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THAÏLANDE – JUSTICE : Guerre des clans au sommet de la police royale thaïe (RTP)

Date de publication : 04/04/2024
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Torsak-Sukwimon Surachet-Hakphan

 

Une analyse de Philippe Bergues

 

Que se passe t-il au sommet de la police royale thaïlandaise pour que le premier ministre, Srettha Thavisin, ait récemment décidé de mettre sous postes inactifs son chef, Torsak Sukmivol, et son chef adjoint, Surachate Hakparn, alias « Big Joke », à la réputation « d’incorruptible » ?

 

Ces deux personnalités éminentes de la police sont accusées dans deux grosses affaires distinctes de corruption, bien qu’elles renient en bloc leur culpabilité et, à ce stade des enquêtes, sont présumées innocentes. Mais ces deux affaires mettent aussi en lumière la rivalité des deux hommes qui étaient en lutte, en septembre 2023, pour devenir chef de la police royale (RTP). Le clan Torsak, dont les experts disent « qu’il avait l’aval du Palais » pour obtenir le poste, malgré une moindre expérience prétendue que son rival, l’avait emporté sur le clan Surachate. Il faut rappeler que le général de police Torsak Sukmivol n’est autre que le frère du maréchal Satitping Sukmivol, secrétaire personnel du roi et nommé président du Royal Property Bureau en 2017.

 

L’avocat anti-corruption Sittra Biebangkerd charge le chef de la police

 

Les révélations, lors d’une conférence de presse surréaliste la semaine dernière, d’une vaste entreprise de corruption généralisée au sein de la police, ont mis en émoi le royaume. Non pas que le public soit naïf sur les pratiques de certains officiers, mais cette fois-ci, le cœur du système est directement mis en cause par l’avocat anti-corruption, Sittra Biebangkerd. Le chef de la police royale en personne, le général Torsak Sukmivol.

 

Les affirmations de l’avocat suggèrent l’existence d’un réseau policier dirigé par le sommet, destiné à générer des revenus mensuels supplémentaires grâce à la corruption. Le juriste, à l’appui d’enregistrements de conversations, de bordereaux de transferts d’argent et de relevés bancaires, affirme que le réseau génère 100 millions de bahts (2,54 millions d’euros) de pots-de-vin par mois, grâce à des activités criminelles à travers le pays. Jeux d’argent illégaux (les casinos sont toujours interdits en Thaïlande), cigarettes de contrebande et drogues sexuelles seraient les vecteurs de ces énormes rentrées de cash.

 

De surcroît, Sittra aurait démontré l’organisation d’une « mafia policière » en cinq régions couvrant le royaume, le Nord, le Nord-Est, le Centre, l’Est et le Sud, avec des commandants et policiers de haut rang impliqués à toutes les échelles. Face à de telles allégations stupéfiantes, le général Torsak Sukmivol, chef de la police, n’a eu d’autre choix que de porter plainte pour diffamation.

 

Engager une procédure pour atteinte à son honneur. Avant de se rétracter en début de semaine. Lors de cette conférence de presse, l’avocat Sittra Biebangkerd, également secrétaire général de la People’s Lawyers Foundation, a pris soin de préciser qu’il n’agissait « au nom de personne ». Y comprendre au nom du général Surachate, le chef adjoint de la police, rival de Torsak, lui-même accusé dans une affaire de corruption de jeux en ligne, dont Sittra est réputé proche.

 

Car Sittra est allé en profondeur dans sa mise à l’index du général Torsak Sukmivol en citant « un prétendu paiement de 800 000 bahts d’un compte mule à un monastère » effectué par le chef de la police, modalités similaires « aux paiements versés à la famille et aux proches du général Torsak ». L’avocat Sittra a également affirmé que l’épouse du chef de la police royale, Nipaphan Sukmivol, présidente de l’association des femmes de policiers, avait reçu plusieurs millions de bahts d’argent sale sur 38 « comptes-mules » entre 2019 et 2023.

 

Face à ces graves accusations, Torsak les a totalement réfutées avant d’engager des poursuites contre l’avocat pour diffamation aggravée. Mais dans un rebondissement digne d’un polar, l’avocat du chef de la police royale a indiqué que son client retirait sa plainte contre son confrère, afin que la défense puisse se concentrer sur l’établissement de preuves niant le blanchiment d’argent et « pour se protéger des allégations de vouloir réduire l’avocat militant Sittra au silence ». Ambiance !

