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DOCUMENTAIRE : Disparition de Jim Thompson : le mystère résolu ?

Journaliste : Arnaud Dubus
La source : Gavroche
Date de publication : 27/08/2019
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Un nouveau documentaire proclame avoir résolu le mystère de la disparition de Jim Thomson. Tout le monde n’est pas convaincu, mais le film, « Who Killed Jim Thompson the Thai Silk King ? », produit par Barry Broman, un ancien diplomate américain, et réalisé par le Franco-Américain Neil Hollander, a le mérite de donner une certaine consistance à une hypothèse déjà avancée dans le passé – par exemple dans le livre de William Warren, Jim Thompson. The Unsolved Mystery – selon laquelle le « roi de la soie » a été tué par des rebelles communistes.

 

Depuis cinquante ans, le mystère de la disparition le 26 mars 1967 dans les Cameron Highlands, au centre de la Malaisie, de Jim Thompson, un ancien agent secret américain qui s’était reconverti avec succès dans les années 1950 et 1960 dans la production de soie thaïlandaise de très grande qualité, passionne nombre de résidents occidentaux en Thaïlande.

 

Pour ceux qui ont visité l’admirable Jim Thompson’s House, dans le quartier de Pathumwan – un ensemble de six maisons traditionnelles thaïes réassemblées en un complexe au bord d’un khlong –, ces salles décorées de précieuses œuvres d’art asiatique restent enveloppées de cette aura de mystère, ce qui n’est pas sans contribuer au charme puissant de l’endroit.

 

Américain originaire du Delaware, Jim Thompson avait connu une brillante carrière militaire durant la Seconde Guerre mondiale. Francophone, il était passé du grade de simple soldat, avant la guerre, à celui de lieutenant-colonel dans l’OSS – comme s’appelaient les services secrets américains avant l’établissement de la CIA – à la fin de la guerre.

 

Cinq fois médaillé, il avait notamment été parachuté à plusieurs reprises dans la France occupée pour des missions clandestines et devait être parachuté en Thaïlande quand le conflit s’est terminé. Devenu chef de station de l’OSS en Thaïlande à la fin de la guerre, il entretenait notamment des contacts étroits avec le Vietminh et d’autres groupes rebelles anti-français de la région, dans la ligne de la politique anticoloniale des Etats-Unis.

 

Peu après avoir démissionné de son poste en 1946, il se lance dans la production de la soie, se disant que ces étoffes de qualité, fabriquées de manière artisanale, pourraient intéresser le marché américain. Et assez rapidement, le succès est au rendez-vous. Les soies de Jim Thompson apparaissent dans les grandes productions cinématographiques américaines de l’époque – de « Ben Hur » à « The King and I » – et l’homme devient une personnalité incontournable de la capitale thaïlandaise.

 

Cela d’autant plus qu’il aime recevoir dans sa superbe maison les célébrités de passage en Thaïlande, comme par exemple Jackie et John Fitzgerald Kennedy, l’écrivain Truman Capote ou le dramaturge Somerset Maugham.

 

Disparu sans laisser d’indices

 

En mars 1967, il part en vacances dans les montagnes des Cameron Highlands, et séjourne au Moonlight Bungalow, un pavillon possédé par des amis. Le 26, après un pique-nique, il part pour une promenade. Ses amis l’entendent marcher sur un sentier proche du pavillon. Puis plus de nouvelles. Jim Thompson disparaît.

 

Des recherches massives sont organisées par l’armée et la police malaisienne, mobilisant des centaines d’hommes, mais aucune trace du roi de la soie n’est trouvée.

 

Dans les années qui suivent, de très nombreuses hypothèses font surface pour expliquer cette étonnante disparition. Certains pensent qu’il aurait pu être éliminé par la CIA elle-même, peut-être du fait de son opposition à la guerre du Vietnam. D’autres penchent pour une affaire de mœurs : Jim Thompson était connu pour ses aventures romantiques et il aurait été l’amant de l’épouse d’un ambassadeur américain en poste à Bangkok. Une hypothèse moins glamour est qu’il aurait été tout simplement renversé par un camion sur la route et que le chauffeur aurait fait disparaître son corps.

 

L’hypothèse avancée dans le documentaire de Barry Broman repose sur deux témoignages. Le premier vient de Willis Bird Jr, dont le père était un ami de Jim Thompson et un officier de l’OSS. « Mon père m’a dit qu’en 1967 Pridi Banomyong avait invité Jim Thompson à venir le voir en Chine. Jim avait accepté, car il pensait que Pridi était un ami de l’OSS », a-t-il indiqué après la projection du documentaire au Foreign Correspondent’s Club of Thailand (FCCT).

