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THAÏLANDE – CHRONIQUE : Comment dites vous « Halloween » en siamois ?

Date de publication : 01/11/2023
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Halloween Thailande

 

Une chronique de Patrick Chesneau

 

Pour pasticher l’immense poète martiniquais Aimé Césaire, les Thaïlandais sont “poreux à tous les souffles du monde”. Ils accueillent et font leur miel de toutes les modes et influences venues des cinq continents plus les quatre coins de la planète. Mais, en y ajoutant instantanément leur génie propre. Ils tamisent, adaptent, parfois détournent, recyclent et réinterprètent les tendances  extérieures. On est là dans une sémiotique extrêmement subtile. Subvertir les codes.

 

La thainess est une formidable machine à intégrer les apports du monde ambiant et à les assimiler selon les normes et les spécifications psychiques et mentales du peuple du Siam, lui-même d’essence composite. Une tomette de plus dans la mosaïque originelle. Les rites et croyances d’ailleurs sont acceptés avec enthousiasme, voire frénésie, pour peu qu’ils puissent entrer en résonance avec les fondements d’une culture orientale séculaire. Jusqu’à former une symbiose harmonieuse avec le substrat identitaire thaï.

 

Concrètement, tout est bon pour faire la fête. La plupart de ce qui donne lieu à célébration sous d’autres latitudes trouve un écho favorable en Thaïlande. Comme si la culture vernaculaire était un terreau qui se nourrit en permanence d’éclectisme.

 

La parenthèse hautement spirituelle de Awk Phansa (prononcer hok pannsa) est à peine refermée, marquant la fin de trois mois de carême bouddhique. Intense ferveur partout dans le Royaume.

 

Mais, immédiatement, place à un autre engouement : Halloween. Tradition anglo-saxonne s’il en est. Le peuple du Siam cultive la beauté. La recherche de l’accord parfait est inlassable.

 

Tendre vers un idéal de concordance, de synchronisme, de corrélation et d’analogie dans la société. Certains y voient une exploration du compromis et de la voie médiane. Et simultanément, dans les tréfonds de l’âme thaïe, l’attirance est vivace pour le morbide, si ce n’est ce que l’Ouest appelle le gore. Cette tendance lourde est maquillée très commodément pour prendre l’apparence du jeu. “Sanook sanook” encore et toujours. Halloween est rituellement prévue le 31 octobre de chaque année, veille de la fête chrétienne de la Toussaint.

 

Autant dire une coutume pour le moins exotique, exogène et insolite dans un pays bouddhiste à 85-90%.

 

Qu’à cela ne tienne. Depuis plusieurs jours, la jeunesse thaïe a largement anticipé l’événement, démarrant sans plus attendre une fiesta enfiévrée dans toutes sortes de lieux publics. Beaucoup se sont munis à l’avance de citrouilles évidées, les illuminant de l’intérieur à l’aide de bougies. Précisément là où se situent les orifices des yeux. Indice supplémentaire du goût des thaïlandais pour les créations ludiques. Pour la circonstance, sont convoqués sorcières et fantômes. Squelettes et ectoplasmes sont extirpés du placard. Crânes et figures démoniaques exhibés. A cette précision près que ce décorum venu de l’Ouest n’a rien à voir avec les pratiques mystiques de nombreux Thaïlandais.

 

Outre que les maisons des esprits président à la construction de toute maison, de tout édifice, croyances et superstitions abondent. Pour se protéger des mauvais esprits qui hantent leur psyché, les Thaïs portent des amulettes, appelées phra kreuang et se font tatouer des symboles de protection, dont la signification ésotérique échappent aux Occidentaux néophytes.

 

C’est l’univers du Sak Yant, les tatouages bouddhistes. Surtout, les thaïlandais craignent par dessus tout les phii, esprits tourmentés parfois maléfiques et fantômes “punitifs” qui prennent possession des personnes. Il faut s’en prémunir par le biais de moult offrandes et avant tout les amadouer. Désamorcer leur colère et leur ressentiment à l’égard des vivants.  Mais, du point de vue des Thaïs, il s’agit d’univers qui leur est propre. Un système d’interprétation du monde qui leur est familier.  Même dans sa dimension démoniaque. De leur culture. Un imaginaire autochtone qui remonte aux temps les plus immémoriaux. On est donc dans un registre qui est, littéralement, celui de la vie et de la mort. A l’inverse, la symbolique western se situe aux antipodes des hantises, des rites et rituels traditionnels siamois. Dès lors, jeu débonnaire et bon enfant que de dynamiter les codes de l’épouvante venus d’autres horizons. Dans le cas d’Halloween, on cherche à faire peur, à effrayer mais tout aussitôt, il est impératif de neutraliser l’angoisse.

 

Le rire est l’unique finalité. On s’amuse de ces rituels abracadabrantesques venus de loin.

 

On se déguise pour se prouver qu’il n’y a rien à craindre. L’accoutrement qui sied à Halloween, capes et chapeaux pointus, endosse d’emblée une valeur cathartique. Sans oublier le masque, vestige de l’époque COVID, histoire de compléter la panoplie. Arborer un air inquiétant et provoquer sur commande les frissons d’horreur qui parcourent toute échine saisie d’effroi. Comment apprivoiser et adoucir les esprits très intrusifs qui puisent leur origine dans les contes et légendes populaires d’Europe et d’Amérique ?

 

Élément rassurant : de manière générale, l’univers fantasmagorique farang se fracasse quand il entre en confrontation avec les traditions du Siam. Il est désorienté quand ces dernières, à l’inverse, ont l’avantage d’être à domicile, en terrain on ne peut plus familier. Le privilège d’être endogène. Tandis que les lutins et gnomes effrayants, tout juste débarqués en milieu tropical, sont folklorisés et, ce faisant, rendus inoffensifs. On leur assigne une unique mission: divertir et réjouir les foules, friandes par nature de jeu et de jubilation. Constat imparable: la signalétique quelque peu macabre d’Halloween devient tout de suite prétexte à une forme d’enchantement et de joie insouciante. Pour s’en convaincre, il suffit d’une déambulation dans les quartiers fréquentés par les jeunes et dans les moyens de transport qu’ils empruntent. Dans le métro aérien BTS ou souterrain MRT de Bangkok, on croise de bien étranges silhouettes.

 

La thainess résiste à tout et peut tout magnifier.

 

Patrick Chesneau

 

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1 COMMENTAIRE

  1. La veille de la Toussaint, c’est la fête des morts (noté “défunts” sur les calendrier français), d’où la fête Halloween ce jour là. C’est le jour traditionnel où les familles françaises allaient au cimetière. Mais comme la République n’a pas fait de ce jour un jour férié, les gens au travail ont pris l’habitude de décaler cette visite au jour de la Toussaint, la fête de tous les saints qui lui est férié de façon pas très laïque

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