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BIRMANIE – GUERRE : L’État Rakhine, théâtre de violences sans interruptions

Journaliste : François Guilbert Date de publication : 06/10/2022
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état Chin maison brûlée

 

Depuis la mi-août 2022, la Tatmadaw subit de multiples revers militaires le long de la frontière occidentale de la Birmanie, le nord et le centre de l’État Rakhine mais aussi le sud de l’État Chin (canton de Paletwa). Ces échecs sont les plus sévères subits par les soldats de la junte arrivés au pouvoir en février 2021 estime notre chroniqueur François Guilbert, qui suit de près l’actualité birmane.

 

Sur la scène internationale, ils se manifestent par de nouvelles crispations diplomatiques avec le voisin bangladais. Signes internationaux de la crise : le ministère des Affaires étrangères de Dacca a convoqué l’ambassadeur de Nay Pyi Taw U Aung Kyaw à 4 reprises en 5 semaines (21 et 28 août, 5 et 18 septembre), un record pour ces dernières années. En retour, le plénipotentiaire du gouvernement de Mme Sheik Hasina, Manjural Karim Khan Chowdhury, a été sermonné, son ministre des Affaires étrangères Shahriar Alam ayant ordonné aux gardes-frontières de ne plus laisser passer quiconque venant de Birmanie.

 

Les combats débordent de l’autre côté de la frontière

 

Ces gesticulations diplomatiques où l’on a vu une nouvelle fois les autorités bangladaises sollicitées les autorités chinoises pour peser sur leur voisin commun sont directement la conséquence des combats birmans. Ils débordent en effet de l’autre côté de la frontière. Les tirs de mortiers et de pièces d’artillerie ont entraîné morts et blessés du côté bangladais et rohingya. Dans les temps qui viennent, il est à craindre que ces drames se répètent voire s’amplifient. Depuis Sittwe des renforts de la Tatmadaw ont été acheminés. Or les combats se révèlent déjà très meurtriers. Lors de l’assaut du poste frontière dit Mile 40 le 31 août, les troupes affidées à la junte auraient enregistrées 19 victimes. En représailles de ce lourd bilan, la junte a frappé la zone avec ses avions de combat et des hélicoptères de fabrication russe Mi-35. Par voie aérienne, des armes à sous-munitions pourraient bien avoir été employées ces dernières semaines. Ce déchaînement de violence semble trouver sa raison d’être dans une armée de Nay Pyi Taw sur le reculoir, incapable de répliquer par d’autres moyens, faute de pouvoir accéder aux champs de bataille par les voies routières, celles-ci étant sous le contrôle de ses adversaires de l’Arakan Army (AA). A la suite de ces premiers déboires, deux autres postes sont tombés les 10 et 15 septembre. Face à une offensive bien difficile à contenir, l’armée du général Min Aung Hlaing a dû abandonner une trentaine de position pour consolider ses points d’appui les plus stratégiques dans les États Rakhine et Chin.

 

Aujourd’hui, les lignes logistiques de la Tatmadaw sont harcelées par les coups de main de l’AA

 

Les camions sautent sur des mines tandis que les prisonniers sont, chaque jour, plus nombreux. Le 10 septembre, 25 personnels du camp de Kyain Chaung ont été capturés. Plus préoccupant pour les généraux putschistes, on observe des désertions. Le 22 septembre, 38 hommes en uniforme ont rejoints les rangs de l’AA. Au-delà de ce type d’hémorragie, il faut parfois fuir tout simplement pour ne pas être submergé par l’ennemi. Une position importante sur la rivière Lemyo, qui coule du sud de l’État Chin vers l’État Rakhine, a été abandonnée sans combat par plus de 100 soldats et policiers le 25 août. Il est à noter que les insurgés rakhines peuvent se trouver faire face à des adversaires moins nombreux. Le 26 août, les 150 soldats du camp de Kha Maung Seik étaient assaillis par pas moins de 500 combattants de l’AA. Néanmoins, on est peut-être encore loin de la bataille finale annoncée le 12 septembre par le Dr Nyo Tun Aung, n°2 du mouvement nationaliste rakhine. Une chose est sûre ; sur le terrain, les « points chauds » se multiplient. En outre, les combats se déroulent sur terre y compris sur des sites de premier plan du patrimoine archéologique et religieux (Mrauk-U) mais également sur, et le long des voies fluviales. A la mi-septembre, le Conseil d’administration de l’État (SAC) bloquait les voies navigables des 10 cantons du nord de l’État.

