Home Accueil THAÏLANDE – POLITIQUE : Faire barrage au parti « Move Forward » devient un quasi mot d’ordre

THAÏLANDE – POLITIQUE : Faire barrage au parti « Move Forward » devient un quasi mot d’ordre

Date de publication : 04/06/2023
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parlement en Thaïlande

 

Notre chroniqueur Philippe Bergues brosse le tableau des oppositions actuelles à la formation d’un gouvernement dirigé par le parti « Move Forward ».

 

Tous les moyens sont bons pour faire barrage à la formation d’un gouvernement de coalition de huit partis qui serait dirigé par Pita Limjaroenat, leader du Move Forward, grand vainqueur des élections du 14 mai dernier. L’ordre ancien, comme prévu, a multiplié cette semaine des déclarations menaçantes et envisagé des scénarios sombres pour aller à l’encontre du mandat populaire de Pita, clairement énoncé par le peuple thaïlandais. L’intégralité des forces conservatrices manœuvre avec ses prérogatives institutionnelles pour disqualifier le parti vainqueur, proposer un gouvernement d’union nationale qui exclurait le Move Forward ou pour avancer la nécessité d’un coup d État. Il est évident que ces forces conservatrices n’avaient pas imaginé un tel raz-de-marée de l’opposition qui les laisse à 77 sièges sur 500 à la Chambre basse, en cumulant les chiffres de l’United Thai Nation de Prayut Chan-o-cha et du Palang Pracharat de Pravit Wongsuwon.

 

Les avertissements de Wissanu Krea-ngam, vice-Premier ministre et juriste de Prayut

 

Wissanu Krea-ngam, gardien juridique du gouvernement Prayut, qui gère les affaires courantes avant la mise en place d’un nouveau, n’est que trop expérimenté pour savoir que ces petites phrases de la semaine n’allaient semer des fortes réactions. Selon le Bangkok Post, il a déclaré mercredi au siège de Government House que la plainte contre la participation de M. Pita dans iTV Plc était un « facteur clé ». Voyons ces déclarations lourdes de sens : « si une plainte vise simplement l’éligibilité de M. Pita, il ne sera plus député mais il pourrait toujours être Premier ministre, car le Premier ministre n’est pas tenu d’être député. Si une plainte vise la qualification de M. Pita en tant que Premier ministre, il pourra toujours être député, mais peut-être pas Premier ministre. Si la plainte vise les deux statuts, le tribunal statuera sur les deux. Une plainte pourrait également remettre en question le fait que M. Pita a endossé les adhérents du parti Move Forward. Dans ce cas, il faudrait qu’il y ait de nouvelles élections générales nationales.  C’est au plaignant de décider. La Cour constitutionnelle statuera sur la question précise posée dans la plainte ».

 

Comment ne pas voir dans les propos de Wissanu une pression intense sur la Commission électorale et, a fortiori, sur la Cour constitutionnelle à disqualifier Pita et au-delà, à envisager une dissolution pure et simple du MFP ? Institutions, rappelons-le, contrôlées par les conservateurs militaro-royalistes, qui dans un passé récent, ont utilisé les mêmes recettes pour dissoudre l’ancienne version du MFP, le Future Forward et bannir d’éligibilité politique pendant dix ans ses trois leaders d’alors, Thanathorn, Piyabutr et Pannika Wannich. Rangsiman Rome, député réélu du MFP et figure montante du parti, n’a pas tardé à réagir aux provocations calculées de Wissanu en se demandant « si son objectif est de distraire et de manipuler les sénateurs pour qu’ils hésitent à soutenir le MFP. Si c’est le cas, cela signifie qu’il ne respecte pas la décision de personnes qui ont exercé leur droit de vote ». Et d’ajouter sur la controverse des actions de Pita que « tout a été préparé et il n’y a rien à craindre. C’est de l’intimidation en politique alors que le côté opposé a publié les nouvelles iTV Plc pendant les élections ». Avec certitude, on ne pourra connaître l’issue de ce bras de fer juridico-électoral qu’au moment où la Commission électorale aura certifié les députés et il lui reste 45 jours au plus pour le faire. Avant que l’élection du House Speaker (président de la Chambre basse) et du Premier ministre ne puissent avoir lieu, ce dernier avec les votes des 500 députés et des 250 sénateurs, réunis en Parlement.

 

Des sénateurs bavards prédisent le chaos et veulent un gouvernement d’union nationale

 

Il est évident que le programme réformateur du Move Forward et de Pita, dont les grands thèmes ont été repris dans le protocole d’accord annoncé par les huit partis de la coalition le 22 mai, est considéré comme « révolutionnaire » par les forces conservatrices. Aborder la fin de la conscription dans l’armée en la mettant directement sous le contrôle d’un pouvoir civil (ce qui se fait dans les démocraties parlementaires), la réforme de la justice et de l’administration et au vote au suffrage universel direct des gouverneurs provinciaux (tous nommés actuellement par le pouvoir sauf celui de Bangkok et de Chonburi-Pattaya), la fin des monopoles économiques des grands groupes familiaux proches du pouvoir actuel, sont des nouvelles problématiques auxquelles la Thaïlande n’a jamais fait face. Sans parler d’une éventuelle réforme de l’article 112 ou crime de lèse-majesté, exclus du protocole d’accord, mais que le Move Forward semble entendre défendre devant les futurs députés. Nommés pour être les gardiens de l’ordre ancien par les tenants de l’ex-junte militaire, les sénateurs ne se retrouvent guère dans ce programme qui verrait privilèges et prébendes des élites de l’establishment menacés par ce programme aux 3D : Démocratisation, démilitarisation et démonopolisation. C’est pourquoi certains sénateurs montent au créneau avec véhémence pour condamner cette nouvelle donne qui pourrait être « déstabilisatrice » pour le pays et bien sûr, en non-dit, pour leurs avantages personnels.

