Home Accueil THAÏLANDE – CHRONIQUE : Le raz-de-marée touristique, un fantasme thaïlandais ?

THAÏLANDE – CHRONIQUE : Le raz-de-marée touristique, un fantasme thaïlandais ?

Date de publication : 31/03/2023
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touristes Thailande

 

Notre ami et chroniqueur Patrick Chesneau regarde les occidentaux de passage en Thaïlande avec curiosité. Et pas que les occidentaux…

 

A Bangkok, le ministre du tourisme vient de claironner un objectif : 80 millions de visiteurs étrangers en Thaïlande en 2027. D’ici quatre ans.

 

Action prioritaire, Phiphat Ratchakitprakarn veut augmenter drastiquement les capacités d’accueil des principaux aéroports du Royaume, à commencer bien sûr par Suvarnabhumi et Don Mueang, aux portes de la capitale. Et simultanément, préserver l’environnement à tout prix. Éviter la congestion et l’engorgement qui prévalaient avant la pandémie. La Thaïlande ne recevait alors que… 40 millions de visiteurs par an. Dans ses nouvelles prévisions, le ministre en veut au moins le double. Certes, il mise sur des touristes à haute valeur ajoutée (quality tourists) candidats à des séjours longue durée et adeptes des tribulations à forte vertu écolo. Mais aucune étude d’impact n’est prévue en préalable. Quelles seraient les conséquences d’un tel afflux sur la société siamoise ? Comment les différents secteurs de l’activité économique encaisseraient-ils le choc ? Dans quelle mesure devraient-ils s’adapter ? ” Mai ruu ” (on ne sait pas). Ouvrir les vannes en grand tout en protégeant efficacement la nature, le ” en même temps ” gouvernemental ressemble fort à une quadrature du cercle.

 

Et s’il y avait un jour plus d’étrangers que de Thaïs en Thaïlande ?

 

La question peut sembler iconoclaste, presque virtuelle, inutilement provocatrice dans le contexte actuel. La population de ce beau Royaume avoisine les 68 millions de sujets. On est donc très loin d’une quelconque disparition programmée. Mais c’est sans compter les effets de la mondialisation. Par ces temps de reprise des échanges et des voyages, l’écart pourrait tôt ou tard aller en se creusant au détriment des autochtones de cette latitude du bas Mékong. Est-il envisageable que dans certains lieux très prisés des vacanciers, il n’y ait plus, à horizon rapproché, que des aliens de passage ou de séjour ? C’est déjà le cas, par exemple, à Koh Phi Phi  Maya Bay, James Bond Island dans le sud, ou au Mae Klong market sur voie ferrée ou au marché flottant Damnoen Saduak en périphérie de la mégapole. Le tourisme, formidable cash machine. Aubaine pour un pays orienté business, avide de croissance et de devises. Pourquoi ne pas déverser le déluge sur l’ensemble du pays ? Ce ne serait que la stricte application du concept de tourisme de masse. De 20% aujourd’hui, la part de l’industrie des vacances bondirait à 70% du PIB qu’on hésiterait auquel cas à appeler thaï. Scénario qui tient encore, fort heureusement, de la fiction : le poids des étrangers augmentera t-il au point de devoir un jour prochain, qui sait, transférer physiquement la capitale ? Bangkok se verrait ravir le titre par Patong-Phuket ou Pattaya, lieux d’ancrage des plus grosses communautés étrangères sur le sol national thaïlandais. Krungthep Mahanakorn, nom originel, ne figurera plus que dans les livres d’histoire.

 

Une Thaïlande sans Thaïlandais,…

 

A quand cette perspective cauchemardesque ?  Une Thaïlande où les étrangers seraient exclusivement entre eux.

 

Certes, pourront être aménagés des enclos avec un chapelet de survivances de vie thaïe. Quelques bar girls vernaculaires ça et là, des bières Leo dans certains estaminets homologués, pour accompagner deux trois plats devenus totalement exotiques au Royaume de Siam, le pad thai, le kaw pad muu, ou le som tam. C’est vraiment tout. D’ailleurs, les accueillantes sylphides de Soi Cow boy ou Nana Plaza à Bangkok, Walking Street ou Soi Buakaw à Pattaya et Bangla road à Phuket ne viendront plus majoritairement d’Isaan. Arrivages par charters directs du kazakhstan, de Russie ou d’Amsterdam. Dans le futur dispositif qui prévaudra en toutes provinces, rien qui pourrait permettre le retour à une Thaïlande authentiquement thaïe, une entité des origines. Non, numériquement ce calcul ne sera plus possible compte tenu de la disproportion numérique entre 80 millions de touristes et nettement moins de Thaïs. D’ailleurs, pourquoi ralentir une courbe en grimpette exponentielle ? Prochaine étape, passer le cap des 100 millions. Seuil aisément franchissable à force de campagnes de promotion sur les grands marchés émetteurs de la planète. Le seul pré-carré de la survivance thaïe sera t-il cette fois encore l’ilot historique de Rattanakosin dans la Cité des Anges ? Nouveau pôle salvateur de résistance au raz de marée peu ou prou destructeur.

 

Une Thaïlande étrangère à elle-même, serait-ce un cas inédit ? Une Thaïlande où les natifs feraient la queue pour demander un renouvellement de visa ou une extension de séjour dans ce qui était leur chez eux. Jadis. Dans des temps antédiluviens…dont on peine à garder le souvenir. C’était quand le tourisme n’avait pas encore pris l’allure d’une thrombose à pareille échelle. Quelle serait la réaction de la population totalement phagocytée par un agglutinement aussi massif de touristes importés des quatre coins du monde ? A la fois, bizarrerie effrayante et attraction unique. Peut-on imaginer à quoi ressemblerait une Thaïlande en déficit structurel de Thaïs?  Destin peau de chagrin. Une Thaïlande occidentalisée, dont le seul contrepoint serait une sinisation aujourd’hui rampante, demain accélérée. Perspective binaire: pays Farang, pays Chinois. En vis à vis.

 

Rêve ou cauchemar ? Sur fond d’objectifs contradictoires, comment concilier l’inconciliable ? Au bout du bout, le scénario heureux ” sabai sabai sanook sanook ” l’emportera-t’il sur le risque de l’enfer tropicalisé ?

 

Patrick Chesneau

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