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Cambodge : Des crédits carbone au secours de la biodiversité ?

Journaliste : Adrien Le Gal
La source : Gavroche
Date de publication : 12/12/2012
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Les crocodiles au sud, les dauphins à l’est, les oiseaux au nord, les plantes dans les Cardamones… Alors que le développement met en danger la faune et la flore, les ONG et les scientifiques s’impliquent pour trouver des solutions alternatives.

 

Cela ne suffira sans doute pas à sauver le crocodile siamois,mais le symbole a son importance : le 29 janvier dernier, le chef de l’administration forestière décernait l’ordre de Sahametrei à la chercheuse britannique Jennifer Daltry, biologiste et membre de l’ONG de défense de l’environnement Fauna & Flora International. Cette décoration, réservée aux étrangers ayant rendu un service notable au Roi ou au peuple du Cambodge, était jusque-là généralement attribuée à des hommes politiques « amis » – les Thaïlandais Thaksin Shinawatra et Surakiart Sathirathai l’ont obtenue au début des années 2000 – ne faisait pas la part belle aux chercheurs, ni aux militants écologistes. C’est pourtant dans ce domaine que Jennifer Daltry s’est illustrée : c’est elle qui a « redécouvert » le crocodile siamois, dans le massif des Cardamomes, alors que l’espèce avait été déclarée « disparue » en 1992 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN).Mandatée en 2000 par le gouvernement pour étudier les communautés humaines des Cardamomes et leur rapport avec la faune et la flore locales, elle entend alors des rumeurs selon lesquelles des crocodiles seraient encore en vie, et vénérés par certaines ethnies minoritaires. « Nous sommes partis à leur recherche, en essayant de les attirer par des sons particuliers, se rappelle la biologiste. Une nuit, nous en avons trouvé un. »

 

Depuis, Fauna & Flora International a multiplié les interventions sur le terrain pour repérer et protéger les oeufs de crocodiles, en les confiant à des communautés de villageois sensibilisées à la conservation des ressources naturelles. L’espèce connaît alors un regain de vitalité : en 2007, FFI repère 23oeufs, et en 2009, 34.Mais en 2009, aucun nid n’est identifié par l’ONG. Pour l’espèce, qui compte aujourd’hui 250 individus environ – 1% de sa population d’origine – le véritable danger est ailleurs : les barrages de la rivière Atay et celui de la vallée Areng inonderont bientôt les zones de déplacement des crocodiles siamois. Ces derniers font donc face, une nouvelle fois, à un risque d’extinction. Seule possibilité : leur trouver un espace de relocation et les y installer, en obtenant l’assentiment des habitants. « Nous pensons qu’il est préférable qu’ils soient déplacés à l’intérieur du Cambodge, où ils sont plus en sécurité qu’en Thaïlande ou au Viêt-nam », estime Jennifer Daltry. L’espèce n’est d’ailleurs plus présente dans ces deux pays, comme dans le reste du Cambodge. Les crocodiles élevés dans les fermes de Siem Reap ne sont que des cousins éloignés : « Ils ont été croisés à de nombreuses reprises avec d’autres espèces venues d’Australie, où les crocodiles grandissent plus vite et dont la peau est plus propice à l’utilisation commerciale », relève Adam T. Starr, directeur de programme pour FFI.

 

Le silence des dauphins

 

Si l’ONG peut se prévaloir d’entretenir de bons rapports avec les autorités cambodgiennes, toutes les associations intervenant dans le domaine de l’environnement ne peuvent pas en dire autant. En 2003, l’ONG Global Witness s’est fait retirer son statut d’ « observateur indépendant » par le gouvernement, et a multiplié depuis les rapports (1) dénonçant la déforestation et la corruption dans l’exploitation des ressources naturelles. En juin 2009, le gouvernement menaçait de porter plainte contre WWF, qui venait de rendre un rapport alarmant (2) sur la situation des dauphins de l’Irrawaddy (orcaella brevirostris), dans les provinces de Kratie et Stung Treng, en raison de la présence de produits toxiques industriels dans l’eau, rendant la soixantaine de dauphins encore vivants vulnérables à une maladie bactérienne. Sommés de retirer leur rapport et de s’expliquer, les responsables locaux de WWF observent depuis un silence radio sur la question des dauphins.

