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VIETNAM – ARCHÉOLOGIE: Henri Mansuy, un découvreur du Tonkin à redécouvrir

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 03/11/2020
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Gavroche poursuit l’exploration des entrailles de l’Indochine et des royaumes qui l’ont précédé grâce au travaux de l’archéologue Henri Mansuy dans les années 1900. Un grand merci à Didier Mansuy, son héritier, pour ces passionnantes plongées historiques.

 

Henri Mansuy a visité, en 1909, la caverne de Pho-Binh-Gia. Elle est située à 400 mètres du village du même nom et à 75 kilomètres au Nord-Ouest de Lang-Son dans le Nord du Tonkin. Elle est creusée dans les calcaires permo-carbonifères qui, en cet endroit, terminent au Nord en promontoire aigu, l’immense massif rocheux du Bac-son aussi appelé massif du Kai-Kinh (ou Caï-Kinh).

 

Vaste salle

 

Elle se compose essentiellement d’une vaste salle ne mesurant pas moins de 200 mètres de longueur, sur 60 mètres de largeur et 40 mètres de hauteur. Des couloirs d’érosion, généralement à fortes pentes ou en puits, la font communiquer avec le sommet de la montagne ou s’étendent à des distances considérables qui atteignent parfois plusieurs kilomètres. Leur exploration méthodique n’a pas été faite totalement à cette époque.

 

L’ouverture de la caverne, large d’environ trente mètres, est orientée Nord-Est et se trouve ainsi à l’abri des pluies abondantes apportées par la mousson du Sud-Ouest. Une pente d’éboulis de 25 mètres de hauteur, composée d’un amoncellement de blocs détachés de la voûte et des parois, l’obstrue partiellement.

 

Après avoir escaladé la pente extérieure, il faut descendre autant pour arriver au sol de la grande salle, sol qui est constitué par un remplissage de limons argileux d’inondation paraissant identiques aux alluvions extérieures cultivées.

 

Trois paliers

 

Le talus inférieur se divise en trois paliers ou terrasses. Les deux terrasses inférieures ne renfermaient aucun objet ancien. Le gisement préhistorique occupait la terrasse supérieure. Celle-ci mesure 12 mètres sur 12. Presque entièrement abritée par la voûte, elle est limitée au Sud par les parois de la caverne et se termine, dans d’autres directions, par des pentes à forte déclivité, qui pouvaient permettre aux habitants de se garder de toute surprise. Le sol rocheux primitif, formé d’énormes blocs calcaires fortement cimentés par d’abondantes concrétions stalagmitiques, affecte la disposition d’une sorte de cuvette ou dépression à fond irrégulier. Cette concavité était remplie, sur une épaisseur variant de 80 centimètres à 2 mètres, par une terre assez meuble, grisâtre ou rougeâtre, parfois durcie par des concrétions. Il était possible d’observer à tous les niveaux de petits lits cendreux réguliers gris-clair, avec fragments charbonneux, épais de 2 à 5 centimètres qui renfermaient de nombreuses coquilles fluviales avec abondance d’unios et de melania en forme de petits cônes pointus et très allongés ; des ossements de petits mammifères (singes Semnopithèques de genres variés et des athérures sorte de petits porcs-épics), une molaire inférieure de cheval, quelques débris de tortue.

 

Le dépôt archéologique était surmonté d’une couche de terre noire, riche en matière organique, d’une épaisseur de 0,30 m qui contenait des objets très modernes, notamment de la céramique récente et des ossements de gros animaux comestibles (porcs, bœufs, buffles). Cette couche de surface a été formée par une accumulation de débris de cuisine à l’époque moderne car la caverne servait de refuge pour les populations des villages environnants qui fuyaient l’arrivée des pirates des mers. Lorsque l’intervention française eut lieu, ce sont les pirates eux-mêmes qui s’y cachèrent.

 

C’est à la base du dépôt, sur le bed-rock, que des ossements humains ont été découverts associés à des objets manufacturés.

 

Outillage lithique

 

L’outillage lithique est constitué surtout de haches réalisées en roches locales. Presque tous les instruments appropriés à la percussion sont en microgranite ou en roches éruptives ou métamorphiques ; deux seuls sont en phtanite du calcaire carbonifère. Les instruments destinés à un moindre effort (pilons, molettes, polissoirs, etc.) sont en grès ou en schiste argileux métamorphisé.

 

Les matériaux collectés furent :

 

– des haches à tenons d’emmanchement, de type soie, caractéristiques de la préhistoire de l’Indochine (type soie carrée de l’Extrême-Orient) (figure 2) ;

 

– une grande hache de type ordinaire non exclusivement extrême-oriental, en roche verdâtre ayant toutes les apparences du schiste durci et profondément modifié par un métamorphisme intense (figure 3) ;

 

– trois haches en microgranite (figure 4 et 5) ;

 

– deux ébauches, l’une à contour régulier, l’autre beaucoup plus petite ;

 

– une hache à biseau en phtanite, d’un travail soigné identique à celui des haches à biseau du Cambodge et de la Cochinchine (figure 6) ;

 

