Home Accueil THAÏLANDE – POLITIQUE : Imbroglio constitutionnel ou Coup d’état en douceur à Bangkok ?

THAÏLANDE – POLITIQUE : Imbroglio constitutionnel ou Coup d’état en douceur à Bangkok ?

Date de publication : 19/07/2023
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Thaïlande manifestant democracy monument

 

Notre ami et chroniqueur Philippe Bergues a suivi cette journée du 19 juillet et l’invalidation de la candidature de Pita Limjaroenrat. Il nous livre son commentaire.

 

Ce n’est rien d’autre qu’un coup d’État « en douceur » que la Thaïlande vient de vivre ce mercredi 19 juillet. Pourquoi ? Parce que les sénateurs nommés par la junte en 2017 ont, comme le 13 juillet, voté contre Pita Limjaroenrat pour le poste de Premier ministre après avoir tenté, sans réussite, que son nom ne soit pas déposé pour un deuxième vote.

 

Plus tôt dans la journée, les juges de la Cour constitutionnelle avaient, à l’unanimité, suspendu Pita de ses fonctions de député, en attendant une décision sur son actionnariat dans le média iTV, en sommeil depuis de nombreuses années. Un jugement éminemment politique. En utilisant l’arsenal judiciaire, calqué sur l’agenda politique, juges et sénateurs ont clairement montré, une fois de plus, leur volonté de ne pas tenir compte, sans filtre, du résultat des élections en Thaïlande. En clair, le balancier ultraconservateur pour rectifier les urnes fonctionne toujours.

 

« L’Etat profond » et la « juristocratie » à son service, est le vrai maître de la Thaïlande, avait théorisé l’universitaire française Eugénie Mérieau dans son article “Thailand’s Deep State, Royal Power and the Constitutional Court (1997-2016)” paru dans le Journal of Contemporary Asia en 2016. Cercles royalistes proche du Palais, généraux influents, juges de la Cour constitutionnelle, hauts fonctionnaires de la Commission électorale et « grandes familles » aux monopoles économiques forment cet « État profond ». Ils veulent toujours et encore faire respecter « l’ordre ancien » immuable,  quel qu’en soit le coût pour les Thaïlandais. Après l’interdiction du Future Forward Party, prédécesseur du Move Forward, et le bannissement d’activités politiques de trois de ses leaders, Thanathorn Juangroongruangkit, Piyabutr Saengkanokkul et Pannika Wanich, après le scrutin de 2019, la purge se poursuit…

 

Pita s’érige en défenseur de la démocratie

 

Avant de quitter la séance parlementaire sous les applaudissements des députés des huit partis de la coalition présente, Pita a eu des mots très forts : « puisque le tribunal a ordonné de suspendre temporairement mes fonctions, je voudrais profiter de cette occasion pour faire mes adieux au Président de la Chambre jusqu’à ce que nous nous revoyions. Je voudrais également exhorter mes collègues parlementaires à continuer d’utiliser le Parlement comme plate-forme pour répondre aux besoins du peuple. Je crois profondément que la Thaïlande a subi une transformation profonde et ne reviendra jamais à ce qu’elle était avant le 14 mai. Le peuple a déjà remporté une victoire à mi-parcours, l’autre moitié attend toujours d’être accomplie. Même si je ne peux plus remplir mes fonctions, je demande humblement à mes collègues parlementaires de persister à s’épauler au service de notre nation. Je reviendrai ».

 

Une sortie digne  pour Pita et ses supporters réunis au Monument de la démocratie. Ils contestent « un sabotage politique ». « Les parlementaires non élus ne devraient pas avoir le pouvoir de contrecarrer la volonté du peuple » a déclaré le député senior du Pheu Thai, Chaturon Chaisang. A bon entendeur…

 

Philippe Bergues

 

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1 COMMENTAIRE

  1. La notion de “deep state” est une notion très utilisée dans l’analyse des systèmes politiques et son usage immodéré peut fonctionner comme un obstacle à leur compréhension. La notion est entourée d’un “halo” de mystères dont on pré-suppose la profondeur mais dont on s’interdit le plus souvent d’identifier les composantes. Le caractère supposé profond si ce n’est insondable des arcanes du pouvoirs (pas seulement de l’État et dans l’État) laisse toute sa place à l’arbitraire des analyses, d’ou l’abondance contradictoire de celles-ci ( illibéralisme, proto-state, etc.). D’où son investissement dans les départements de science politique en quête de nouveautés explicatives plus ou moins contrôlées et de postes à créer. La notion, son flou, autorise par ailleurs les approches de type conspirationniste ( 5ème colonne, puppet government, shadow government) souvent fantaisistes. Hans Morgenthau, en 1951, introduit la notion d’ “État dual” dans les relations internationales à propos des États-Unis pour désigner une face ouverte et une face cachée de l’État, celle rattachée à la sécurité ( notamment extérieure) et spécialement nucléaire. En 1961, Eisenhower donne à l’expression un contenu en parlant de “complexe militaro-industriel”. La base économique de la notion est clairement affichée. L’approche formelle (en droit) des institutions est complétée par des approches en terme de sociologie ( sociologie des groupes de pression ou lobbies et d’économie et de finances . L’insistance sur les strates économiques des pouvoirs s’apparente à une transposition de la classique analyse marxiste (tout en la réfutant ou cherchant à le faire) en termes d’infrastructures ( l’économie pour aller vite) déterminant les superstructures (appareils d’État, politiques, répressifs-justice, police-, éducatifs, j’ajoute médiatiques). Donald Trump usa et abusa de la notion pour désigner les forces qui s’opposaient à ses initiatives réformatrices. Le président Macron fit de même fustigeant la présence d’un ” état profond ” faisant obstacle à sa volonté réformatrice ( son livre “Révolution) supposée ratifiée par le sacre électoral ( 2017). Dans les deux cas il s’agit de désigner une bureaucratie administrative, plus exactement celle de la “haute” administration. Si aux USA le “spoil system” est de règle, en France le pantouflage “organise” un “va et vient” entre la “haute” administration et les postes les plus élèves du système économique et financier désormais mondialisé. On peut voir dans la réforme de l’ENA et la suppression des corps diplomatiques une mise œuvre de cette approche. Réduire le “deep state” aux appareils d’État et surtout répressifs risque de manquer une analyse rigoureuse des liens que ceux ci entretiennent avec les forces économiques en présence. D’où la nécessité de se livrer aux bases économiques des superstructures qui, même si elle disposent d’une autonomie relative d’action, avec des moyens idéologiques propres notamment les moyens du “droit”, agissent dans le cadre de rapport de forces matériels. Sans quoi la notion de “deep state” risque d’obscurcir voir dissimuler la réalité du (des) pouvoirs. L’analyse des appareils répressifs et judiciaires et en particulier la “justice constitutionnelle” met justement en valeur le rôle de l’idéologie juridique dans le fonctionnement du pouvoir d’État. Sa fonction spécifique est de se donner comme “neutre” et incontestable ce qu’une idéologie de type théologique ou religieux ne peut plus garantir en France avec la contestation de la légitimité monarchique et de l’autorité de l’église catholique ( guerres de religions, affirmation progressive du rôle de la raison et des sciences), mais risque de faire l’impasse sur les mécanismes sociaux de fabrication du droit. Les règles de droit y compris les dispositifs de mise en œuvre de leur application ne disent rien de leur contenu ni de leurs modes d’élaboration . Toute organisation politique, démocratique ou non, fonctionne selon des règles de droit. La notion d'”État de droit” ne doit donc pas être considérée comme un totem et doit être analysée sans tabous.

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