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MALAISIE – HISTOIRE : Mahathir, Anwar : un incontournable duo

Date de publication : 03/07/2023
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Mahathir Anwar

 

Une chronique historique et géopolitique d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal.

 

On ne peut évoquer le Dr Mahathir Mohamed sans Anwar Ibrahim, son « meilleur ennemi » selon la presse, et l’un et l’autre sans la Malaisie qu’ils ont voulu sortir du sous-développement. La voilà en passe d’y parvenir avec des politiques souvent en rupture avec le « consensus de Washington » – grâce à des recettes peu conventionnelles, ou malgré elles ?

 

Il est vrai que la Malaisie est elle-même complexe. Constituée par le colon avant tout pour faire des affaires, elle est parvenue à l’indépendance plus tard que d’autres et par étapes. Elle bénéficie d’une densité moyenne relativement faible et c’est un atout au milieu des foules asiatiques, mais elle profite aussi de la diversité de ses milieux écologiques. A ses portes, dans la région du monde aujourd’hui la plus dynamique, se trouvent deux locomotives économiques, Singapour et la Thaïlande même si celle-ci connaît depuis des décennies un parcours troublé.

 

Nos deux hommes d’État souvent adversaires ont su tirer parti de ces qualités et construire une économie nationale dont l’industrie manufacturière constitue un fleuron.

 

La Malaisie, c’est d’abord une longue histoire appuyée sur une géographie particulière.

 

Avant d’être colonisée par les Européens, elle a été peuplée par des bouddhistes puis un millénaire plus tard tributaire de souverains musulmans de Java qui tirent déjà leur puissance du commerce dont le point central est Malacca, au cœur des détroits et en contact avec le grand amiral chinois musulman Zheng He (15ème siècle).

 

Elle est ensuite colonisée par le Portugal, les Pays-Bas et enfin l’Angleterre qui imposent par leurs armes, leurs techniques de navigation et leur administration – Calcutta dirige d’abord l’Empire britannique – qui a l’habileté de maintenir en place des sultans à qui elle impose à travers un protectorat, un résident ou un conseiller leur domination fondamentalement commerciale (Compagnies des Indes orientales).

 

Les principales ressources en sont les épices, l’étain et après la 1ère guerre mondiale le caoutchouc naturel dont elle est le 1er producteur mondial.

 

La 2ème guerre mondiale est marquée par l’invasion japonaise suivie par une insurrection communiste, une répression violente menée par les Britanniques qui doivent se résoudre à l’indépendance de la fédération de Malaisie dans le cadre du Commonwealth en 1957 à laquelle sont ajoutées deux provinces de Bornéo en 1963 et une tentative infructueuse d’étrangler Singapour, chassé mais indépendant en 1965, qui a su devenir un des pays les plus riches du monde et tire maintenant la croissance de la province limitrophe de Johor Bahru.

 

La Malaisie présente ainsi un relief complexe puisqu’il va du niveau de la mer aux Cameron Islands, à plus de 1000 m, à quelque 200 km de la touffeur de l’ex-capitale Kuala-Lumpur, au Mont Kinabalu, plus haut sommet du pays (4095 m) au centre d’un parc national classé, doté d’une grande biodiversité, et bien sûr l’omniprésence de la mer.

 

La Malaisie, pays de traditions

 

Ainsi de la rotation des sultans, « probablement la monarchie la plus étrange du monde » écrivait « the Economist » en 2017. On n’y faisait guère attention jusqu’à ce que le premier ministre de l’époque, Najib Razak, soit accusé d’avoir détourné 700 Millions $. Le sultan pourrait-il y remédier ? Le pays en a 9, chacun régnant sur une province et étant à tour de rôle chef d’État pendant 5 ans. Depuis 1990, ils n’ont plus qu’un rôle décoratif, la réalité du pouvoir étant monopolisée par Mahathir Mohamed qui s’est servi à l’époque du fâcheux exemple d’un chef d’État scandaleusement assassin de son domestique au golf…

 

Enfin, au Nord se trouve la Thaïlande dont les 3 provinces limitrophes sont musulmanes et ne peuvent actuellement être traversées sans risque car la rébellion y sévit. Bien que la Malaisie se défende de toute responsabilité dans cette guérilla, ce voisinage agité ne favorise pas sa croissance.

 

Elle a heureusement d’autres moteurs : l’agriculture représente encore 16% de l’emploi avec, grâce à sa diversité, à la fois des cultures développées par les Britanniques : huile de palme, cacao, pommes, prunes, fraises et pour la consommation intérieure des cultures tropicales comme bananes, noix de coco, durian, ananas, riz et ramboutan. Bornéo est particulièrement productive et on y défriche les champs, de manière excessive, par écobuage, engendrant de gigantesques incendies.

 

Quant aux autres secteurs, c’est le Dr Mahathir qui a voulu les moderniser.

 

Mohamed Mahathir est né en 1925, fils d’un Malais musulman venu d’Inde et d’une mère malaise, il est devenu médecin militaire avant d’être élu au Parlement dès 1964. Il connaît ensuite une carrière politique entrecoupée de nombreux épisodes : émeutes raciales de 1969 qui contribuent à sa défaite, son parti, l’UMNO (Organisation nationale des Malais unis) s’appuyant sur les Malais au détriment des électeurs d’origine chinoise.

