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THAÏLANDE – HISTOIRE: Les «chemises rouges», un épisode à garder en mémoire pour comprendre le royaume

Journaliste : Alexandra Colombier
La source : Gavroche
Date de publication : 25/05/2020
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Aux cotés de notre analyste Philippe Bergues, notre collaboratrice Alexandra Colombier, basée en Thaïlande, garde elle aussi un souvenir aigu des journées d’avril-mai 2010 marquées par l’affrontement entre «chemises rouges» et «chemises jaunes». Nous publions ici sa contribution et nous invitons nos lecteurs à nous livrer leurs souvenirs et commentaires sur ce moment douloureux de l’histoire récente du royaume.

 

Une contribution d’Alexandra Colombier

 

De mars à mai 2010 une mobilisation politique particulièrement violente se déroule à Bangkok entre force de l’ordre et manifestants antigouvernementaux dirigés par le Front Uni pour la Démocratie et contre la Dictature (UDD), également connu sous le nom de « chemises rouges ». Ces affrontements feront au moins 90 morts et plus de 2000 blessés. Nous nous proposons de revenir sur ces événements.

 

Le mouvement déclencheur : les « chemises jaunes » contre Thaksin Shinawatra

 

Les tensions à l’origine de cet affrontement se sont accélérées fin 2005 sous le premier ministre Thaksin Shinawatra. Élu en 2001, celui-ci voit sa popularité s’affaiblir au fur et à mesure au sein d’une partie de la population. En effet de nombreux thaïlandais de la classe moyenne urbaine commencent à s’opposer à lui à la fin de 2005, l’accusant de corruption.

 

Ces thaïlandais mécontents se sont peu à peu organisés en mouvement, portant le nom de l’Alliance Populaire contre la Démocratie (PAD) aussi connu comme les « chemises jaunes » (le jaune étant la couleur représentative de la monarchie en Thaïlande). Ce mouvement rassemble essentiellement les classes moyennes et aisées, particulièrement de Bangkok. L’alliance des « chemises jaunes » a notamment été fondée par Sondhi Limthongkul, magnat de la presse, qui est fermement opposé à Thaksin Shinawatra après avoir été son partenaire en affaires.

 

Des rassemblements de « chemises jaunes », dont la taille augmente de jour en jour, commencent à s’organiser à Bangkok, toujours avec la même volonté de voir destituer Thaksin. En septembre 2006, après plusieurs mois de tensions, un coup d’état a lieu, Thaksin Shinawatra, qui est alors à l’étranger, est démis de ses fonctions.

 

Manifestations à grande échelle

 

Malgré la destitution de Thaksin Shinawatra, les tensions restent élevées et, en mai 2008, les « chemises jaunes » reprennent leur protestation contre le gouvernement. La raison de ses protestations : le nouveau premier ministre Somchai Wongsawat, beau-frère de Thaksin Shinawatra, élu par le parlement est selon les protestataires un mandataire de l’ancien premier ministre.

 

Des manifestations à grande échelle et de plus en plus violentes ont alors lieu ; les « chemises jaunes » bloquent pendant plusieurs mois des bureaux gouvernementaux et fin novembre, ils organisent un rassemblement d’une semaine dans les deux aéroports de Bangkok, ce qui entraine la fermeture de ces derniers.

 

Le 2 décembre 2008, après des semaines de tension, la Cour Constitutionnelle démet Somchai Wongsawat de ses fonctions. Le 15 décembre 2008 Abhisit Vejjajiva, chef du parti démocrate d’opposition, devient alors Premier Ministre. Les « chemises jaunes » stoppent leurs protestations.

 

Les «chemises rouges» dans la rue

 

Mais du mécontentement des « chemises jaunes » nait le mécontentement des « chemises rouges ». C’est après ces événements que tout s’est accéléré jusqu’au point culminant : mars – mai 2010.

 

Début 2009 une autre alliance émerge : les « chemises rouges », ou le Front Uni pour la Démocratie et contre la Dictature (UDD). Ce mouvement est principalement issu de classes ouvrières et rurales de Thaïlande, notamment du Nord et Nord-Est du pays. Il se compose néanmoins également d’étudiants, activistes et hommes d’affaires qui voient comme une menace pour la démocratie la mainmise de l’élite urbaine sur la politique thaïlandaise.