 

La piste de l’écotourisme

 

La question des oiseaux, autour du lac du Tonlé Sap, est également sensible. La zone, répertoriée en 1997 par l’Unesco comme une « réserve pour la biosphère », est aussi le théâtre d’actes de braconnage – notamment à destination de la médecine traditionnelle – de pêches illégales et de pollution, en raison de la pression démographique. Depuis 1999, l’ONG Osmose intervient auprès de 150 familles pauvres, leur apportant une assistance humanitaire en échange de leur part à ne pas s’engager dans des activités néfastes pour l’environnement. La zone, où se concentrent les touristes venus visiter les temples du complexe d’Angkor, est également idéale pour le développement de l’écotourisme. En 2005, Osmose a mis en place un circuit touristique incluant des villages reculés du lac, et depuis 2007, ces programmes proposent des hébergements chez l’habitant « afin de promouvoir les relations entre le village et le monde extérieur tout en encourageant le respect de l’environnement. » En ce qui concerne les oiseaux, Osmose et Wildlife Conservation Society s’efforcent d’identifier et de collecter les oeufs d’oiseaux dans la réserve ornithologique de la forêt inondée. Il s’agit d’assurer la survie d’espèces de pélicans à bec tacheté, d’ibis, d’outardes, de cormorans, de cigognes à bec ouvert d’Asie dont certaines ne subsistent qu’au Cambodge. Fin 2008, Osmose, épaulée par l’IUCN des Pays-Bas et par le World Fish Center, a mis un place un « réseau de mares protégées », afin d’étudier le comportement et le stock des oiseaux et des poissons dans les zones soustraites à la pêche commerciale. Les résultats devraient permettre de proposer une gestion durable de la zone du Tonlé Sap, où la plupart des villageois vivent de la pêche.

 

Le « sanctuaire » de la faune

 

Au nord-est du pays, le sanctuaire naturel de Lomphat, à cheval sur les provinces de Mondolkiri et de Ratanakiri offre un asile de 250 000 hectares à de nombreuses espèces en danger, parmi lesquelles le tigre sauvage, le léopard, l’ours malais, le gaur, l’ibis à col blanc… Ce dernier est scruté de près par les scientifiques, qui s’inquiètent de la répartition géographique inégale de l’espèce dans la forêt et de la faible résistance des nids à son environnement. Les tigres sauvages du Mondolkiri, souvent chassés pendant les années de guerre, ne seraient plus qu’une trentaine – quelques-uns d’entre eux sont hébergés dans la réserve animalière de Phnom Tamao, près de Phnom Penh. Pour protéger le tigre sauvage, WWF et le programme américain « Conservation Canines » entraînent des chiens renifleurs pour les suivre et identifier leur parcours.

 

La faune cambodgienne est également soumise à une forte pression, notamment en raison de la superficie croissante du territoire cultivé, la cueillette sauvage, les coupes anarchiques de bois pour le chauffage et la construction. La variété de l’écosystème cambodgien – avec les mangroves sur la cote, les forêts toujours vertes des Cardamomes ou du Bokor, les forêts inondées – en fait pourtant une réserve privilégiée, même si la plupart des plantes sont également présentes dans les pays voisins. La taour (ou terminalia cambodiana), autrefois abondante dans la forêt inondée, a quasiment disparu, alors qu’elle était exploitée au début du XXe siècle dans la province de Kampong Cham et dans la région de Chhlong (3). En revanche, deux nouvelles espèces de la famille des solanaceae et des hypoxidaceae, découvertes par l’équipe du laboratoire commun de phytochimie de Phnom Penh USS-IRPF, seront publiées dans la presse scientifique courant 2010. En 2009, François Sockom Mey, biologiste d’origine cambodgienne, né au Viêt-nam et réfugié en France lors de la prise de pouvoir par les Khmers rouges, a également identifié une variété de plante carnivore au Cambodge, la nepenthes bokorensis.

 

L’avenir de la biodiversité au Cambodge, paradoxalement, est peutêtre entre les mains des entreprises occidentales les plus polluantes. En novembre 2009, le Cambodge s’est engagé dans le programme onusien REDD (Réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les pays en développement), qui pose le principe selon lequel en préservant ses forêts, le royaume gagnera des crédits carbone qui pourront être revendus sur le marché mondial. Si ce projet aboutissait, la protection des forêts pourrait devenir plus rentable que le trafic du bois, et les industries étrangères les plus polluantes pourraient investir dans les crédits carbone cambodgiens pour compenser leurs propres émissions (4). Les ONG environnementalistes devraient-elles acheter des concessions de forêts, afin de les protéger et de revendre ces crédits ? Un tel schéma, encore hypothétique, pourrait permettre aux associations de trouver un mode de financement alternatif, à l’heure où la crise a déjà fait fondre les subventions.

 

Adrienb Le Gal

 

(1) Notamment Cambodia’s Family Trees en 2007 et Country For Sale en 2009.
(2) Gavroche, septembre 2009, « Que reste-t-il de la démocratie ? » – « Les écolos dans le collimateur ».
(3) La végétation du Cambodge, revue Bois et Forêts des Tropiques n°144, juilletaoût 1972, p.13. (4) The Babbler n°32, décembre 2009, p. 24.

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