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ASIE – FRANCE : Toujours parler de corruption, mais quelle est cette réalité ?

Journaliste : Yves Carmona
La source : Gavroche
Date de publication : 30/07/2021
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Les vertus de nos chroniqueurs est qu’ils sont indépendants. Et Gavroche les aime pour cette raison. Plongé dans les livres, l’ancien Ambassadeur de France au Népal et au Laos, Yves Carmona regarde désormais la réalité avec les yeux d’un observateur aiguisé. Sur la corruption, prétendument endémique en Asie, voici ce que cela donne après la lecture de l’essai de Noël Pons : « La corruption, comment ça marche ? Fraude, évasion fiscale, blanchiment » (Ed. Seuil)

 

Une chronique d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal

 

La corruption est à la fois universelle et de tout temps. Il peut être dangereux, parfois mortel, de la dénoncer ou simplement d’en parler. Comme le dit l’avant-propos, “Les couteaux suisses des montages tordus, les sociétés-écran “triangles des Bermudes de la transparence des comptes”, le trou noir de la finance, les “sociétés sur étagères”, les nominee directors, beneficied owner et autres registered agents : bienvenue dans l’univers de la fraude, face cachée de l’humanité”.

 

La plupart du temps, on ne va pas jusqu’aux extrêmes.

 

C’est sans doute pourquoi je me suis plongé dans le livre qui va faire l’objet d’une rapide synthèse :

 

« La corruption, comment ça marche ? Fraude, évasion fiscale, blanchiment » (de Noel Pons, Ed. du Seuil), est un livre rempli de références philosophiques et écrit dans un français parfait. L’auteur se garde en général de citer des noms dont le délit de corruption n’a pas déjà été rendu public.

 

De ce livre de 537 pages, nous avons choisi de retenir les mécanismes, entreprises, personnes qui concernent l’Asie, instrument ou victime. D’autres régions du monde, souvent plus impliquées à commencer par l’Occident, ont donc été laissées de côté.

 

Rassurons le lecteur mais pas le défenseur de la vertu, les exemples de “fraude évasion fiscale et blanchiment” ne manquent pas, y compris dans les pays dits démocratiques. Internet a rendu la corruption plus facile car “tout le monde dispose de la même boite à outils” (p.15).

 

Pays plus ou moins autoritaires

 

Quant aux pays plus ou moins autoritaires, ce n’est pas dans un livre qu’on va les trouver, non que la corruption en soit absente mais elle se fait plus discrète, soit que l’absence d’un système moderne de traçage des criminels leur permette aisément de passer au travers, soit que les fonctionnaires censés lutter contre les corrupteurs aient toujours mieux à faire que de remplir leur mission…

 

1/ Quelles sont les personnes qui sont citées ? Corrompus ou pas, on y trouve deux Présidents de la République en exercice, Jacques Chirac (cf ci-dessous p 107-108), Nicolas Sarkozy qui proclamait fièrement après un G20 : “les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé !”. Deux anciens Premiers ministres, Raymond Barre en 1986, mais le fruit de ses rapines n’est apparu que 30 ans plus tard et Édouard Balladur (également p 107-108). Pierre Moscovici, qui n’a été que ministre, proclamait la même chose au nom de l’UE une décennie plus tard. Un autre ministre en exercice, Jérôme Cahuzac, a commis de sang froid les crimes que l’on sait depuis 2013.

 

Un autre Président en exercice, Donald Trump, y aurait également eu recours vis-à-vis de ses enfants, le but étant toujours de payer moins d’impôts. Plus riche qu’un ministre au point d’acheter les votes de ses électeurs, Serge Dassault a repris le flambeau de fraudeur de son père, sans le talent du fabricant d’avions.

 

Moins riche sans doute, une Amy Lo, gestionnaire de fortune à UBS, n’a pu que jouer un rôle dans ce mécanisme.

 

Riche et puissant aussi au point de se prendre pour Louis XIV, Carlos Ghosn dont les avanies sont bien connues (p 204-207) et sur lequel l’auteur de ces lignes a déjà écrit. Il n’a pas été jugé hors du Japon dont il estime le système judiciaire et carcéral indignes d’une démocratie. A suivre…

 

2/ Quelles sont les entreprises évoquées et les pays qui les accueillent ?

 

“Les banques sont très présentes dans les paradis fiscaux” (p.26-31) et elles le sont particulièrement dans les rétrocommissions (kickbacks).

 

Le but premier sur un plan légal a été de ne pas payer l’impôt sur le revenu au début du XXème siècle. Le crime organisé s’en est vite emparé mais c’est surtout à partir des années 1970 que la fraude a pris son essor, 250 Milliards de dollars par an selon certaines évaluations.

