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The Always Reading Caravan : la joie de lire

Journaliste : Eva Garrel
La source : Gavroche
Date de publication : 12/06/2017
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Dans le district de Phrao, au nord de Chiang Maï, les habitants connaissent bien la petite camionnette bleue qui sillonne les routes de village en village et d’école en école pour apporter des livres. A sa tête, Yoshimi Horiuchi, une Japonaise aveugle à l’énergie débordante et au rêve ambitieux : un accès à la lecture pour tous.

 

A l’aube d’une chaude journée de vacances scolaires, la « caravane » arrive dans l’un des villages du district. En une dizaine de minutes, tapis, tables, livres, coloriages et parasols sont installés sur la place du marché transformée en bibliothèque en plein air. Presque instantanément, une dizaine d’enfants arrivent à pied ou à vélo, rendent les livres de la semaine passée, en choisissent d’autres puis s’assoient autour des tables pour lire, discuter, dessiner ou jouer.

 

Yoshimi Horiuchi

 

The Always Reading Caravan (ARC) est le nom de l’association créée en 2009 par Yoshimi Horiuchi, une personnalité singulière qui se distingue par une caractéristique étonnante pour une « livroolique » (comme elle se décrit elle-même) : la cécité. C’est en effet totalement aveugle que cette étudiante en linguistique a décidé de quitter son Japon natal et de s’installer en Thaïlande, avec pour seul but de rendre plus accessible la lecture aux enfants et aux adultes, handicapés ou non, des villages reculés.

 

C’est lors d’un échange universitaire aux Etats-Unis que Yoshimi est sensibilisée à l’inégalité des chances. Elle rencontre de nombreux enfants handicapés ou malades non scolarisés et marginalisés, et est frappée par une société de classes qui n’est pas visible au Japon. « Etre aveugle, c’était facile au Japon. J’étais entourée d’autres enfants atteints du même handicap que moi, j’allais à l’école avec eux. Je n’avais encore jamais compris que je faisais partie d’une minorité », explique-t-elle. Au même mo- ment, Yoshimi se lie d’amitié avec une Thaïlandaise et découvre la culture de son pays. A travers leurs échanges, elle comprend que pour une majorité de Thaïlandais, la lecture est un acte uniquement scolaire.

 

Lors d’une visite, Waeo, jeune fille de 21 ans atteinte de trisomie, plaisante avec une animatrice en imaginant les dialogues des personnages de ses livres

 

Selon l’Unesco, les enfants thaïlandais lisent en moyenne cinq livres par an, contre quarante chez les enfants vietnamiens. « Les premiers livres qu’on leur met dans les mains sont des livres scolaires, commente Yoshimi. La lecture n’est pas vue comme un divertissement mais comme une activité fastidieuse. » Cette découverte est étonnante pour la Japonaise à qui on a lu des livres dès son plus jeune âge. C’est suite à un autre échange universitaire à l’université Thammasat de Bangkok qu’émerge l’idée d’une association qui lierait plaisir de la lecture et égalité des chances. Elle décide alors de se former au sein de l’institut Kanthari, en Inde, qui guide les élèves dans la création de projets sociaux. The Always Reading Caravan constitue son projet de fin d’étude.

 

Son idée de départ est la mise en place d’une bibliothèque mobile, sous forme de bus rempli de livres, qui sillonnerait tous les villages du pays pour apporter des livres et faire découvrir le plaisir de la lecture à tous, sans discrimination de classe, d’âge, de genre ou de capacité physique ; une ambition guidée par la volonté de rendre l’aide qui lui a été accordée tout au long de sa vie. « En tant qu’aveugle, j’ai bénéficié de l’aide de nombreuses personnes qui m’ont fait la lecture et qui ont traduit mes livres en braille bénévolement, explique Yoshimi. On m’a aidée à avoir accès à la lecture, alors si je peux contribuer à aider d’autres personnes à découvrir cette joie des livres, j’aurais le sentiment d’avoir bouclé une boucle. »

 

 

Ann, une animatrice de l’association, raconte une histoire à Kookik, 13 ans, atteinte d’infirmité motrice cérébrale. Pendant plus d’une heure, l’équipe ARC distrait l’adolescente, joue avec elle, la masse