 

Dans les années 70, il se rallie à la politique favorisant les autochtones, les « Bumiputra » (fils du sol) Malais musulmans. Ceux-ci ont droit, dans le cadre de la « Nouvelle politique économique » à divers avantages (« Affirmative action ») liés en particulier à la religion et portant sur l’éducation, la propriété, les intérêts économiques, l’investissement, le logement, etc.

 

Mais il est exclu de l’UMNO jusqu’en 1972, retrouve plusieurs portefeuilles ministériels à partir de 1976 et est élu Premier ministre de 1981 à 2003. Rallié à l’islamisme, Mahathir dérivera vers des déclarations antisémites.

 

Dans ces hautes fonctions qui font de lui un des hommes d’État les plus influents d’Asie, il applique une politique nationaliste diamétralement opposée aux recommandations des experts du FMI notamment pendant la crise asiatique (1997-98) qui a vu les monnaies locales dégringoler rapidement. Protectionniste quand le « consensus de Washington » prône le libéralisme, il épargne à son pays les effets les plus nocifs de la crise asiatique. Vilipendant fonds de pensions et spéculateurs tout en gardant son pays ouvert aux échanges et aux investissements étrangers, il impose temporairement une parité fixe entre ringgit et dollar américain et instaure un contrôle des capitaux afin de limiter les mouvements de devises. Des mesures radicales qui permettent finalement de stabiliser l’économie. Et le refus de plier devant les exigences du FMI qui préconisait un ringgit flottant renforcent sa stature d’homme d’État, capable de braver l’orthodoxie néolibérale (le fameux « consensus de Washington ») comme d’adopter une solution pragmatique et in fine efficace.

 

D’autre part, il est à l’origine de plusieurs projets économiques dont certains ont survécu comme les tours jumelles de Petronas, les plus hautes du monde à l’époque (452 m) et qui peuvent résister à un séisme de magnitude 7,2, la nouvelle capitale Putrajaya, etc; en revanche l’automobile produite par Proton, appuyé à l’origine sur Mitsubishi, n’a jamais eu un marché suffisant.

 

Mahathir favorise l’identité asiatique, notamment à travers l’East Asia Economic Group centré sur le Japon. Par ailleurs, la Malaisie fait partie des fondateurs en 1967 de l’ASEAN. Il se retire en 2003 mais critique vertement ses successeurs Badawi puis Najib, quitte l’UMNO et à la tête du parti BERSATU redevient premier ministre en 2018.

 

Cependant, c’est l’opposition avec sa nemesis Anwar Ibrahim qui précipite sa chute en 2021, à 94 ans, l’homme d’État le plus âgé au monde.

 

Anwar Ibrahim, né en 1947, est vice-premier ministre de 1993 à 1998 avant d’être jeté par le Premier ministre Mahathir en prison pour corruption puis sodomie, un crime selon la loi. Il n’est libéré qu’en 2018 et, après avoir gagné les élections, devient Premier ministre en 2022.

 

Anwar est un combattant. Déjà emprisonné pendant 20 mois à partir de 1974 sans jugement pour avoir participé à des manifestations étudiantes, il entre au gouvernement en 1982 dont il devient ministre des finances et vice-premier ministre lors de la crise asiatique. Mais sa vie est ensuite dominée par les accusations et emprisonnements avant que Mahathir ne fasse mine de se réconcilier avec lui en 2018, mais il devra attendre 2022 pour devenir Premier ministre, à 75 ans.

 

Intelligent, plutôt libéral en économie, il soutient le FMI lors de la crise asiatique, défend l’économie libérale de marché, l’investissement étranger et l’ouverture commerciale. Plus généralement, il s’oppose au népotisme et au favoritisme qui sévissent au sein de l’UMNO et se confie à ses interlocuteurs étrangers, y compris l’ambassadeur de France, quand il se sent menacé.

 

Quand il n’est pas en prison, il enseigne dans diverses universités étrangères puis revient au Parlement.

 

Son combat, il le livre pour une plus grande démocratie islamique, l’indépendance de la justice et une bonne gouvernance. La politique favorable aux « Bumiputra » qu’il soutenait à l’origine devient plus récemment un « problème majeur » car elle favorise la corruption.

 

Commentaires personnels.

 

1/ Mahathir et Anwar se rejoignent en cela : l’islamisme est là pour soutenir les progrès de la Malaisie, non pour une affirmation intégriste. Loin du Proche-Orient, la Malaisie affirme une foi respectant au moins en partie les autres cultes même si une politique discriminatoire a prévalu jusqu’à présent. La Malaisie fait partie de l’Organisation Islamique Internationale (OCI), elle ne cherche en rien à s’isoler. La France en a bénéficié, notamment dans les programmes d’armement, et il faut souhaiter que ce soit encore le cas à l’avenir.

 

2/ Autre point commun entre les deux frères ennemis, la Malaisie et l’ASEAN doivent, quelles que soient les vicissitudes, rester au centre de l’Asie. C’est vrai au niveau politique et diplomatique, c’est également le cas des emplois les plus exposés : l’immigration, dont elle est un des pays receveurs les plus importants, est là pour construire la Malaisie de demain.

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