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THAÏLANDE – POLITIQUE : Trois questions sur l’action du premier ministre Srettha Thavisin 

Date de publication : 20/09/2023
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Srettha Thavisin 11 septembre 2023

 

Par Philippe Bergues

 

Le Premier ministre Srettha Thavisin a présenté le 11 septembre, lors d’un discours au Parlement, les grands axes de sa politique générale basés sur une forte relance économique, pour guérir une « nation malade », selon ses propos. La fragilité de l’économie nationale est due à un fort endettement privé et public, celui des ménages dépasse 90% du PIB et la dette publique s’élève à 61% du PIB, tels sont ses constats. Srettha Thavisin, en tant qu’ancien PDG du groupe immobilier Sansiri, entend être le Premier ministre de la croissance et de la relance économique.

 

Quelles sont les priorités évoquées par Srettha Thavisin ?

 

La mesure phare annoncée par le Premier ministre est le versement, à partir de février 2024, d’un portefeuille numérique de 10 000 bahts (environ 260 euros) à tous les Thaïlandais âgés de 16 ans ou plus afin de favoriser la consommation dans un contexte inflationniste. Cette allocation, promesse majeure du Pheu Thai lors de la campagne électorale, « devra être dépensée dans un rayon de 4 km autour du domicile de chaque bénéficiaire, dans un délai de 6 mois » a ajouté Srettha Thavisin. 56 millions de Thaïlandais seraient éligibles à cette mesure, ce qui représenterait un coût global pour les finances publiques de 560 milliards de bahts (14 milliards d’euros). Ce dont le Move Forward, par la voix de Sirakanya Tansakun, chef adjointe du parti et députée, s’est demandé « s’il y avait assez d’argent pour faire face à cette dépense ». Srettha Thavisin a répondu « que l’argent sera distribué dans toutes les régions et créera des emplois et une activité économique, permettant ainsi au gouvernement de gagner des revenus », sous forme fiscale indirecte s’entend. Se voulant offensif sur le pouvoir d’achat, le Premier ministre a également déclaré « que le gouvernement réduirait les prix du pétrole, du gaz de cuisine et de l’électricité et trouverait davantage de sources d’énergie » sans en préciser les contours avec précision. Srettha a aussi pour objectif d’amener le salaire journalier à 600 bahts en 2027 avec une augmentation progressive dont la fréquence est en cours de discussion. Un autre axe de recettes indiqué concerne la promotion du tourisme, véritable moteur du PIB thaïlandais, pour générer des revenus supplémentaires et créer des emplois, avec la suppression des visas pour des pays tels la Chine et le Kazakhstan, annoncée ultérieurement, les premiers car ils forment le contingent de potentiels touristes le plus large, les seconds car ils sont de plus en plus nombreux à venir profiter du soleil au « pays du sourire » au moment de leurs hivers rigoureux. D’ailleurs le TAT (Tourism Authority of Thailand) espère en 2024 retrouver les niveaux de fréquentation d’avant Covid avec 40 millions d’arrivées sur l’année civile. Srettha a aussi promis « une diplomatie pro-active pour ouvrir de nouveaux marchés tels que l’Union Européenne, le Moyen Orient, l’Inde, l’Afrique et l’Amérique du Sud, en accélérant les négociations de libre-échange », critique à peine voilée des manquements sur ce sujet du gouvernement sortant dirigé par le général Prayut Chan-o-cha.

 

Par contre, le Premier ministre a été plus frileux dans son discours sur une nouvelle constitution, attendue par les électeurs du Move Forward et du Pheu Thai, afin qu’elle soit plus démocratique et remette en cause la charte militaire de 2017 qui donne des pouvoirs exceptionnels aux 250 sénateurs. Comité de rédaction issu totalement du peuple ou semi-élu ? Srettha Thavisin n’a donné aucune précision à ce sujet mais a seulement déclaré « qu’aucun amendement ne sera apporté à la section monarchique » dans une nouvelle constitution. De même, le point concernant la conscription volontaire dans l’armée n’a été l’objet d’aucune précision, ce qui n’est pas une surprise au regard de la coalition gouvernementale présente, incluant les partis des « oncles » et bâillonnant les intentions programmatiques du Pheu Thai sur la réforme de la conscription militaire.