 

Des débuts difficiles

 

Lorsqu’elle s’installe à Bangkok, la Japonaise est confrontée à une réalité décevante : personne n’est prêt à financer le projet de quelqu’un sans expérience. Son ONG est née, mais est alors bien loin de ce à quoi elle ressemble aujourd’hui. ARC n’a pas de bibliothèque ambulante et organise uniquement quelques activités dans des petites bibliothèques et des orphelinats autour de la capitale. En 2011, elle est contactée par la fondation Warm Hearth basée à Phrao qui regroupent différents acteurs sociaux et organisations du district. On lui expose les besoins et les manques de la région et on l’invite à y installer son association.

 

Si Bangkok lui permettait jusque-là de lever des fonds grâce à des actions de sensibilisation, déplacer son ONG à la campagne où les bibliothèques sont très peu développées et où vivent près de huit handicapés sur dix correspondait mieux à ses ambitions. The Always Reading Caravan déménage alors à Phrao en 2012, engage son premier employé et achète la tant attendue caravane : un « book truck », une camionnette colorée qui se déploie pour se transformer en bibliothèque. En 2013, afin de pallier au manque de la ville et d’offrir une plus grande visibilité à l’association, Yoshimi fait construire une bibliothèque communautaire et y organise de nombreuses activités. Le projet est pleinement lancé.

 

Lorsque la bibliothèque ambulante débarque sur la place d’un village, elle est reconnue de tous. « C’est devenu un véritable rendez-vous et c’est très profitable aux enfants. Pendant les vacances, quand la caravane n’est pas là, la plupart d’entre eux restent chez eux devant la télé. Ici, ils peuvent se réunir, échanger », explique Jiew, qui a rejoint l’association il y a deux ans. Si les livres débordent de la caravane, la journée se transforme rapidement en un grand moment ludique. Un groupe d’enfants improvise un atelier coiffure, tandis que d’autres se regroupent autour de l’animatrice pour une activité de création de masques en papier. « Le but de ces visites, c’est avant tout de rassembler les enfants, de développer leur créativité et d’instaurer un espace de partage dans lequel ils se sentent bien », insiste-t-elle. Outre les enfants, quelques adultes du village connaissent également les jours de passage de la camionnette et en profitent pour emprunter des romans ou des magazines.

 

Aujourd’hui, The Always Reading Caravan emploie une équipe de huit personnes et accueille plusieurs volontaires internationaux. En 2016, la bibliothèque mobile à rendu visite à l’ensemble des écoles du district de Phrao. Chaque élève de la région a donc été sensibilisé à la lecture grâce à de nombreuses activités ludiques. Pour l’année scolaire à venir, l’objectif de l’association est d’établir un rendez-vous mensuel dans certaines classes afin que la caravane fasse office de bibliothèque permanente et que les écoles puissent développer de véritables projets autour de la lecture.

 

La bibliothèque communautaire Rang Mai Library est elle aussi très active. Elle dispose d’une très grande sélection de livres pour tous les âges, en thaï et dans d’autres langues, et de nombreux DVD que les habitants peuvent venir emprunter gratuitement. C’est devenu un lieu de vie incontournable de Phrao, où les étudiants viennent profiter de la connexion wifi et les enfants assister aux différentes animations proposées le week-end.

 

La bibliothèque communautaire « Rang Mai », construite et gérée par l’ARC, permet aux habitants de Phrao d’avoir accès à une grande sélection de livres et de DVD

 

Moments de partage

 

Chaque mois, la bibliothèque mobile rend également visite à des personnes handicapées ou à mobilité réduite. Les membres de l’équipe leur apportent des livres et/ou leur font la lecture.

 

Pendant la période des grandes vacances scolaires en Thaïlande, en mars et avril, la caravane reste au garage le week-end, où les activités se concentrent dans la librairie de Phrao. Pendant la semaine, ARC se rend dans les villages, dans les centres éducatifs des communautés reculées ou auprès des personnes qui ne peuvent pas se déplacer jusqu’à la bibliothèque. En un après-midi, Jiew, Yoshimi et Ann lisent des articles « bien être » à Madame Aeo, une aveugle d’une cinquantaine d’années, apportent des romans policiers et des livres d’analyse politique à Monsieur Mens, soixantenaire féru de lecture racontent, des histoires à Kookik, une adolescente de 13 ans ans souffrant d’infirmité motrice cérébrale, avant de se rendre au domicile de Waeo, une jeune trisomique particulièrement pipelette de 21 ans.

