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ASEAN – GÉOPOLITIQUE : L’Indonésie, la puissance régionale qui veut relancer l’ASEAN

Date de publication : 12/02/2023
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ASEAN ministre affaires etrangeres

 

L’ASEAN sous présidence indonésienne est ici décrite par notre chroniqueur Ioan Voicu.

 

Les lecteurs de Gavroche ont déjà été informés du volet factuel des premières réunions de l’ASEAN présidées par l’Indonésie en 2023. (ici)

 

Dans cet article, nous analyserons les composantes juridiques et institutionnelles de la déclaration à la presse du Président de la 32e réunion du Conseil de coordination de l’ASEAN et de la retraite des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN à Jakarta, 3-4 février 2023, qui peut être considérée comme un document diplomatique important résumant en 53 longs paragraphes le plan d’action de l’ASEAN pour 2023. L’approche sera par nécessité assez sélective, compte tenu de l’espace limité de l’article, mais utilisera la terminologie diplomatique exacte du document original.

 

En plus des 10 membres à part entière de l’ASEAN, les réunions de cette organisation ont également été suivies par le Timor-Leste. Il s’agit de sa première participation dans la famille de l’ASEAN, ce qui signifie en principe qu’il est le 11e membre de l’ASEAN, avec le statut d’observateur.

 

L’actualité du régionalisme

 

Les ministres des affaires étrangères de l’ASEAN ont eu une discussion approfondie sur les priorités de l’ASEAN pour l’année 2023 et sur les moyens de renforcer davantage la Communauté de l’ASEAN, son unité et sa centralité, ainsi que les partenariats extérieurs de l’ASEAN. Ils ont également échangé des points de vue sur les développements régionaux et internationaux et ont réaffirmé leurs engagements communs à promouvoir une paix, une sécurité, une stabilité et une prospérité durables dans et au-delà de la région.

 

Il ressort clairement du document que l’ASEAN partage un ferme engagement à défendre le régionalisme et le multilatéralisme. Ses réunions ont souligné l’importance d’adhérer aux principes clés, aux valeurs partagées et aux normes consacrées dans la Charte des Nations Unies, la Charte de l’ASEAN, la Déclaration sur la zone de paix, de liberté et de neutralité (ZOPFAN), le Traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est (TAC), la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) de 1982, le Traité sur la zone exempte d’armes nucléaires de l’Asie du Sud-Est (SEANWFZ), la Déclaration de 2011 sur le Sommet de l’Asie de l’Est sur les principes de relations mutuellement bénéfiques et l’ASEAN Perspectives sur l’Indo-Pacifique.

 

Une mention spéciale a été faite des recommandations sur le renforcement de la capacité et de l’efficacité institutionnelle de l’ASEAN par le groupe de travail de haut niveau sur la vision post-2025 de la Communauté de l’ASEAN, l’examen et la décision des dirigeants de l’ASEAN sur la mise en œuvre du consensus en cinq points, et la déclaration des dirigeants de l’ASEAN sur la demande d’adhésion du Timor Leste à l’ASEAN.

 

L’ASEAN s’engage à être une organisation robuste et agile, dotée d’une capacité et d’une efficacité institutionnelle renforcées pour relever les défis afin de rester pertinente et importante pour ses peuples, pour la région et le monde, tout en continuant à servir d’épicentre de croissance pour saisir les opportunités pour la prospérité de ses peuples et au-delà de la région.

 

Le dialogue de l’ASEAN sur les droits de l’homme sera organisé en 2023 en Indonésie. Le dialogue vise à fournir une plate-forme régionale pour échanger des points de vue entre les États membres de l’ASEAN et partager les meilleures pratiques et expériences en matière de promotion et de protection des droits de l’homme dans leurs pays respectifs. Il est proposé de poursuivre ce dialogue à l’avenir. L’Indonésie a pris l’initiative d’institutionnaliser le dialogue sur les droits de l’homme.

 

Un engagement important a été réaffirmé pour préserver la région de l’Asie du Sud-Est en tant que zone exempte d’armes nucléaires et exempte de toutes les autres armes de destruction massive afin de sauvegarder la paix et la sécurité dans la région.

 

L’Asie du Sud-Est devrait devenir le centre de la croissance économique régionale et un moteur de la croissance mondiale grâce à une coopération solide, notamment dans les secteurs de l’alimentation, de l’énergie, de la santé et de la finance, comme en témoigne le sous-thème de la présidence indonésienne de l’épicentre de la croissance.

 

Les défis actuels auxquels l’ASEAN est confrontée sont énumérés en détail. Ce sont : le changement climatique, la pandémie, les tensions géopolitiques, l’agriculture, la sécurité alimentaire, la résilience face à des situations futures sans précédent, la sécurité énergétique.

