La diplomatie n’est pas un dîner de gala

Date de publication : 26/09/2020
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Notre ami et chroniqueur Yves Carmona est un grand lecteur. Il nous a récemment gratifié de sa lecture des mémoires de John Bolton à la Maison Blanche. Le voici, lui l’ancien Ambassadeur de France au Népal et au Laos, confronté à un autre auteur, qu’il côtoya dans la «vraie» vie: Claude Martin, l’un des diplomates les plus en vue du Quai d’Orsay.

 

Une chronique littéraire d’Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Népal et au Laos. Le livre: «La diplomatie n’est pas un diner de gala» (Ed. Aube)

 

On ne résume pas un livre de Claude Martin, on le lit, on le savoure, on en referme à regret les presque mille pages qu’on lit comme un roman d’aventures.

 

C’est une œuvre majeure, dont le titre « La diplomatie n’est pas un dîner de gala » ne dit pas tout car il est impensable de résumer une carrière aussi singulière en une phrase. Titre négatif, provocateur comme l’auteur a aimé l’être, non parce que sa personnalité le porterait à l’affrontement mais parce qu’il a pratiqué de la diplomatie bien plus que les « réceptions de l’ambassadeur » chères à une publicité pour des chocolats.

 

Il est venu à la diplomatie pour deux raisons convergentes : la fascination de l’Orient et la volonté de servir la France puis l’Europe.

 

Il est loin d’être le seul mais il montre à ces tâches une énergie et une intelligence peu communes. Et à les relater une qualité de la langue française qui sont également plutôt rares.

 

Une longue fréquentation de la Chine

 

D’autres lectures de son œuvre existent dans la presse, le lecteur intéressé pourra s’y reporter.

 

L’auteur de ces lignes, qui a eu à plusieurs reprises Claude Martin comme supérieur hiérarchique, se contentera donc d’en esquisser quelques thèmes et surtout d’en conseiller la lecture !

 

Claude Martin fréquente la Chine depuis son enfance.

 

La vocation asiatique de Claude Martin naît très tôt grâce à un parent. L’oncle de son père est missionnaire à Mandalay où il soigne les lépreux avant d’être, à 80 ans, décapité par la soldatesque impériale japonaise en déroute.

 

Ce sont ses mémoires et en particulier ses photos qui nourrissent l’imagination du jeune Claude Martin et le conduisent à Langues O en même temps qu’à Science Po. En effet, admirateur de De Gaulle revenu en 1958 de son exil à Colombey-les-deux Églises, l’étudiant se destine au service de l’État quand le temps en sera venu.

 

Or, la reconnaissance par de Gaulle de la Chine continentale dès 1964 donne au jeune devenu entre temps lauréat de l’ENA l’occasion, à 19 ans, de découvrir à la fois l’Asie de ses rêves à travers la Chine millénaire et la diplomatie dans l’ambassade toute jeune de Pékin.

 

L’une et l’autre ne le quitteront jamais !

 

De la Chine, il a tout connu, il a parlé d’elle avec tous ceux qui l’ont aidé à mieux la connaître.

 

Côté français, au MAE d’André Travert et Georges Yakovlievitch, lecteur émérite de la presse au temps de la Révolution culturelle, à Sylvie Bermann, une de ses anciennes élèves en chinois et ambassadrice heureusement préférée à un politique en 2011- l’incompétence linguistique n’est pas toujours gagnante… Paul Jean-Ortiz, un de ses émules promis à lui succéder mais devenu conseiller diplomatique du Président Hollande au grand dam de tous ceux qui s’y voyaient déjà est hélas disparu trop jeune.

 

De grands journalistes amis aussi avec qui il part en longues virées dans tout le pays, comme Francis Deron et Jean Leclerc du Sablon.

 

Et du côté chinois, ses dirigeants successifs forcément, notamment Mao Zedong et ses émules et ses successeurs, y compris ceux qui ont perpétré le massacre de Tian’anmen en 1989. L’auteur est alors directeur d’Asie et ne ménagera pas sa peine pour faciliter la fuite d’une partie des rescapés.

 

Il lui en cuira car le premier ministre Li Peng le lui reprochera quand il deviendra en 1990 ambassadeur de France en Chine. Le premier ministre chinois l’accuse de n’avoir pas su expliquer à ses dirigeants que la Chine n’était pas une colonie de l’Occident – air connu !

 

Pire encore, ses interlocuteurs lui en voudront de n’avoir pu empêcher une politique pro-taiwanaise qui permit à quelques marchands d’armes français de gagner beaucoup d’argent avant que Chirac, élu Président en 1995, y mette fin pour assécher les commissions qui avaient bénéficié à son rival.

 

Admiration pour Deng Xiaoping

 

Mais Claude Martin a aussi connu ceux qui ont su faire avec ténacité de l’Empire du Milieu la grande puissance qu’elle est devenue et l’auteur ne cache pas son admiration pour Deng Xiaoping, l’artisan de la libéralisation économique.

 

Mais il est loin de ne fréquenter que des politiques : des auteurs comme les prix Nobel de littérature Gao Xingjian et Moyan, des peintres tels Zao Wouki, des cinéastes comme Zhang Yimou, tout un peuple – y compris des femmes dont il vante surtout la beauté, une terre, des villes, la pollution qui le prive de paysage lors d’un dernier voyage en train Pékin-Shanghaï passé de 36 heures à ses débuts à 3 heures en TGV. Il a tout connu de la Chine et on s’épuiserait à tout mentionner. Mais ce que l’auteur de ces lignes croit sans peine, c’est que c’est vrai, Claude Martin a vraiment tout connu de la Chine !

