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ASIE – GÉOPOLITIQUE : L’Océan Indien, espace stratégique convoité

Journaliste : Rédaction Date de publication : 28/11/2022
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Pacifique chine

 

Le président Yoon Suk-yeol a profité du sommet de l’ASEAN à Phnom Penh pour dépeindre à grands traits la stratégie Indo-Pacifique sud-coréenne. La ministre des Affaires étrangères du Canada Mélanie Joly a, elle, annoncé que celle d’Ottawa sera dévoilée d’ici un mois. Manifestement, pour un certain nombre d’acteurs d’Asie et du Pacifique, l’appropriation du concept Indo-Pacifique et sa déclinaison opérationnelle prend beaucoup de temps. Notre collaborateur et chroniqueur François Guilbert s’est penché sur la carte de l’Océan Indien. Et voici ses observations…

 

La Chine ne se satisfait pas (plus) des strapontins qui l’accueillent depuis quelques années dans les organisations sous-régionales (ex. Commission de l’océan Indien (COI), Association des États Riverains de l’Océan Indien (IORA), Forum des îles du Pacifique (FIP)). Si nombre de pays en sont encore à réfléchir à leur politique Indo-Pacifique, la RPC, elle, la met déjà en œuvre sur les deux versants océaniques.

 

Après avoir visité en mai – juin 2022 sept nations d’Océanie (Salomon, Kiribati, Samoa, Fidji, Tonga, Vanuatu, Papouasie Nouvelle Guinée) et rencontré ses homologues deux fois en moins d’un an, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a proposé à ses interlocuteurs du Pacifique insulaire non seulement de poursuivre régulièrement leurs échanges ministériels instaurés le 21 octobre 2021 mais également d’endosser une Vision commune du développement et un Plan d’action quinquennal sur le développement commun. L’empressement à voir adopter des documents aussi engageants que ficelés sans concertation, les dirigeants communistes ont subi un cinglant revers diplomatique océanien. Les textes mis sur la table par Pékin ont été vertement critiqués en public puis rejetés très officiellement par le plus grand nombre des États insulaires. Qu’à cela ne tienne, le Waijiaobu a remis le travail sur le métier et espère bien que ses propositions pourront rapidement trouver preneur.

 

A défaut de pouvoir afficher la consolidation du pilier P d’une stratégie Indo-Pacifique qui ne dit pas son nom, la République populaire de Chine s’est employée ces derniers temps à institutionnaliser ses relations avec le groupe des pays de l’océan Indien. Cette fois-ci, la manœuvre a été conduite non pas par le ministère des Affaires étrangères mais par l’Agence chinoise de coopération internationale pour le développement (CIDCA). Un affichage aux abords moins « politiques » que dans le Pacifique insulaire, il est vrai que dans le bassin de l’océan Indien la Chine n’a pas que des amis.

 

Le 21 novembre 2022, elle a néanmoins réussi à mettre sur pied le premier Forum de développement et de coopération Chine – Région de l’océan Indien (C-IORFDC). Une première ! Aucun autre Etat au monde n’avait tenté jusqu’ici de rassembler autour de lui l’ensemble hétéroclite des nations ayant pour bien commun l’océan Indien. Cet exercice n’en est pas moins un encorbellement puisqu’il vient en complément du Forum de l’Asie du sud créé en 2018 et dont la troisième édition s’est tenue le 19 novembre dans le même lieu.

 

19 pays et 3 organisations internationales ont participé à l’exercice C-IORFDC. Ici, contrairement au Pacifique insulaire pas de thuriféraire de Taïwan, toutefois, l’architecture géographique retenue souligne l’ampleur grandissante de l’ambition de la RPC. Le 9 janvier 2022 en visite au Sri Lanka, le ministre Wang Yi s’était « contenté » de proposer la création d’un Forum de développement des pays insulaires de l’océan Indien. Non seulement son projet s’est matérialisé en un temps record, ce qui démontre combien Pékin est souvent aussi pressée que déterminée à bâtir ses stratégies d’influence, mais il a rassemblé des représentants des sous-ensembles Est-africain, moyen-oriental, de l’Indianocéanie, du sous-continent indien et de l’Asie du Sud-Est.

 

Certes, il n’y a pas eu à l’issue de la rencontre de niveau ministériel de déclaration conjointe mais une matière suffisante à un communiqué de presse commun. Avant la rencontre rien n’était moins sûr, tant les préoccupations des pays du versant occidental de l’Indo-Pacifique ont souvent peu à voir ensemble. En outre, l’attelage avait de quoi surprendre.