 

Les autorités, face à un tel « scandale policier » potentiel ternissant l’image du royaume, ne pouvaient rester les bras croisés. Le premier ministre, Srettha Thavisin, a mis à l’écart les deux protagonistes de la “guerre des clans ” au sein de l’institution policière et a nommé un chef par intérim, le général Kittirat Phanphet. Lequel a promis que le service juridique de la police royale thaïlandaise examinerait au plus près ces graves accusations. Sous entendu, la police royale ne doit pas perdre la face aux yeux du public, même si son crédit semble actuellement bien atteint. D’énormes tensions existent entre les deux factions rivales, des officiers étant fidèles au général de police Torsak Sukmivol, d’autres à son homologue du même grade, Surachate Hakparn.

 

Surachate alias « Big Joke » s’est rendu mardi suite à trois refus de convocations

 

Le chef adjoint de la police, Surachate Hakparn, n’a eu le choix que de se rendre mardi 2 avril à ses collègues policiers, suite à la délivrance par le tribunal d’un mandat d’arrêt contre lui pour des accusations de blanchiment d’argent. Mandat d’arrêt émis car le général Surachate ne s’était pas présenté à trois reprises à un interrogatoire sur l’affaire suite à des convocations officielles.

 

Que reproche-t-on à « Big Joke » ? Depuis septembre 2023, le général de police est accusé d’être lié à un réseau de jeu d’argent en ligne illégal BNK Master, auquel l’une de ses amies « Minnie » serait impliquée, sa résidence a été perquisitionnée et huit policiers subordonnés à Surachate ont été arrêtés le jour du raid. Dans le contexte précis où le poste de chef de la police nationale allait être pourvu avec Surachate comme l’un des favoris. D’autant qu’il avait la réputation d’être « incorruptible » et chasseur des corrompus dans la police. Coup tordu ? “Je ne suis pas inquiet” a t-il affirmé à sa sortie du poste de police. Les meilleurs limiers de la rubrique « police-justice » des médias nationaux ont établi une concomitance inquiétante entre le discrédit porté à ce moment précis envers Surachate et la nomination imminente du nouveau chef de la police.

 

Par conséquent, le général Torsak Sukmivol a été nommé patron de la RTP le 27 septembre dernier par le premier ministre Srettha, sans attendre si les accusations contre Surachate étaient fondées, comme des membres de la commission de l’institution policière le demandaient. Beaucoup d’observateurs suspectent Torsak d’avoir été à la manœuvre pour éliminer « Big Joke » du poste suprême, mais, à ce jour, les preuves ne sont pas établies. Une véritable guerre des clans.

 

Quelles issues à ces affaires hyper médiatisées qui consternent les Thaïlandais ?

 

Le moins que l’on puisse dire est que l’image de la police royale ne sort pas grandie de ces affaires aux yeux du public. « Corruption endémique à tous les étages » est une expression qui revient beaucoup ces derniers jours dans la presse écrite et audiovisuelle thaïlandaise.

 

« La police royale thaïlandaise a besoin d’une refonte complète » titrait l’éditorialiste Arun Saronchai sur le site d’informations Thai Enquirer. Pas en reste, le Bangkok Post annonçait en Une, « Les flics au bord du gouffre ». Ce qui reflète le sentiment de l’opinion publique.

 

La Commission nationale anti-corruption (NACC) risque d’avoir beaucoup de travail dans les mois à venir et le premier ministre Srettha a créé une commission spéciale chargée d’enquêter sur les diverses allégations. L’avocat militant Sittra a porté l’affaire Torsak au niveau politique en donnant lundi des informations au Move Forward Party sur ces suspicions touchant le chef de la police et son épouse, pour voir si cela pouvait être débattu au Parlement.

 

La lutte fratricide entre les clans Torsak et Surachate aura eu le mérite d’exposer au grand jour des scandales nationaux de corruption au sein de la police royale. Le génial John Burdett, auteur de polars de l’immense série Bangkok 8, Bangkok Psycho, Bangkok Tatoo etc… n’aurait pas renié un tel scénario.

 

Philippe Bergues

 

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1 COMMENTAIRE

  1. John Burdett n’aurait pas renié un tel scénario, c’est certain. Il faut surprendre ou étonner le lecteur, mais la police Thaïe transpire tellement la corruption que cela n’étonne personne.

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