 

Pridi Banomyong, l’un des hommes clé de la révolution de 1932 qui avait renversé la monarchie absolue au Siam, avait dû s’exiler en Chine en 1951 après avoir tenté un coup d’Etat contre le gouvernement du maréchal Phibulsongkhram.

 

Le deuxième témoignage est aussi indirect. Teo Pok Hwa, un ancien cadre du Parti communiste de Malaya (CPM), a déclaré à sa famille sur son lit de mort qu’il avait été mis au courant de ce que des membres du CPM avaient exécuté Jim Thompson en Malaisie. « Jim Thompson avait pris contact avec le parti communiste malaisien et voulait rencontrer Chin Peng, leur leader. Les communistes ont trouvé cela suspicieux. Ils ont vérifié le background de Jim Thompson et ont découvert qu’il n’était pas une personne ordinaire. Il a ensuite été exécuté par des membres du CPM », a expliqué Teo Pin, neveu de Teo Pok Hwa, lors d’une conférence d’avant-projection au FCCT.

 

L’hypothèse est donc la suivante. Voulant rencontrer Pridi, Jim Thompson s’est dit que le meilleur moyen était de contacter des rebelles communistes dans un pays voisin de la Thaïlande – l’accès direct à la Chine étant quasi-impossible pour un Occidental au plus fort de la Guerre Froide. De là, il espérait partir, accompagné de rebelles communistes, au Cambodge et sans doute rencontrer Pridi dans ce pays où l’ancien Premier ministre thaïlandais disposait d’excellents contacts, voire passer en Chine à partir du Cambodge. « Le chef communiste de ce petit secteur s’est demandé : « qu’est ce que je vais faire avec ce blanc ? ». Le plus facile était de le tuer », indique Neil Hollander, le réalisateur du film.

 

Pas de preuves formelles

 

L’enquête de Barry Broman et de Neil Hollander n’a pas permis de trouver des documents écrits qui pourraient corroborer cette hypothèse, laquelle repose donc sur deux témoignages oraux de seconde main. « On a trouvé deux personnes différentes qui n’étaient pas en contact l’une avec l’autre et qui disaient la même chose. Pour nous, c’est la preuve », indique Neil Hollander, le réalisateur.

 

Certains observateurs ont souligné que les deux témoignages ne se recoupaient pas vraiment. Barry Broman, qui a travaillé avec Neil Hollander sur plusieurs documentaires en Asie du Sud-Est, notamment dans le Triangle d’Or, reconnaît que son film n’élucide pas tout. « Nous ne disons pas que cela est absolument conclusif. Nous ne savons pas exactement qui l’a tué, où est son corps, ni même pourquoi Pridi Banomyong voulait le voir », a-t-il indiqué après la projection du documentaire.

 

Si l’on suppose que cette hypothèse est la bonne, la méthode utilisée par Jim Thompson pour « passer en Chine » ou rencontrer Pridi ne manque pas de surprendre. Étant donné son expérience avec l’OSS et le fait qu’il était probablement resté en contact avec le CIA au moins jusqu’à la fin des années 1950, il semble étrange que l’Américain ait pris contact avec un groupe communiste local pour demander à voir le chef suprême du CPM. Cela d’autant plus que le CPM, à l’époque, était fragmenté en multiples petits groupes, lesquels n’entretenaient pas de communications fréquentes les uns avec les autres.

 

Jim Thompson n’avait-il pas de meilleurs contacts ? N’y avait-il pas, pour quelqu’un de sa réputation et de son envergure, une voie moins risquée ? « Jim Thompson était un aventurier, mais cette fois-là, il était au mauvais endroit, au mauvais moment », estime Teo Pin, le neveu de l’ancien cadre du CPM. « Il n’était plus en contact avec les milieux du renseignement depuis longtemps et ne savait tout simplement pas dans quoi il se fourrait », renchérit Barry Broman.

 

Cinquante ans exactement après la disparition de Jim Thompson, cette nouvelle théorie ravive immanquablement l’intérêt pour ce qui reste une des grandes énigmes de la région ; elle ne clôt toutefois pas le dossier : nul doute que les débats sur ce qui est véritablement arrivé à cet amoureux de la Thaïlande et des arts asiatiques ont de beaux jours devant eux.

 

Arnaud Dubus

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