédients en plus du phénomène dynastique : une propension aux coups d’Etat souvent sanglants, une influence des Etats-Unis parfois remise en cause comme ce fut le cas avec la base de Clarke mais toujours présente – c’est là qu’on va à l’Université, du Président qui vient d’être élu aux simples étudiants quand ils ou elles en ont les moyens, une libéralisation économique dont on peut craindre qu’elle alimente prioritairement les investisseurs étrangers. Ferdinand Marcos a régné par la corruption, sa femme Imelda s’est rendue célèbre par son goût immodéré des chaussures (on lui prête 3000 paires de brodequins, pas des sandales…) et il a fallu un coup d’État pour qu’ils aillent tous deux se réfugier aux Etats-Unis et y finissent leurs jours. Cela explique le phénomène dynastique : la politique est un moyen de durer, pas toujours pour gagner beaucoup d’argent mais en tout cas plus pour se servir que pour donner la parole au peuple surtout occupé à sa survie, d’où une des plus fortes proportions au monde d’émigrés économiques. Fin 2011, plus de 10,45 millions de Philippins vivaient à l’étranger 4 (environ 10%), appauvrissant leur pays car ce sont en général les plus qualifiés qui partent et l’incompétence économique du nouveau Président met son pays en danger.

 

On peut se demander si les dynasties se poursuivront au-delà des titulaires actuels. Ce serait bon pour la démocratie que ce système laisse la place à un renouvellement permettant à chacun d’exercer le pouvoir mais il est permis d’en douter tant le phénomène est répandu – même dans celles qui aiment tant donner des leçons : les « démocraties ».

 

NOTE : L’auteur de ces lignes en a été personnellement témoin, quitte à ce que l’illégalité accompagne le phénomène et ne permette pas de statistiques rigoureuses.

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