 

Quels sont alors les pays impliqués ? Une première liste ne comprenait qu’un pays asiatique sur 6, Hong Kong. Mais les listes ont varié avec le temps et sont devenues un instrument politique à leur tour sans véritable cohérence, ainsi de pays marginaux par rapport au phénomène comme la Malaisie ou les Philippines. On voit le premier faciliter l’exportation de charbon vietnamien en Corée du Nord qui utilise le crime organisé pour contourner l’embargo dont elle est l’objet. Mais on trouve aussi les « suspects habituels », y compris ceux qui donnent des leçons de vertu au reste du monde comme Singapour qui en fait joue son rôle habituel de soutien de ceux qui ont de l’argent, seule religion de la cité-Etat, et le favorisent d’où qu’il vienne.

 

On y trouve surtout la géographie de la puissance : les empires coloniaux et aujourd’hui la Chine.

 

Les banques les plus actives sont encore les banques suisses mais leurs filiales asiatiques se chargent de faire le travail malpropre, au premier rang desquelles UBS à Hong Kong mais aussi Crédit suisse, Julius Baer, EFG, J.Safraa Sarasin, Pictet et UBP et même la Banque cantonale genevoise(p 64-65).

 

C’est peut-être à Karachi (Pakistan) que se trouve l’exemple le plus tragique de liens entre hommes politiques et criminels de haut niveau (l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, finalement relaxé faute de preuves) pour mettre en place un système facilitant les rétrocommissions mais condamnées par son rival Jacques Chirac après sa défaite électorale. 11 morts, probablement faute d’avoir payé son dû au porteur de valises et à ses complices… (p 107-108)

 

Changeons de lieu et d’époque pour évoquer les GAFAM, certes essentiellement américaines mais les Google, Amazon et autres Facebook ne sont-elles pas mondialisées ? Aucun continent n’y échappe et surtout pas la Chine. Elles aussi misent sur les paradis fiscaux pour payer peu ou pas d’impôts tout en accédant aux marchés les plus rémunérateurs. (p 217).

 

3/ Des règles en sont cependant issues même si elles ne sont pas toujours convaincantes.

 

Tracfin en 1990, le Réglement Général de la Protection des Données (RGPD), instrument de lutte contre l’utilisation frauduleuse de données par les GAFAM (p 227); ne soyons pas étonnés que  Jacques Maire et Ugo Bernalicis aient estimé dans un rapport parlementaire que le régime de contrôle était « illisible” (p.266).

 

L’ONU a produit la convention de Merida, son principal instrument de lutte contre la corruption et identifié le Japon et la Corée du Sud parmi les pays en infraction. Mais bizarrement on n’y trouve pas le Royaume-Uni malgré le contrat Al Yamamah permettant à l’Arabie Saoudite d’acheter des avions britanniques en échange de son pétrole. Si ce n’est pas de la corruption, cela y ressemble (p 270).

 

Enfin la Chine est de tous les trafics, de même la Corée du Nord qui n’existe que parce que la Chine la protège, mais aussi la Corée du Sud censée faire partie des démocraties riches membres de l’OCDE et loin d’être “vaccinée” contre ce mal aussi mondial que la pandémie covidienne.

 

Conclusions : 1/ Seule remarque négative que suscite cet excellent ouvrage : le lecteur pressé pourrait retirer l’impression que son auteur met sur le même plan puissants et misérables, mais cela tient en fait à la structure de l’ouvrage. Qui tire parti de cette “boîte à outils”, décrite avec un luxe de détails, si ce n’est les corrupteurs eux- mêmes ?

 

2/ Il faut parfois se ressaisir pour parvenir à lire sans nausées un tel livre, tant l’étalage que fait cet expert – un demi-siècle et ce n’est pas fini – d’observation du mal est à la limite du supportable. Certains accumulent des milliards mal acquis alors que des multitudes ont à peine de quoi vivre. L’auteur consacre des dizaines de pages à la défense du bien par les lanceurs d’alerte et à la nécessité de les protéger car sans eux, les méfaits ne peuvent que s’aggraver en nourrissant le crime organisé.

 

Soyons optimistes : des progrès ont été faits pour une plus grande transparence comme la Convention de l’OCDE, la Convention de Merida, plus récemment la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique ou le Règlement Général de Protection des Données.

 

D’autres progrès sont encore nécessaires  et possibles, souvent grâce à des femmes comme les juges ou anciennes juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky (les deux se sont ensuite lancées en politique, la première au parlement européen, la seconde actuellement députée à l’Assemblée nationale). Il faut espérer pour le bien de la démocratie que ces efforts porteront leurs fruits.

 

Yves Carmona

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