 

Le sénateur Kittisak Ratanawaraha a averti que si le chef MFP, Pita Limjaroenrat, devenait Premier ministre, le chaos s’ensuivra probablement : « le pays sera englouti par les flammes », a-t-il souligné. Kittisak a en outre déclaré que les royalistes et « les gens qui aiment le pays » sont prêts à entrer dans Bangkok pour protester contre le MFP et Pita, en expliquant que les amendements proposés par Pita à la loi de lèse-majesté, l’amnistie pour les « délinquants politiques » et sa politique étrangère entraîneraient inévitablement des conflits internes et externes. Selon lui, « les Thaïlandais seraient poussés à s’entre-tuer et qu’en cas de conflit et d’affrontements, il y a une possibilité d’un autre coup d’État, semblable à celui de mai 2014 ». En effet, cette appréciation non fortuite rappelle la situation de 2014 quand autour de Suthep Thaugsuban et de Sondhi Limtongkul, des rassemblements importants de partisans « Jaunes » avaient eu raison du gouvernement Yingluck et ouvert au coup de force de Prayut. Kittisak a également clairement insinué que « les Etats-Unis étaient derrière Pita » et que sa politique étrangère « contrarierait la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite, ce qui nuirait à la Thaïlande qui devrait maintenir sa neutralité ».

 

D’autre part, la sénatrice Jadet Insawang a appelé à la formation d’un gouvernement d’union nationale au cas où le pays serait confronté à une nouvelle crise politique. Y comprendre sans le Move Forward mais surtout, avec les généraux Prayut et Prawit, les grands vaincus des urnes, afin qu’ils demeurent au pouvoir malgré le verdict populaire.

 

La réponse de Pita ne s’est pas faite attendre : « si la volonté du peuple n’est pas respectée et qu’un système est choisi qui va à l’encontre de leurs souhaits, comme cela a été constamment le cas, alors ce sera le point de départ du conflit » a-t-il déclaré. Soutenu par deux universitaires en droit réputés, Khemthong Tonsakulrungruang, de Chulalongkorn, qui affirme « qu’un tel appel à un gouvernement d’union nationale pourrait même être considéré comme une tentative de renverser le système de la monarchie constitutionnelle ». Ou par un de ses collègues du même campus, Pornson Liengboonlertchai, qui souligne « qu’un appel à un gouvernement d’union nationale précède souvent un coup d’État ». Voyant la polémique se déplacer vers la société civile et les académiques, Thanakorn Wangboonkongchana, ministre au gouvernement de Prayut et numéro 2 de son parti UTN, a déclaré que la sénatrice Jadet « était allé trop loin, même si sa suggestion visait à faire passer les intérêts du pays en premier ».

 

Avec cette attente de trois mois entre les élections et l’installation du futur Premier ministre et de son gouvernement, ce délai intentionnel, prévu par la constitution mise en place par la junte, laisse le temps aux conservateurs de faire de l’obstruction et de renverser le résultats des urnes en leur faveur.

 

Qu’ils usent d’un processus judiciaire ou d’influence politique au Sénat. Une question reste sans réponse : comment le Palais, en tant qu’institution suprême avec le roi comme chef d’État de la monarchie constitutionnelle, observe et apprécie t-il la situation ?

 

Philippe Bergues

3 Commentaires

  1. En écoutant “Sud-Radio” ce matin, on apprend que le premier geste du parti qui a remporté les élections sera de soutenir la guérilla contre la junte militaire pro-chinoise en Birmanie. Conclusion: cette élection est bien un épisode de l’affrontement sino-américain en Asie. Il s’agit bien d’un coup de force américain pour remplacer un gouvernement thaï indépendant par une Thaïlande soumise à la CIA. Toujours le même scénario…

  2. En 2020, au Myanmar, la ligue nationale pour la démocratie remporte le élections avec une majorité massive. Le parti de l’Union, de la solidarité et du développement, contrôlé par l’armée ne remporte que quelques sièges. Le 26 janvier 2021, le général Min Aung Hlaing, chef des armées, conteste les résultats du scrutin que la commission électorale conteste. Le 30 janvier l’armée dément vouloir perpétrer un coup d’État. La mise en place des nouveaux dirigeants élus, les réformes constitutionnelles qu’ils envisagent, notamment en ce qui concerne le statut de l’armée conduit, au nom de la stabilité et de la menace d’anarchie, le 1er février, à l’arrestation de plusieurs dirigeants, à la prise de l’hôtel de ville de Rangoon et au contrôle par celle-ci des points stratégiques du pays et des organes de l’État. Une résistance farouche de forces coalisées s’organise et résiste en forme de rébellions et de mouvements de désobéissance civile. La répression militaire armée qui s’ensuit, qui a promis le retour à des “élections libres et justes”, est toujours actuellement au pouvoir. L’histoire ne se répète pas, elle bégaie a-t-on fait dire à un certain Marx …

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