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Trois questions à François de Negroni

Journaliste : Olivia Corre
La source : Gavroche
Date de publication : 25/11/2020
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Les écrivains français qui viennent faire leurs emplettes érotiques en Thaïlande, comme Houellebecq, Mitterrand ou Besson, ramènent souvent dans leur valise la même marchandise. Des wagons d’images de syndicats d’initiative et de clichés outranciers sur la vie sexuelle de ces demoiselles à bas prix. François de Negroni, lui, a préféré l’étude sociologique romancée pour évoquer le sort de ces dames.

 

Quelles sont les particularités de Pattaya ?

 

Ce qui frappe d’abord à Pattaya, c’est son caractère univoque de ville-bordel. Une cité entière qui fonctionne comme un quartier réservé. Le rapport sexuel tarifé est à la base de toute une économie de services. C’est ensuite le spectacle improbable, obscène, pittoresque, de vieux carnassiers accourus des quatre coins de la planète, frayant avec de jeunes migrantes prostituées venues des zones rurales défavorisées de la Thaïlande. C’est enfin et surtout l’explosion revancharde du tourisme sexuel de masse, dans un univers capitaliste où les élites ont fait de l’émancipation des moeurs et des pratiques érotiques
permissives leur domaine privé. Pattaya accueille moins la misère sexuelle du monde que la frustration sociale des classes dominées et exclues des modèles hautement sélectifs de la transgression. D’où le mépris hargneux des dites élites (intellectuelles entre autres) pour ces vils consommateurs de chair low-cost. Aux classiques accusations de vulgarité répondent des sommations vertueuses, le recyclage opportun et menaçant des valeurs d’ordre les plus conservatrices.

 

Que dire du travail des ONG ?

 

La communauté internationale ? Parlons plutôt, en l’occurrence, de la gouvernance idéologique, morale, judiciaire, du camp occidental. Ses supplétifs humanitaires ont mille bonnes raisons, y compris financières, de dramatiser au maximum la situation. Notamment en faisant de la lutte contre la pédophilie la mère des batailles. À travers et par-delà ce combat, qui crée un effet de brouillage, le but est de victimiser toute forme de prostitution. Au nom de la marchandisation du corps, qui attenterait gravement à la dignité, à « l’estime de soi », dégâts intimes que les enquêtes n’attestent pas vraiment chez les intéressées. Au nom aussi des trafics qui séviraient dans le Nord-Est paupérisé du pays : existence de filières, fillettes vendues par leurs parents à des recruteurs, etc. Traite des êtres humains, esclavage sexuel, les grands mots à forte valeur ajoutée émotionnelle sont lâchés. Or, si les cas de coercition existent, sans nul doute, ils sont loin d’être la règle. Là encore, des études de terrain sérieuses montrent que la grande majorité des prostituées choisissent de le devenir et exercent à peu près librement leur métier. Loin de moi l’idée de tracer un portrait idyllique de la condition de fille publique à Pattaya. Mais les ONG (elles ne sont pas les seules) tronquent le réel et érigent leurs constructions fantasmatiques en grille de lecture. Dès lors, elles se fixent deux missions principales. L’une policière : la traque des prédateurs d’enfants, avec, à leur tableau de chasse, quelques captures hyper médiatisées. L’autre évangélique : « accompagner la souffrance », aider à la « reconstruction psychologique » de prostituées en général beaucoup plus solides et adultes dans leurs têtes que leurs bienfaiteurs humanitaires.

 

Comment changer la donne ?

 

Il semble que se développe à Pattaya, du moins dans les intentions affichées, une politique d’« assainissement ». Question d’image. Ainsi sont rasés des blocs de bars au profit d’un urbanisme résidentiel ou de bureau, et l’accent est mis sur des projets d’investissement dans le tourisme vert, sportif, festivalier, familial, etc. Mais c’est s’attaquer aux effets sans s’en prendre aux causes (l’exploitation à l’échelle mondiale, les inégalités en Thaïlande). Il ne s’agit pas là d’éradiquer la prostitution, juste de la rendre moins voyante, de la confiner ou de la repousser. Chacun sait que ce type de mesures conduit toujours à un déguerpissement du coeur des villes vers les périphéries. On observe déjà les prémisses d’un phénomène de cette nature à Pattaya. Le démantèlement de certains périmètres chauds a pour corrélat le succès de fréquentation en hausse, parmi les touristes, de bars situés dans le secteur excentré de Sukhumvit. Quant à un endiguement significatif du commerce sexuel, il ne pourrait survenir qu’à partir d’un effondrement de la demande : aggravation de la crise mondiale, ou pénalisation internationale implacable du client.

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