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CHRONIQUES DE SUKHOTHAI: La Vieille Dame ailée

Journaliste : Michel Hermann
La source : Gavroche
Date de publication : 08/05/2019
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Curieusement, le PNC (Personnel Navigant Commercial) est toujours plus affable sur les vols Paris-Bangkok que sur Bangkok-Paris. Cette chronique de Michel Hermann relate un déplorable voyage Bangkok-Paris effectué en 2018 sur une compagnie qu’il ne souhaite pas nommer pour des raisons de courtoisie. Heureusement, elle a nettement amélioré son service depuis.

 

La vieille Dame ailée a perdu ses atours.
Naguère si fière, elle parcourait le monde
Avec panache, survolant telle une onde
Océans, terres, montagnes, villes et bourgs.

 

La vieille Dame a vieilli, laissant derrière elle
Les souvenirs de jours fantastiques et glorieux,
Où, avec majesté, cette reine des cieux
Transportait nos espoirs, nos cœurs et nos belles.

 

La vieille Dame a revêtu ses oripeaux
Et perdu ses ailes blanches. Les flancs repus,
La bétaillère emporte une armée d’inconnus,
Nomades, migrateurs, oiseaux des temps nouveaux

 

Qui se déplacent sans façon par monts et par vaux.
Le voyage au long cours s’est démocratisé ;
Rien à dire. Travailleurs, oisifs, vacanciers,
Solitaires, parqués dans cet étroit boyau,

 

Supportent sans broncher, de Bangkok à Paris,
Les douze heures de vol dans ce confinement,
Où, courbatures, bruit et engourdissement
Transforment un bien portant en corps affaibli.

 

Les temps ont bien changé. Coût et concurrence
Ont rongé les plumes du transporteur ailé.
Les voyages d’antan sont devenus corvées.
Un personnel bougon, dans l’indifférence,

 

Distribue vite plateau-repas et boissons,
Pressé de ranger les chariots et sonner
L’extinction des feux pour, furtivement, se sauver
Vers l’arrière, et s’isoler dans un cocon.

 

Chacun case son corps comme il peut dans son coin,
Jambes tantôt repliées, tantôt allongées,
Coincé entre un vieux gros et un autre agité,
Cherchant, par l’esprit à fuir cet enfer, en vain.

 

Car dans cet espace clos, les heures passent
Avec lenteur, sans se hâter, à l’infini.
Quelques groupes se forment à l’arrières, amis
D’une nuit, complices, qui, de guerre lasse,

 

Ont choisi de voyager debout, verres en main,
Près du carré du personnel naviguant
Entre toilettes et coin boissons. Pendant ce temps,
Les autres, plongés dans un sommeil incertain,

 

Parfois perturbés par les turbulences,
Se tordent sur leur siège, pour, dans un dernier
Sursaut, transformer leur espace étriqué
En improbable divan de jouissances.

 

Qu’il fasse jour, qu’il fasse nuit importe peu.
Le temps s’est arrêté dans la douce pénombre
De la cabine où de furtives ombres,
Glissent sans bruit, le pas mal assuré, l’œil vitreux.

 

Le dernier plateau repas, avant d’atterrir,
Annonce enfin la délivrance, ça sent
La fin. Chacun s’extirpe ainsi doucement
De sa torpeur, entrevoyant avec plaisir

 

Sous la lumière éclatante et le bruit revenu
La terre promise, très loin en contrebas.
La descente commence. Les visages las,
Nez scotchés aux hublots, scrutent, émus,

 

Le terminus de leur voyage d’enfer.
La Vieille Dame ailée pose sa carcasse,
Vibrante et usée, mais toujours vivace,
Sur la piste de Roissy, dans un concert

 

Bruyant de freinage et d’inverseur de poussée.
Cette Dame des airs, fleuron de la France
De jadis, n’est plus qu’une ombre en souffrance
Qui se meurt doucement et vit de son passé.

 

Michel Hermann

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