 

Qui sont les hommes forts de ce gouvernement ?

 

Il est encore difficile de répondre à cette question vu le faible recul temporel du fonctionnement de la nouvelle équipe gouvernementale. Néanmoins, Anutin Charnvirakul, leader du Bumjaithai, vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, semble déjà avoir fait reculer le Pheu Thai sur deux points. D’une part, sur sa position fermement anti-cannabis car Srettha a déclaré que le gouvernement « mettrait en œuvre des politiques d’utilisation médicale et sanitaire du cannabis afin de créer de la valeur économique ». L’objectif d’Anutin, qui avait pesé de tout son poids politique en 2022, pour faire de la Thaïlande la nouvelle Amsterdam asiatique, en décriminalisant la marijuana et en permettant la multiplication des « bars à herbe » dans tout le royaume, attractifs pour une gamme de touristes, ne semble pas remis en question à cette heure. Des décrets d’encadrement seront certainement votés, l’industrie lucrative du cannabis, du cultivateur, du transformateur au distributeur, rapportant des millions de bahts au pays, étant devenue une « poule aux œufs d’or » pour beaucoup. D’autre part, le Bumjaithai d’Anutin fait – et fera- pression sur Srettha pour ne pas faire élire directement par le peuple les gouverneurs provinciaux (seuls sont élus ceux de Bangkok et Pattaya-Chonburi), tant les baronnies familiales nommées depuis des décennies par le gouvernement central pourraient y perdre. Et il se trouve que le Bumjaithai est l’exemple type du parti politique dont la puissance régionale est incarnée par des clans familiaux.

 

Thammanat Prompao, à la tête de l’influent ministère de l’Agriculture et des Coopératives, sera, à n’en pas douter, un autre poids lourd du gouvernement, étant de plus le principal relais du Palang Pracharat et des « conseils » du vétéran et néo-retraité de la politique Prawit Wongsuwon, dont on doute d’un effacement définitif à ce stade, puisqu’il est aussi relayé par son frère Patcharawat en tant que ministre des Ressources Naturelles et de l’Environnement. Pirapan Salirathavighaba, chef de l’UTN et proche de Prayut, en tant que ministre de l’Énergie, aura un rôle important dans ce contexte économique sur le coût de la facture énergétique domestique, au moment où les foyers, les entreprises et le lobby des taxis (autos et motos) réclame des baisses de prix. Il sera intéressant de voir la marge de manœuvre du ministre de la Défense, Suthin Klangsaeng, en tant que civil dans les affaires militaires tant l’armée est identifiée comme « un État dans l’État » et que dans un passé proche, son allégeance à un gouvernement civil n’était pas perçue comme une évidence, sans parler des coups d’État, une spécialité mondialement reconnue de la Thaïlande. L’évolution du dossier de l’acquisition de moteurs pour trois sous-marins, dont le ministre prévoit une négociation avec l’Allemagne, sera à ce titre assez déterminant pour observer son pouvoir d’influence de même que sa gestion de la question de la conscription et de la baisse du nombre des généraux, la Thaïlande étant le pays au monde en comptant le plus au prorata de sa population.

 

Que faut-il attendre de ce gouvernement ?

 

L’objectif de Srettha Thavisin est d’obtenir des résultats économiques significatifs et rapides pour améliorer les conditions de vie des citoyens thaïlandais et faire « oublier » la trahison post-électorale du Pheu Thai. Et de ramener l’ancien Siam dans le peloton de tête des nations du sud-est asiatiques pour la croissance, en particulier en concurrençant l’Indonésie et le Vietnam qui ont une longueur d’avance à ce jour. Srettha Thavisin espère des résultats comparables de ceux de l’aube du XXIème qui avaient fait de la Thaïlande « the 5th Tiger » des pays nouvellement industrialisés asiatiques, sous les mandats de Thaksin Shinawatra. Et Srettha verrait d’un bon œil une appartenance future officielle de la Thaïlande aux BRICS, récemment élargis. Néanmoins, en misant tout sur l’économie, Srettha ne devra pas oublier les fortes revendications politiques et sociétales de la société civile, et en particulier, des électeurs -jeunes et moins jeunes- du Move Forward, mais aussi du Pheu Thai, qui ont voté pour un programme de changement en profondeur. Et qui ont fait connaître leur désarroi de ne pas avoir le Premier ministre arrivé en tête des élections aux manettes, Pita Limjaroenrat, avec un mouvement massif initié sur les réseaux sociaux illustré par ce #NotMyPM.