 

Dans l’État Rakhine, les tensions sont actuellement très vives dans six cantons : Buthidaung, Maungdaw, Minbya, Mrauk-U, Myebon et Rathedaung.

 

Au-delà de l’extension rapide du théâtre de guerre, les affrontements armés virent au drame humanitaire. Pour mener ses opérations de contre-insurrection, la Tatmadaw isole les villages, brûlent des dizaines d’habitations et n’hésite pas à les priver d’accès aux médicaments ou à la nourriture, y compris en fermant l’accès aux marchés. Au nord de Maungdaw, toutes les voies navigables sont bloquées. Pour entrer ou sortir de la ville de Matupi (État Chin), les habitants ont l’interdiction de voyager ou de transporter des biens. Quant aux routes reliant les cantons de Maungdaw et Rathedaung et Rathedaung et Ponnagyun, elles sont dans les faits inaccessibles aux civils.

 

La maîtrise des axes de communication y compris est-ouest, entre Rangoun et Sittwe notamment son segment traversant les townships de Kyauktaw et de Pohnangyun, est un des buts des assauts croisés. Cette situation risque d’être annonciatrice d’une nouvelle catastrophe humanitaire. Cette perspective est d’autant plus plausible que les autorités locales affidées à la junte ont sans publicité ordonné aux organisations de la société civile birmane, aux organisations non gouvernementales internationales et aux agences des Nations unies de suspendre leurs opérations. Une décision lourde de conséquences puisqu’elle se traduit par une plus grande entrave à l’acheminement de l’aide humanitaire à au moins 240 000 personnes dans le besoin. En outre, il est devenu impératif de venir en aide à près de 10 000 nouvelles personnes qui ont dû fuir leur lieu d’habitat. Cahin-caha, il faut bien accueillir les fuyards. De nouveaux camps ont dû s’improviser dans des salles de sport ou des monastères (ex. Aung Bala) pour plusieurs centaines de personnes à la fois. Dans l’État Rakhine, au cours du dernier mois écoulé, les personnes déplacées ont vu leur nombre augmenter de 11 %. Dorénavant, selon les données réassemblées par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, ce sont 86 439 personnes à qui il convient de venir en aide dans les camps de déplacés de l’Etat.

 

Sur le champ de bataille, les drames humains sont de plus en plus importants

 

Selon les dires de l’AA, la Tatmadaw aurait même pris pour cible le 23 septembre deux de ses centres de détentions où étaient retenus des soldats prisonniers. Ayant saisi ses adversaires d’une demande de venir récupérer morts et blessés, l’AA n’a pas reçu de réponse. Faute de soins, 2 soldats servant la junte seraient mort des blessures infligées par leurs frères d’armes dans leurs tirs indiscriminés. En soulignant le peu d’empathie du SAC pour ses hommes, l’AA met en lumière une bien cruelle réalité tout en cherchant à s’attirer toujours plus de sympathies de la communauté internationale. Il est vrai qu’elle appelle désormais à être reconnue comme le gouvernement légitime de l’État Rakhine. Ce ne sont pas ses dénis de soutenir les groupes d’autodéfense (PDF) apparus depuis le coup d’État qui lui vaudront la moindre indulgence future du SAC. Non seulement en dehors de l’État Rakhine, l’AA aide les PDF dans leurs propres combats en entraînant leurs hommes, notamment dans les États Kachin et Kayin, en leur fournissant armes, logistiques et renseignement mais il apparaît, de plus en plus, que l’AA veut diriger son combat politico-militaire depuis les zones qu’elle contrôle dans l’État Rakhine et non plus à partir de ses refuges kachins aux confins de la frontière chinoise. Une perspective qui pourrait être grandement facilitée si l’AA maîtrise progressivement les bordures frontalières avec le Bangladesh et l’Inde, ce à quoi elle s’emploie activement et succès depuis deux mois. Par ailleurs, en montrant qu’elle est capable de mener à bien des sièges de plusieurs semaines ou mois avant de l’emporter, de conduire des affrontements de plus d’une heure engageant plusieurs centaines d’hommes, elle laisse entrevoir une dynamique combattante bien dangereuse pour le général Min Aung Hlaing au pouvoir à Nay Pyi Taw depuis 20 mois.

 

François Guilbert

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