 

La migration, qui est une question très controversée en Europe, ne pouvait être ignorée par l’ASEAN. Les ministres de l’ASEAN ont réaffirmé leur engagement régional à protéger les travailleurs migrants tout au long du cycle migratoire, tel qu’énoncé dans le consensus de l’ASEAN sur la protection et la promotion des droits des travailleurs migrants. Il existe des projets intéressants en la matière : l’adoption d’une déclaration des dirigeants de l’ASEAN concernant la protection des travailleurs migrants en situation de crise et d’une déclaration des dirigeants de l’ASEAN concernant la protection des migrants travaillant sur des navires de pêche.

 

Les questions de santé sont bien couvertes dans la Déclaration de presse de l’ASEAN. L’ASEAN s’est engagée à renforcer l’architecture régionale de la santé au-delà de la COVID-19 en vue d’atteindre la résilience dans la Communauté de l’ASEAN. À cet égard, il existe un accord pour étendre le Fonds de réponse COVID-19 de l’ASEAN afin de répondre à d’autres urgences de santé publique et à des problèmes émergents. Les initiatives sanitaires de l’ASEAN se poursuivront, y compris la mise en service rapide du Centre de l’ASEAN pour les urgences de santé publique et les maladies émergentes. Une approche globale est envisagée, utilisant dans la mesure du possible les mécanismes existants de l’ASEAN, y compris un financement durable, dédié à la prévention, à la préparation et à la réponse aux futures urgences de santé publique potentielles.

 

Coopération institutionnelle

 

Les ministres de l’ASEAN ont reconnu le Forum des îles du Pacifique (PIF) comme la première organisation politique et économique de la région du Pacifique, deux de ses membres étant des partenaires de dialogue de l’ASEAN, à savoir l’Australie et la Nouvelle-Zélande. D’autres discussions auront lieu sur la possibilité d’établir une coopération de secrétariat à secrétariat entre l’ASEAN et le PIF.

 

Une mention appropriée a été faite de l’adoption de la Déclaration conjointe sur la conclusion substantielle des négociations sur la mise à niveau de la zone de libre-échange ASEAN-Australie-Nouvelle-Zélande (AANZFTA) et il a été reconnu que la mise à niveau de l’AANZFTA ouvrirait de nouvelles opportunités, car les parties à l’accord ont assuré qu’il reste de haute qualité, réactif aux défis émergents, prend en compte les pratiques commerciales modernes et reste commercialement significatif pour les entreprises de la région. La signature du deuxième protocole visant à modifier l’accord établissant l’AANZFTA en 2023 devrait entraîner des avantages tangibles de l’AANZFTA.

 

Les ministres de l’ASEAN se sont félicités de la mise en œuvre de l’accord Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP)  qui contribue à la reprise économique et à des accords de commerce et d’investissement inclusifs et fondés sur des règles. Ils ont réaffirmé leur attachement à la mise en œuvre complète et efficace du RCEP et attendaient avec intérêt la création du secrétariat intérimaire du RCEP en tant qu’unité spéciale au sein du Secrétariat de l’ASEAN, qui pourrait progressivement se transformer en un secrétariat autonome du RCEP, afin de renforcer la chaîne d’approvisionnement régionale et de contribuer au programme d’intégration économique de l’ASEAN.



Un engagement important a été réaffirmé pour renforcer la coopération en matière de développement durable, tant entre les États membres de l’ASEAN qu’entre l’ASEAN et ses partenaires. Les ministres de l’ASEAN ont réitéré leur soutien continu à la mise en œuvre effective de l’Initiative sur les complémentarités et au travail du Centre d’études et de dialogue sur le développement durable de l’ASEAN dans la poursuite du programme de développement durable de l’ASEAN. Ils ont réitéré leur engagement envers la durabilité en tant qu’appel universel à mettre fin à la pauvreté, à protéger la planète et à améliorer les moyens de subsistance de la population.

 

Dans le domaine institutionnel, les ministres de l’ASEAN ont souligné l’importance de la centralité et de l’unité de l’ASEAN dans leur engagement avec des partenaires extérieurs par le biais de l’ASEAN-Plus One, de l’ASEAN Plus Three (APT), du Sommet de l’Asie de l’Est (EAS), du Forum régional de l’ASEAN (ARF), et ADMM-Plus. À leur avis, l’établissement d’une confiance mutuelle est impératif afin de renforcer une architecture régionale centrée sur l’ASEAN qui soit ouverte, transparente, inclusive et fondée sur des règles. À cet égard, ils attendent avec intérêt le Sommet commémoratif ASEAN-Japon pour le 50e anniversaire de l’amitié et de la coopération ASEAN-Japon à Tokyo. Ils ont également pris note de la proposition de l’Australie de convoquer un Sommet spécial pour commémorer le 50e anniversaire des relations de dialogue ASEAN-Australie en 2024. Tous ces événements contribueront au développement de la diplomatie multilatérale.

 

Sur le concept de diplomatie multilatérale il convient de rappeler l’avis du professeur français Michel Virally qui écrivait : « L’institutionnalisation de la diplomatie multilatérale au niveau mondial…. ne fait pas sentir ses conséquences seulement dans des cas particuliers. C’est un phénomène de portée générale, qui modifie substantiellement la configuration du champ des forces diplomatiques, sinon le système international lui-même. Tous les États ont intérêt à insérer dans leurs projets ce facteur, susceptible de jouer sur presque tous les plans et dans toutes les affaires internationales, et de repenser leur stratégie diplomatique en conséquence ».