 

Les rendez-vous s’éternisent et l’échange de livres se transforme en moment de partage. L’équipe joue avec les plus jeunes, discute de l’actualité, de la météo et plaisante avec les adultes. La plupart de ces personnes sont en contact avec l’association depuis ses débuts et rencontrent les membres d’ARC depuis plusieurs années, entraînant une véritable proximité entre les bénéficiaires et l’équipe.

 

Passionné par la lecture, ce villageois, qui ne peut se déplacer en raison d’un handicap, sélectionne ses livres du mois et échange quelques mots avec ses visiteurs

 

Voir encore plus loin

 

Depuis sa création, ARC a étendu ses horizons. Tandis que la bibliothèque mobile rendait visite aux populations reculées, l’association a fait face à une difficulté majeure : plusieurs tribus montagnardes ne parlent pas thaï. Yoshimi s’est alors rendu compte des difficultés et des inégalités auxquelles sont confrontées ces minorités très pauvres. L’école étant très loin des communautés, beaucoup d’enfants ne sont pas scolarisés et travaillent dans les champs, tandis que les autres sont contraints de marcher plusieurs heures ou de dormir sur place pour pouvoir assister aux cours toute la semaine.

 

Un autre handicap majeur à leur développement est le langage. Lorsqu’ils arrivent à l’école, les enfants ne parlent pas thaï. Pour pallier à ce problème, The Always Reading Caravan a construit deux centres éducatifs tournés vers la petite enfance : le Sunshine Kids Center, pour les enfants de la tribu Akha de la région montagneuse de Monlan, et le Bumble Bee Center, pour ceux de la tribu Karen dans le district de Mae Pang. Ces centres accueillent les enfants de 2 à 6 ans. Ils y reçoivent un enseignement basique, l’objectif étant d’initier les élèves à la langue thaïe et d’augmenter leur confiance en soi afin d’élargir leurs perspectives d’avenir.

 

Si les enseignements sont dispensés par un membre de la tribu, l’ONG de Yoshimi supervise les activités et fait un suivi émotionnel, social, académique et sanitaire complet de chacun des élèves. La caravane mobile leur rend également visite régulièrement pour leur prêter des livres, dispenser des activités ludiques et leur apporter nourriture, vêtements chauds et autres produits du quotidien. Grâce à ces centres, l’ARC espère ainsi combler le fossé qui sépare ces enfants des autres à leur entrée à l’école et rétablir une certaine égalité des chances.

 

Cette belle initiative, fruit du travail acharné de Yoshimi, est un véritable souffle de vie pour la région. Dans un futur lointain, la fondatrice espère voir son ONG se développer jusqu’à la mise en circulation d’une grande caravane pleine de livres se déplaçant quotidiennement de village en village tout autour du pays, « à la manière d’un marchand de glaces ambulant », dit-elle.

 

Afin de continuer à mener à bien ses projets, l’association a besoin de moyens. Pour lever des fonds, Yoshimi se rend régulièrement à Bangkok où elle organise des campagnes de sensibilisation et rencontre des donateurs. Bien que The Always Reading Caravan soit avant tout un grand projet social et citoyen, c’est aussi une organisation qui a à cœur d’insuffler de la joie partout où elle s’immisce. « Yoshi, c’est vraiment la meilleure. Elle peut tout faire. C’est le noyau fédérateur d’ARC », confie Jiew l’animatrice. L’équipe est solidaire et la bienveillance de sa directrice est notable.

 

Si ses yeux lui font défaut, son grand sourire est constant et son désir d’apporter du bonheur autour d’elle sincère. Avec tous ces projets, ce sont finalement ces valeurs – solidarité, tolérance, partage – que la caravane transporte de village en village.

 

Yoshimi pose en compagnie des animateurs de la « caravane », un pick-up aménagé en bibliothèque ambulante

 

(Eva Garrel)

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