 

Les chemises rouges de la première heure sont des partisans de Thaksin Shinawatra. Ils soutiennent ce dernier notamment car, durant son mandat, il a favorisé, plus qu’à l’accoutumée du moins, les populations démunies en créant un fond pour la santé et l’éducation.

 

L’UDD, poussé par Thaksin Shinawatra, exige à son tour la démission du nouveau premier ministre Abhisit Vejjajiva, la dissolution du parlement et la tenue d’élections anticipées. De nombreuses manifestations ont lieu et les tensions se font de plus en plus sentir. En avril 2009, suite à des protestations le sommet de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), qui se tenait à Pattaya, a dû être annulé.

 

Le reste de l’année 2009 se déroulera dans un climat de tensions entre les camps et sans réellement trouver de solution de crise et les manifestations ont repris de plus belle début 2010.

 

2010 : la descente en enfer

 

Après une année sous haute tension, les événements ont continué à s’intensifier en février 2010 après le Verdict de la Cour suprême gelant 60 % de la fortune de Thaksin Shinawatra pour abus de pouvoir. Suite à cette décision, les « chemises rouges » reprennent les manifestations dans Bangkok.

 

A la mi-mars des dizaines de milliers de chemises rouges venant des quatre coins du pays se rendent dans la capitale pour protester. Ils se barricadent notamment dans le district de Ratchaprasong (artère commerciale de Bangkok).

 

Au cours de ces deux mois ils organisent plusieurs manifestations plus ou moins pacifistes.

 

Cependant à la mi-avril les manifestations prennent un tournant violent, ayant pour conséquence plusieurs morts et blessés. Le climat se faisant de plus en plus tendu le gouvernement propose, début mai 2010, de tenir des élections mais à la condition que les manifestations cessent immédiatement et que les dirigeants se rendent. Les « chemises rouges » rejettent la proposition et le 12 mai, Abhisit Vejjajiva annonce que les négociations ne sont plus valables.

 

L’absence de compromis

 

Les deux camps ne trouvent pas de compromis et le 19 mai a lieu l’assaut contre le camp retranché de Ratchaprasong. Trente-cinq bâtiments sont brûlés et saccagés : Central World,Siam Theatre, la chaîne de télévision Channel 3, la Bourse de Thaïlande. Des dizaines de personnes sont tuées et des centaines de personnes sont blessées.

 

Les violences qui ont lieu en mai 2010 ne sont pas limitées à Bangkok :

 

« Le 19 mai, en réponse aux événements dans la capitale, des partisans de l’UDD dans les provinces de Khon Kaen, Ubon Ratchathani, Udorn Thani et Mukdahan ont provoqué des émeutes et incendié des bâtiments gouvernementaux. Dans plusieurs cas, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, faisant au moins trois morts et des dizaines de blessés » selon le rapport de « Human Rights Watch ».

 

Après cette escalade de violence les manifestations cessent, les dirigeants des chemises rouges sont arrêtés et l’état d’urgence toujours en vigueur.

 

L’après 2010

 

Environ un an après ces événements le Phak Puea Thai (PPT : «For Thais Party») gagne les élections. Ce parti est dirigé par la sœur de l’ancien ministre Thaksin, Yingluck Shinawatra.

 

En mai 2013 les commémorations du 19 mai 2010 se transforment en manifestation d’environ 20 000 « chemises rouges ». Cette mobilisation intervient alors que le gouvernement tente de faire adopter un projet de loi accordant l’amnistie aux personnes impliquées dans la crise politique de 2006 à 2010.

 

La responsabilité des violences est un sujet largement débattu en Thaïlande et c’est l’une des revendications qui revient chaque année lors des commémorations. Le peuple demande une enquête sérieuse pour poursuivre les responsables de ces tragiques événements.

 

Début mai 2020 le message « Searching for the Truth » est projeté un peu partout dans Bangkok. Une action symbolique qui a été revendiquée par le « mouvement progressiste » de Thaïlande (“Progressive Movement”) en soutien avec la population qui exige du gouvernement depuis maintenant dix ans justice pour les morts et blessés d’avril et mai 2010.

 

Alexandra Colombier

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