 

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3 Commentaires

  1. absolument d’accord avec André…
    et surpris que Mr Bergues n’ait pas pris connaissance de la réaction du gouverneur de la banque thaïe : cette mesure conduira le pays dans une banqueroute sans précédent, identique à l’Argentine , selon ses propos. En effet, comment remplacer de l’argent réel par des cryptomonnaies ? Srettha qui s’est endetté il y a quelques années avec ces monnaies numériques souhaite-t-il se refaire ? Qu’est-il allé faire en Amérique ? Rencontrer un ministre de l’économie US ? Non, le directeur de Blackrock, cette compagnie dont le CA vaut 2 fois celui de l’Europe !!!…et qui distille de la monnaie numérique. Oui, mais, le commerçant thaï qui vend quelque chose de matériel (nourriture, objet de maison ou autre) n’acceptera pas d’être payé en monnaies numériques. Qu’en fera-t-il ? comment achètera-t-il ce qu’il revend au marché ou dans son magasin ? Ceci entrainera l’effondrement des acteurs économiques qui accepteraient cette monnaie de singe…par ailleurs reconnue illégale dans bien des pays du globe. A chaque fois que le parti “soit-disant démocratique” Pheu Thai arrive au pouvoir, il y a ce genre d’appât de la population qui se retrouve lésée. Les commerçants se mobilisent sur les réseaux sociaux ; espérons qu’ils seront entendus par une population qui ne voit pas plus loin que le bout de la carotte qui leur est tendue.

  2. la pire folie est le versement de ces 10.000 bath en crypto monnaie par personne (concerne 56 millions de personnes soit 560 milliards de bahts) ..que les thaïs vont s’empresser de consommer en nourriture et objets futiles. Et après ? Qui couvre cette nouvelle dette ?
    De plus cela semble illégal, puisque monnaie numérique, et donc non monnaie officielle du pays !
    Le gouverneur de la banque centrale s’y oppose fermement craignant une logique dégringolade du Baht et une aliénation de la monnaie officielle à des cryptomonnaies dont les sources sont peu morales. Évidement le Pheu Thai veut le virer !
    les élucubrations économiques de la famille Shinawatra recommencent, et là c’est bien plus grave.
    Contrairement à ce que dit l’article : l’endettement du pays est faible par rapport aux pays développés.
    Enfin, le projet si avancé sous l’ère Prayut de canal entre les océans indien et pacifique à la hauteur de Chumpon est d’emblée rejeté par le ministre du transport alors que des milliards de capitaux américains, chinois et arabes allaient se déverser pour un projet pharaonique, qui, faisant gagner 5 jours de mer aux transporteurs et amènerait des retombées économiques extraordinaire…mais peut-être que là, les amis des Shinawatra n’auraient rien à y gagner ?

  3. L’objectif de faire de BKK une nouvelle Amsterdam (nom originel de New York) vient à point alors que cette ville veut tourner les dos à sa réputation touristique depuis des décennies. Les autorités ont mis du temps à prendre conscience de la situation jugée dangereuse de la ville. La consommation libre de substances toxiques ont transformé la ville en un enfer peuplé de touristes drogués rendant la ville invivable aux riverains. La consommation de substances diverses était associée à une consommation sexuelle comme le fameux quartier rouge en est l’emblème. BKK rêve donc de prendre le relais avec pour objectif l’attrait tant sollicité des touristes (chinois, du Moyen -Orient, indiens notamment sans oublier les autres). Cesserons nous de nous rendre dans la ville batave pour pour cette “nouvelle Amsterdam” pour la drogue, l’alcool, le sexe avec tout ce qui va avec, bruit et insécurité ? Et rendre peu à peu une ville invivable ?

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