Retour en arrière. Direction l’Indochine Française. Oublions un instant, si cela est possible, l’épidémie de Covid 19 et la tourmente économique qu’elle engendre. L’homme que nous suivons est notre ami François Doré, chroniqueur sans pareil de la littérature francophone de l’époque coloniale. Il nous invite cette fois à la «Table des 22», dressée par le romancier Maurice Geneste dont, malheureusement, nous ne savons rien à ce jour…

Une chronique de François Doré, Librairie du Siam et des colonies

Il s’agit là d’un livre très intelligent, mais malheureusement nous n’avons pu découvrir qui en est l’auteur. Bien que paru en 1958, soit plus de vingt ans après les faits qu’il relate, il est évident que l’auteur a bien connu la Cochinchine des années 1926 à 1938.

André Gernez vient de sortir de l’Ecole Coloniale. Jeune homme candide, moderne Lucien de Rubempré, c’est avec l’enthousiasme de ses 25 ans et les idées humanistes de sa génération qui a connu la fin de la Grande Guerre, qu’il demande à partir en Indochine. L’Indochine, la bête noire des hauts fonctionnaires du Ministère : ils ne la sentaient pas bien en mains ; les indigènes étaient insaisissables… L’Afrique, au moins, ne posait pas de problèmes. Les Noirs, bons enfants fidèles, acceptaient avec reconnaissance toutes leurs décisions’..

L’arrivée à Saïgon

Après la longue traversée en paquebot, le voilà donc qui arrive à Saïgon. Jeune administrateur des Service Civils, sa carrière indochinoise qui ne durera pas dix ans, se partagera en trois postes successifs : il sera d’abord l’adjoint du chef de la province de Cantho, puis chef de la province de Chaudoc, à la frontière du Cambodge, et enfin deviendra chef de la Sûreté de la Cochinchine.

Au total, donc, une carrière brillante, mais qui, pour André, sera la découverte de la réalité de l’administration coloniale indochinoise. Et, ce qui fera la réussite de ce roman, c’est que chacune des étapes de cette découverte ne se fera qu’à travers trois femmes, Hoa, la frêle et douce Vietnamienne, Irène, la jolie Eurasienne, et enfin la blonde Suzy, Française sensuelle et libérée.

Le premier poste à Cantho commencera par un quiproquo : lui, jeune et dynamique, venu pour assurer le bonheur des indigènes et faire face aux problèmes qui peuvent surgir entre l’Orient et l’Occident, va se trouver confronté au seul problème qui agite la petite communauté française locale divisée entre ‘les joueurs de manille bousillée, en corps de chemise et les amateurs de bridge, veston obligatoire’… le tout bien sûr géré par des positions politiques bien arrêtées : les joueurs de manille avaient l’aval de la Loge, de l’Amicale Corse et du député local, et les bridgeurs comptaient en leurs rangs les représentants de la banque et plusieurs porteurs de la Légion d’Honneur.

L’amante vietnamienne

Un séjour qui lui permettra également de découvrir la médiocrité de la petite diaspora française qui l’entoure comme lorsqu’il va rendre visite au Président du Tribunal et qu’il est arrêté par un chien qui montrait des crocs menaçants : ‘Ne craignez rien, dit aimablement la maîtresse de maison, il ne mord que les indigènes. Elle ajouta : c‘est un chien très intelligent…’. Heureusement , il rencontrera un jour Mademoiselle Hoa, jeune institutrice. Grâce à elle, il découvrira petit à petit la réalité de la vie du paysan de la région, de ses croyances, de ses souffrances. ‘Hoa était subtile, intelligente, elle était le mystère. La saisir dans ses bras eut été l’union de deux inconciliables… Femme émouvante, curieux mélange d’atavisme asiatique et de ce besoin de renouvellement qu’avaient fait naître ceux venus d’Occident’…

André sera appelé à Saïgon et les amants devront se séparer. C’est là, alors qu’il attendait de connaître sa nouvelle nomination, qu’André, un jour où il remontait la rue Catinat, décida de s’asseoir à une des tables de la terrasse qui faisait le coin avec la place du théâtre. A ce moment là un garçon s’approcha et lui dit que cette table était réservée aux édiles, notables et haut-fonctionnaires de la cité. C’était la table des 22 à laquelle il n’avait pas le droit de s’asseoir !

Résident à Chaudoc

André sera nommé résident à Chaudoc, près de la frontière cambodgienne, à un moment difficile où les Nationalistes vietnamiens commencent à faire parler d’eux. Yen Bay, puis le Ha Tinh, puis la Cochinchine, autant d’étapes d’une contestation du colonialisme qui prend de l’ampleur. Et c’est encore une femme, la jolie Irène, qui l’aidera à affronter les moments de doute du jeune homme, devant la brutalité de la répression coloniale. Mais c’est aussi à de nouvelles chaînes qu’elle l’attachera en lui faisant découvrir un nouvel asservissement à l’opium…

La sureté de Cochinchine

Pourtant, les chefs d’André se félicitent de ses réussites, et il est nommé directeur de la Sûreté de la Cochinchine. La partenaire de cette ultime expérience indochinoise d’André, sera la jolie petite Madame Cadet, Suzy pour les intimes, et ils étaient nombreux… Épouse volage du directeur de la plus grande maison de négoce de Saïgon, ce sera elle qui, tout au long d’une aventure torride, apprendra au nouveau directeur de la Sûreté à renier ses idéaux et à comprendre, une fois toutes ses illusions perdues, ce qu’est la trahison… André fera merveille dans sa chasse aux mouvements nationalistes qui agitent la capitale cochinchinoise, jusqu’au jour où ses services lui apprendront que c’est une mystérieuse femme qui se trouve à la tête de leur adversaire implacable…

François Doré

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