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La disparition de Jim Thompson par Vincent Hein
C’est le plus grand des hasards qui a conduit Vincent Hein à se pencher sur la double énigme Jim Thompson, celle de l’homme et celle de sa disparition, après qu’il ait visité sa maison lors d’un séjour à Bangkok.
Le prix Pierre Mac Orlan vient de lui être décerné pour cet ouvrage.
« Je l’ai trouvée belle et mystérieuse. Mystérieuse comme ces endroits dont on ressent, sans trop pouvoir dire pourquoi, qu’ils recèlent tout autant trésors et secrets ».
Trésors et secrets vont progressivement émerger sous la plume de l’auteur à travers un récit sous forme d’enquête qui commence au Moonlight Cottage dans les Cameron Islands le lendemain de la disparition de Jim Thompson en mars 1967. En alternant entre les lieux et le temps, l’enquête nous plonge dans les semaines précédant et suivant la disparition de cet esthète solitaire mi-ombre mi-lumière qui s’était épris d’amour pour la Thaïlande, « un pays selon son cœur », écrit Vincent Hein.
« Au début je pensais que j’avais à faire à un homme d’affaire qui avait simplement bon goût et « réussit », comme on dit, sa vie professionnelle. Un mondain sympathique. C’est tout à fait respectable, mais il n’y avait pas de quoi en faire un livre. Même sa disparition mystérieuse ne le justifiait pas. Et puis à force de lectures et de recherches, je me suis rendu compte de la complexité de ce personnage. Il était tout à la fois obscur – garant de secrets bien gardés car inavouables – et lumineux, car doté d’un sens de l’honneur, de la liberté, de la justice sociale et de la dignité exceptionnel. J’ai trouvé en lui un personnage camusien en somme » explique Vincent Hein.
L’enquête s’articule autour de chapitres courts, intimistes, gourmands de détails aussi bien visuels qu’olfactifs, qui nous font pénétrer dans l’univers de cet homme aux multiples vies pour mieux en cerner la personnalité.
On chemine à travers les lieux qu’il aimait fréquenter et où il avait ses habitudes, on s’installe à ses côtés sur le « lit à opium qui faisait office de canapé » dans sa maison « dédiée à l’art, à la beauté, à l’altruisme et au calme ». On côtoie au fil des pages les personnages qui l’ont accompagné ou croisé, qu’il a aidés ou dont il s’est méfié.
« Je pense que Jim Thompson était une sorte de “communiste” qui s’ignorait. En tout cas il avait compris qu’une société ne peut pas fonctionner correctement sans qu’il y ait partage et redistribution des richesses. Il aurait en quelque sorte pu faire partie du Conseil de la Résistance qui préconisait pour la France, un service public fort, pour un pays fort », poursuit Vincent Hein.
Mais, comme par coups de canif, Vincent Hein réveille le lecteur envouté par ce personnage de légende qui évolue dans une époque en pleine transformation. Pour lui, sa disparition ne peut s’expliquer qu’en décortiquant le contexte géopolitique de cette région du monde où plane l’ombre de la CIA sur fond de guerre du Vietnam.
« Il est certain qu’il gênait beaucoup de monde. Et je me suis aperçu que tous avaient intérêt à ce qu’il disparaisse. En lisant le livre de William Warren, sur sa disparition, je me suis rendu compte que quelque chose clochait. Son récit semblait cousu de fil blanc. L’histoire est trop bien ficelée pour être honnête. Un peu comme ces procès où le verdict est connu d’avance. Nous n’avons pas de preuves, mais nous savons qu’il s’agit de vieilles techniques de services secrets. Ils se trahissent d’ailleurs souvent en mettant trop en avant certains faits. Leurs arbres cachent souvent, avec une maladresse étonnement presque infantile, des forêts obscures et silencieuses ».
Solange Bailliart
Ouvrages de l’auteur : Kwaï (Phébus, 2018) – Les flamboyants d’Abidjan (Stock, 2016) – L’Arbre à singes(Denoël, 2012) – À l’est des nuages, carnets de Chine (Denoël, Paris, 2009).
La disparition de Jim Thomson (arléa, 2021) – Prix Pierre Mac Orlan 2022 – 181 pages
