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Thaïlande, politique : pourquoi les Démocrates pourraient boycotter les élections ?

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 19/12/2013
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Le principal parti d’opposition annoncera mercredi sa participation ou non aux élections anticipées du 2 février. Un boycott renforcerait la position de Suthep et du PDRC qui continuent de s’opposer fermement à la tenue d’élections et ont annoncé leur intention de « tout faire pour les faire dérailler ». Le dialogue entre les deux camps est toujours rompu. L’opinion publique, l’armée, les élites intellectuelles et le secteur privé sont favorables au maintien d’élections anticipées, et attendent des garanties sur la mise en place des réformes politiques nécessaires pour sortir de la crise.

 

Les différents forums organisés séparément ces derniers jours par le gouvernement, l’armée et le Comité du Peuple pour la réforme de la Démocratie (PDRC) ont débouché sur un consensus général sur la nécessité d’un calendrier de réformes du système politique. Mais la tenue des élections législatives anticipées, soutenue par les pro-gouvernementaux, et les généraux, dont la position reste toutefois ambiguë, est toujours rejetée par les leaders du PDRC qui démultiplient les rencontres et les démarches pour tenter de faire plier l’opinion publique et de ranger l’armée à leur côté. « Rejoignez nous, nous sommes le peuple. Nous sommes le pouvoir », a déclaré Suthep devant quelques milliers de sympathisants qui occupent toujours l’avenue Ratchadamnoen autour du Monument de la Démocratie dans le centre historique de Bangkok.

 

Le parti Démocrate, principal instigateur du mouvement de contestation, se réunit aujourd’hui et demain pour former son nouveau comité. Ce dernier annoncera samedi ou dimanche s’il boycottera ou non les élections du 2 février.

 

Cette décision aura une incidence directe sur le déblocage de la crise politique actuelle qui paralyse le royaume. Car on voit mal comment, en l’absence du principal parti d’opposition, des élections pourraient se tenir. Leur argument tiendrait alors en ceci : demander le report des élections, trop proches pour pouvoir mettre en place un système de réformes et garantir que le prochain gouvernement les appliquera.

 

Une décision qui servirait les intérêts des opposants au gouvernement emmenés par Suthep, lui même ex-Démocrate et l’un des cadres les plus influents du parti conservateur avant sa démission pour prendre la tête du mouvement de contestation le mois dernier. Car un report des élections lui permettrait de paralyser un peu plus Yingluck, la cheffe du gouvernement intérimaire, en favorisant une vacance de pouvoir qui serait alors mise à profit par le PDRC pour imposer l’installation de son « Conseil du peuple » chargé d’édicter des lois pour réformer le système et de nommer un gouvernement non élu avant la tenue de nouvelles élections, probablement dans un an ou deux.

 

Cette option, le Parti Démocrate l’a déjà utilisée en 2006, avec succès, puisque quelques mois plus tard l’armée avait débloqué la situation par un coup d’Etat…

 

Cette fois, Abhisit, désigné pour être réélu à la tête du parti démocrate, ne pourra pas compter sur le soutien de Prayuth, le chef de l’armée, qui semble favorable à la tenue des élections et à une résolution de la crise par le dialogue.

 

Il est en tout cas certain que les militaires ne favorisent pas, cette fois, un renversement du gouvernement par la force.

 

Prem, le président du Conseil du Roi, où siègent de nombreux anciens généraux – dont Sonthi, qui a commandé le coup d’Etat contre Thaksin – est l’un des hommes les plus influents et les plus respectés du royaume. Ce dernier n’a fait aucune déclaration publique depuis le début du conflit et cherche à tenir l’Institution royale, très exposée après l’intervention militaire de 2006, en dehors des débats politiques. Toute intervention de l’armée pourrait aller contre ce souhait.

 

Suthep, numéro deux du gouvernement Abhisit lorsque ce dernier a dirigé le pays entre fin 2008 et juillet 2011 suite à un renversement de majorité au Parlement, va-t-il être « trahi » par l’un de ses plus proches alliés et son ancien parti ?

 

Rien ne l’indique pour le moment. Au contraire, le parti Démocrate, comme le CPCR, n’ont pas répondu à l’invitation du gouvernement à participer au forum de dimanche.

 

Les Démocrates, qui n’ont pas remporté d’élections depuis 20 ans et partent de nouveau perdants pour celles du 2 février, soutiennent ouvertement la tentative de coup d’Etat civil menée par Suthep et neuf autres ex-députés du parti, et sont favorables à la mise en place du Conseil du Peuple que le CPCR tente d’imposer malgré un rejet quasi général. Un conseil non élu pour remplacer le Parlement qui enfreint le système démocratique auquel reste attachée la grande majorité des acteurs et intervenants dans ce conflit, ainsi que l’ensemble de la communauté internationale, dont la France.