 

Avant, pendant et après y avoir été ambassadeur, nommé par Roland Dumas dont la duplicité sur les ventes à Taipei est confondante. Il n’a alors que 45 ans et a été choisi au pire moment de la relation entre Pékin et Paris.

 

Cependant, il continuera toujours à fréquenter la Chine parce qu’il l’aime – il l’épouse !

 

Est-ce le fait du hasard ? son autre grand œuvre asiatique a été de réconcilier une très vieille monarchie avec son peuple, celle du Cambodge. Il brosse de Norodom Sihanouk un tableau tendre, éploré aussi car il trouve que la France ne le soutient pas quand l’occasion lui en est donnée et le jette faute de moyens dans les bras des Khmers rouges et de la Chine. L’auteur a fréquenté pendant des décennies le Roi, à Pnomh Penh avant qu’il fuie Lon Nol et les généraux factieux soutenus par les exactions américaines, à Pékin quand l’accueil intéressé ménagé par la Chine fait du Roi un otage anti-vietnamien, ainsi qu’à Paris.

 

On connaît l’histoire : c’est grâce à la conférence que Claude Martin a réussi à monter avenue Kléber en plein drame à Tian’ anmen que les « quatre tigres » – les Khmers rouges de Pol Pot et Khieu Samphan, les républicains de Son Sann soutenus par Washington, les communistes mis en selle par le Vietnam dirigés par Hun Sen, et un fils du Roi, Ranariddh – ouvrent la voie à l’APRONUC, l’opération de maintien de la paix la plus importante (15 000 casques bleus) que l’organisation ait jamais organisée. Opération décidée en 1990 quand Claude Martin est nommé à Pékin et qui verra ensuite le jour, avec succès puisqu’elle aboutit au retour à la paix d’un pays qui a tant souffert.

 

Un français magnifique

 

Il faut le remarquer, Claude Martin écrit dans un français magnifique tout en étant des plus classiques. Il rejoint ainsi la cohorte des ambassadeurs écrivains. Mais s’il use fréquemment du passé simple, presque désuet aujourd’hui où on ne sait plus utiliser que le présent, voire de l’imparfait du subjonctif, ce n’est pas pour faire de la langue une barrière mais très simplement pour raconter une histoire. D’autres moyens ne lui sont pas étrangers, comme le cinéma qu’il aime ou l’opéra qu’il adore, qu’il soit de Chine ou d’Europe dans leur immense diversité.

 

Mais ce serait avoir de lui une vision fausse que d’en faire un homme du passé. L’Union européenne en est le signe.

 

Il a très vite compris que la France toute seule ne pouvait pas grand-chose. Qu’elle devait, pour exister au-delà de ses traditionnels points forts culturels et gastronomiques, trouver avec ses alliés européens au premier rang desquels l’Allemagne les impulsions nécessaires à la création d’une diplomatie européenne ambitieuse. Il écrit, sans être suivi, des notes où il défend une politique appuyée sur un petit nombre de gouvernements animés par cette ambition et ayant les moyens de la mettre en œuvre, condamne le traité de Nice (2000) et la Constitution européenne rejetée par le corps électoral en 2005 et trouvera dans les neuf ans passés à Berlin la relative consolation d’un dialogue avec ceux qui partagent avec lui cette volonté de voir l’Europe tenir enfin son rang.

 

Publié en 2018, le livre ne dit pas si les récentes évolutions de l’Union européenne satisfont davantage cette ambition…

 

Conclusion : Claude Martin fait partie d’une élite. Pas seulement une élite acquise par concours pour la vie mais une élite intellectuelle gagnée en permanence tout au long de sa carrière. Claude Martin ne fait pas partie d’un grand corps, sauf les dernières années où il passe quelques années de confort à la Cour des comptes. Il ne dit rien non plus d’un éventuel enseignement à l’Ecole.

 

Car il est au-dessus ou à côté des dirigeants politiques ou administratifs dont il ne craint pas de critiquer la superficialité. Il a certes appartenu à des cabinets ministériels mais sans jamais s’aveugler sur les faiblesses de ses ministres.

 

L’amitié de Jacques Chirac

 

A l’inverse, conscient que les hommes politiques apprécient chez lui une compétence chinoise et asiatique qu’il construit par des contacts incessants avec ceux dont il gagne l’amitié, c’est sur cette compétence, sur cette connaissance intime qu’il fonde sa carrière et sa réputation.

 

Ainsi le Président Chirac veut-il bien le nommer ambassadeur à Berlin, qui sera son dernier poste diplomatique faute d’avoir pu le convaincre d’être à nouveau ambassadeur en Chine – il a déjà donné – mais à condition qu’il lui parle aussi de l’Empire du Milieu, passion commune aux deux hommes !

 

Car il aime ce pays non pour ses dirigeants du moment – il n’a pas eu de chance – mais pour son peuple, sa terre, son histoire, celle des Européens qui l’ont « découverte », c’est-dire fait connaître ou méconnaître à l’Occident.

 

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