 

Les ministres de l’ASEAN auront à négocier sur de nombreuses questions. Ils ont réaffirmé leur engagement commun au maintien et à la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région, ainsi qu’au règlement pacifique des différends, y compris le plein respect des processus juridiques et diplomatiques, sans recourir à la menace ou à l’emploi de la force conformément aux principes universellement reconnus du droit international, y compris la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (UNCLOS).

 

Sans entrer dans les détails de la question, les ministres de l’ASEAN ont réaffirmé le soutien continu de l’ASEAN aux efforts de la Birmanie pour instaurer la paix, la stabilité et l’état de droit, promouvoir l’harmonie et la réconciliation entre les différentes communautés et promouvoir un développement durable et équitable dans l’État de Rakhine.

 

Conclusion

 

Le dernier paragraphe de la Déclaration à l’examen a une valeur juridique et diplomatique importante. Les ministres de l’ASEAN ont réaffirmé l’importance du Traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est (TAC) en tant que code de conduite clé régissant les relations interétatiques dans la région et en tant que fondement du maintien de la paix et de la stabilité régionales. Ils ont affirmé qu’ils restaient déterminés à promouvoir davantage les principes énoncés dans le TAC et ont souligné l’importance de toutes les Hautes Parties contractantes dans l’accomplissement de leurs obligations en vertu du Traité. Ils ont pris note de la tenue de l’atelier sur la portée géographique et l’application du TAC au Secrétariat de l’ASEAN le 17 octobre 2022 et ont encouragé la poursuite des délibérations approfondies sur la portée et l’application du TAC.

 

Il est utile de rappeler que le TAC compte désormais un total de 51 parties contractantes, dont la Chine, la Russie, la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Inde, le Pakistan, le Brésil, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne. Le TAC est aujourd’hui l’un des traités multilatéraux les plus importants et davantage de pays sont prêts à y adhérer, faisant de la diplomatie multilatérale telle qu’elle est pratiquée au sein de l’ASEAN et dans les relations avec ses partenaires un processus plus complexe dans les années à venir.

1 COMMENTAIRE

  1. La force de l’ASEAN dépend de la volonté de ses États membres. Si rien ne change, elle restera une organisation intergouvernementale dans laquelle les membres prennent les décisions sur la base de l’égalité souveraine et le consensus afin d’éviter l’obstruction par veto. Pas de sanction (au sens juridique) pour le pays qui ne ratifie pas ou ne respecte pas un accord de l’ASEAN. Les questions relatives à l’ASEAN ne sont pas traitées lors des campagnes électorales des pays membres dont les ressortissants s’estiment peu préoccupés par les implications de l’organisation ( notamment sur le plan économique et social) sur leur sort individuel ( principe de non intervention dans les affaires intérieures ). Pas de normes contraignantes communes et surtout un budget réduit : il en résulte qu’en cas de crise au sein d’un pays ( et éventuellement susceptible de produire des effets extérieurs), l’impuissance tend à devenir la règle ; Les ressources pour financer les projets, en particulier de développement et d’infrastructures dépendent de contributions étatiques qui ont tendance à s’aligner sur celle du plus petit donateur et ne disposent pas de d’une source indépendante de revenus ( cas de l’UE ). Si elle n’est pas rapidement consolidée, l’ASEAN pourrait s’effondrer vu l’écart entre les aspirations nouvelles croissantes qui surgissent et des capacités institutionnelles limitées. La redistribution nouvelle et à venir des puissances des principaux acteurs internationaux mettent en lumière la place centrale (au niveau géographique du moins) de la zone ASEAN et du rôle qu’elle pourrait avoir. Sa place centrale dans l’espace “asie-pacifique'” et sa tradition de “non alignement” en font un espace stratégique. La centralité qu’elle promeut, si du moins l'”égoïsme national” et la compétition entre les États membres étaient dépassés pourrait représenter un atout dans les enjeux qui se profilent dans la zone ainsi dénommée “indo-pacifique”. L’Indonésie, de par sa situation démographique, sa place géographique ( trait d'”union” des espaces ), son développement économique est sans doute appelée à jouer un rôle pivot dans un espace que la Corée du Sud dont la stratégie Asean est très active envisage allant de l’Afrique à l’Amérique du Sud ( Indo-ocean indien-Pacifique-nord et sud). Le rôle de l’Indonésie dans la région asie-pacifique ( désormais dénommée “indo-pacifique” ) est, de plus en plus, reconnue comme pouvant avoir un rôle de “leader” par les acteurs internationaux ( G20 ). Pour l’heure, les tensions croissantes entre les USA et La Chine et notamment au sein de la mer de chine méridionale sont au cœur de l’évolution de cette organisation pour les 50 ans à venir. Les orientations qu’elle prendra tout comme les rapports de force qui s’exprimeront dans cet espace dessineront un avenir qui parait être à la croisée des chemins …

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