 

Abhisit, de son côté, n’a eu de cesse de répéter que le gouvernement Yingluck et son parti Pheu Thai étaient illégitimes depuis leur refus d’accepter la décision de la Cour constitutionnelle qui a annulé l’amendent voté par le Parlement sur le changement de mode de scrutin pour les sièges des Sénateurs.

 

Les Démocrates, en ne participant pas aux élections, compteraient alors sur la plainte acceptée par le NACC (comité anti-corruption) contre les députés et sénateurs qui ont voté cet amendement, plainte qui pourrait aboutir par le truchement de l’autorité judiciaire, à une dissolution du Pheu Thai dans les semaines ou mois à venir et une interdiction de politique pour 5 ans de tous les membres du comité exécutif, ainsi que des députés et sénateurs visés.

 

En 2008, le pouvoir judiciaire avait mis hors-jeu pour conflit d’intérêt et fraude électorale deux gouvernements pro-Thaksin. Mais cela n’avait pas empêché ces derniers de se réincarner en un nouveau parti. Le Pheu Thai, et Yingluck, la jeune sœur de l’ex-homme fort de Thaïlande, en sont les derniers avatars.

 

Cette option risque cependant de ne pas résoudre le problème des Démocrates, dont la base électorale est insuffisante pour battre Thaksin et le Pheu Thai, ou toute autre nouvelle réincarnation qui lui succéderait en cas de dissolution. D’autant que la garde rapprochée du milliardaire en exil, qui contrôle le pouvoir depuis 2001, est de nouveau éligible et que beaucoup d’anciens bannis se présenteront aux prochaines élections, en février ou plus tard.

 

Quant aux petits partis historiques, qui forment la coalition actuelle et sont très bien implantés dans leur fief politique, leurs leaders ont réaffirmé leur soutien à la majorité actuelle. La carte des élections de 2011 risque donc de ne pas bouger (voir graphique), le Nord et le Nord-Est, majoritaires, étant aux mains des « Rouges » et Bangkok et le Sud, minoritaires, des « Jaunes ».

 

Si les Démocrates décident toutefois de s’engager et de se désolidariser de Suthep, qui ne peut pas compter sur le soutien de l’armée malgré ses appels répétés, et qui ne peut plus aujourd’hui reculer, le chef de la rébellion retournera alors à des méthodes qui ont pour le moment échoué, à savoir l’appel à une autre grande manifestation et de probables tentatives de paralyser le bon déroulement des élections, comme l’occupation des locaux de la Commission électorale et des bureaux régionaux.

 

Mais les têtes pensantes modérées du parti Démocrate, dont Chuan, dernier Premier ministre d’un gouvernement pro-démocrate élu, en choisissant de participer aux élections, pourraient mettre à profit le travail de Suthep qui a réussi à porter au centre des priorités immédiates du pays le besoin de réformer le système de fonctionnement du royaume. Réformes politiques, mais aussi économiques et sociales que personne ne conteste aujourd’hui, mais qui n’ont jamais été les priorités des gouvernements successifs, démocrates ou autres, depuis les années 80 et la montée en puissance du système politique dominé par l’argent et la corruption.

 

Comment ? En s’assurant que, d’ici aux élections du 2 février, le nouveau gouvernement élu ait l’obligation de mettre en place les réformes décidées par une assemblée souveraine et de les faire voter.

 

Mais aussi en consolidant leur base électorale. Suthep a réussi à faire sortir de l’ombre cette « majorité silencieuse » des classes moyennes et supérieures jusqu’à maintenant peu impliquée en politique, mais toutefois concernée par l’avenir de leur pays et ses graves problèmes de corruption, comme elles ont pu le montrer en descendant en masse dans la rue, à Bangkok principalement.

 

Avec 160 députés aux élections de 2011, la marge est certes importante pour égaler le résultat du Pheu Thai (262 députés), mais le coup de force de Suthep représente un véritable tremplin électoral pour réduire cet écart, d’autant que des sympathisants du mouvement de contestation qui n’ont pas pu manifester dans les régions hostiles aux Démocrates pourraient s’exprimer par les urnes.

 

Abhisit et les Démocrates réintégreront-ils le jeu démocratique de la majorité électorale ? Réponse samedi.

 

Philippe Plénacoste

 

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