– une hache triangulaire à biseau ; chacune de ses faces est limitée latéralement, d’un seul côté, par un sillon longitudinal correspondant exactement à celui qui a été creusé sur la face opposée, dans le but d’obtenir une cassure rectiligne en détachant l’instrument du fragment de roche auquel il adhérait ;

 

– un tranchant de hache en phtanite zonaire verdâtre, à tranchant arrondi, remis par des indigènes occupés à la fouille ;

 

– un grand grattoir en microgranite porphyroïde ;

 

– deux pilons, l’un en grès micacé, en forme de pyramide tronquée à base carrée, d’une grande régularité, l’autre en schiste séricité à section subelliptique ;

 

– dix molettes ;

 

– des grandes plaques utilisées en meules dormantes (figure 13) ;

 

– de singuliers polissoirs sur lesquels des sillons et la convexité intermédiaire se prolongent, sans solution de continuité, sur toute la longueur de la pièce. Le frottement a usé davantage le schiste dans la partie moyenne du bord utilisé qu’à ses extrémités. Le fait peut s’expliquer, dans le mouvement de va-et-vient imprimé à la pièce à polir, la pression exercée a naturellement été plus forte au centre de la course ;

 

– divers autres polissoirs (figure 14) ;

 

– seulement deux instruments en os : deux poinçons ;

 

– des objets de parure : fragments d’anneaux en coquillage ou en roche siliceuse rougeâtre, à grain fin, percés d’un trou de suspension ;

 

– deux fragments de coquille marine de Cypraea d’assez grande taille ;

 

– des céramiques, rares : tessons de vase qui ont été moulés au panier, les empreintes de la vannerie sur leurs faces externes ne permettant aucune hésitation à cet égard ;

 

– des ossements humains qui n’ont pu être conservés : à cause de leur extrême fragilité et de leur état fragmentaire et en raison des mauvaises conditions de fouilles (les ouvriers locaux étaient impressionnés par certaines superstitions). Cinq squelettes d’adultes, deux d’enfants décrits par le professeur René Verneau. Un crâne entier exhumé, le 16 décembre 1906, en présence de monsieur Bonain, garde principal de milice indigène. Pourtant ce n’est pas une caverne sépulcrale.

 

Abri naturel

 

« J’imagine les populations qui ont vécu là aux temps reculés. Des lianes naturelles ou des assemblages de bambous permettaient de monter dans les parties supérieures de la voûte de la grotte tant pour y arracher les nids protéiques des hirondelles, « les martinets » qui produisent le mucus mucilagineux par déglutition, que pour se réfugier en cas de danger ou pour que les enfants s’amusent dans des caches qu’ils s’inventaient, ou encore pour accéder aux parties supérieures de la montagne et aller dans des sortes de tour de garde afin d’observer alentour les dangers potentiels. Le chef emplumé veillait à l’organisation et à l’harmonie du petit clan afin d’assurer sa solidité et sa pérennité qui devaient être indéfectibles pour la sécurité de tous.

 

D’un côté, les feux et cuisines avec tous les reliefs qui en découlaient et qui jonchaient le sol ou s’amoncelaient pour constituer des amas ou boucher les cavités. D’un autre côté, les feuillets, ailleurs des lieux de cultes, des sépultures, etc. Le clan entre soumission et destruction s’auto-protégeait et assurait sa survie, reclus dans son abri naturel obsidional dont il avait fait sa résidence. »

 

Pauvreté de la céramique

 

Le gisement de Pho-Binh-Gia présente une grande ancienneté comparée aux gisements de Somrong-Sen et de Longprao. La pauvreté de la céramique à Pho-Binh-Gia contraste avec l’abondance, la variété dans les formes et la richesse de la décoration à Somrong-Sen. Les objets de parure sont rares. Malgré la découverte de sept squelettes humains sur un espace restreint, l’abondance des polissoirs, des molettes, des meules, des pilons, etc. qui les accompagnaient, incite à rejeter l’hypothèse d’une caverne sépulcrale. Les lits cendreux sont formés d’une cendre gris-clair paraissant à peu près totalement dépourvue de matière animale. L’absence d’ossements de grands animaux comestibles dans la couche vraiment archéologique du gisement porte à croire que les anciens troglodytes de la caverne de Pho-Binh-Gia avaient une alimentation surtout végétale, de mollusques fluviaux et lacustres, rencontrés par milliers à tous les niveaux mais qui ne constituaient jamais de véritables amas, ainsi que le fait a été observé au Cambodge pour les corbicules.

 

Brigade topographique

 

En 1904, le capitaine G. Zeil, chef de la brigade topographique, avait fait exécuter des fouilles dans une sorte de chambre ou cavité latérale à la grande salle. Un foyer avait été découvert mais sans trace d’industrie humaine. On peut supposer que des hommes séjournaient temporairement dans les parties les plus basses de la caverne pendant la saison sèche, puis se réfugiaient dans les parties élevées, à l’abri des inondations, pendant la saison des pluies. Cette hypothèse est très vraisemblable, car le gisement préhistorique de Pho-Binh-Gia, malgré son ancienneté relative, ne paraît pas remonter à une époque dont les conditions climatiques différaient sensiblement des conditions actuelles. Cependant, ce site semble devoir être considéré comme le plus ancien de tous ceux qui ont été découverts jusqu’ici (en 1923) en Indochine.

 

 

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