 

Les géographes seront étonnés que l’on puisse voir dans l’Afghanistan ou le Népal des Etats de la région de l’océan Indien. Leur façade littorale ne saute pas immédiatement aux yeux. Les stratèges ne manqueront pas, eux, d’avoir relevés que quasiment tous les voisins de l’Inde ont répondu présent (Pakistan, Népal, Birmanie, Bangladesh, Sri Lanka, Maldives). Si on sait combien Timphu est des plus précautionneuses pour éviter d’être happer dans les rivalités sino-indiennes, l’absence de New Delhi à la rencontre de Kunming constitue un symbole de premier ordre de rejet et rappelle combien est âpre l’antagonisme sino-indien qui se joue(ra) dans l’océan Indien. La non-participation de trois des cinq acteurs aseaniens ayant leur place dans les instances interétatiques consacrées à l’océan Indien (Thaïlande, Malaisie, Singapour) en dit également long sur les réticences de certains Etats à envisager leurs concours à des plateformes dont l’agenda est essentiellement guidé par les intérêts stratégiques de Pékin. Ce n’est pas l’association de l’Australie au C-IORFDC qui change radicalement la donne.

 

Si l’Asie du Sud-Est n’occupe pas dans le nouvel écheveau chinois de la région de l’océan Indien toute la place à laquelle elle pourrait, il en est de même de la région du golfe arabo-persique. Seuls l’Iran et le sultanat d’Oman ont participé à cette première réunion C-IORFDC. A contrario, la façade africaine a été particulièrement bien représentée. Il est vrai que le projet de Wang Yi faisait suite à ses étapes en Erythrée, au Kenya, aux Comores (4 – 7 janvier 2022) et aux Maldives (7-8 janvier). Des six États qui courent de la Corne au Cap, cinq ont répondu présents (Afrique du sud, Djibouti, Kenya, Mozambique, Tanzanie). Quant à la Commission de l’océan Indien, trois de ses cinq adhérents (Madagascar, Maurice, Seychelles) ont participé aux discussions, à la différence de France et des Comores pourtant très courtisées par la Chine.

 

Cette géographie institutionnelle montre combien la stratégie bi-océanique de Pékin recouvre les définitions Indo-Pacifique les plus larges, des côtes africaines au Triangle polynésien. Et en tenant la manifestation à Kunming et sous la présidence du gouverneur et secrétaire-adjoint du parti communiste du Yunnan, Wang Yubo, la Chine a souligné que son objectif à l’endroit de l’océan Indien est à la fois de désenclaver ses provinces du sud-ouest et de s’assurer des voies de contournement terrestres au détroit de Malacca. Le Yunnan est aux yeux de Pékin son centre de rayonnement vers les Asie du sud et du sud-est même s’il n’est pas si facile de rallier l’océan Indien depuis la ville natale du mythique amiral Zheng He (1371 – 1433). Une politique qui requiert pour accéder à la mer d’Andaman et au golfe du Bengale des relations étroites avec le pouvoir en place à Nay Pyi Taw. En conséquence de quoi et cela quels que soient les doutes que peut nourrir Pékin à l’endroit du Conseil d’administration de l’Etat birman, il lui a fallu inviter un membre du gouvernement de la junte. C’est ainsi que le ministre de la Coopération internationale Ko Ko Hlaing s’est joint par visioconférence au Forum orchestré de manière hybride le 21 novembre.

 

Une participation dont la propagande de Nay Pyi Taw a rendu compte immédiatement afin de faire valoir combien le pays à la main des généraux n’est pas isolé sur la scène régionale comme peut de le laisser penser les tensions récurrentes avec l’ASEAN et plusieurs de ses Etat-membres. Une opération d’autant mieux venue que la Birmanie est écartée de la principale organisation régionale de l’océan Indien. En l’espèce, Pékin et Nay Pyi Taw peuvent se satisfaire d’avoir vu s’installer le C-IORFDC 24 heures avant la 22ème réunion ministérielle de l’IORA à Dacca. Cette manœuvre calendaire montre combien Pékin conteste les instances multilatérales régionales existantes en y accolant des plateformes réticulées autour de la seule Chine. Pour autant, les pays de la région ne sont certainement pas disposés à abandonner rapidement les organisations régionales qu’ils ont constituées au fil du temps car celles-ci servent à définir les approches communes de leurs membres, tout en tenant à une certaine distance du centre de décision collectif les puissances extrarégionales comme la Chine, la Russie, les Etats-Unis voire le Japon et l’Union européenne. A la réunion de l’IORA au Bangladesh se sont ainsi rassemblés les 23 membres et les 10 partenaires de dialogue, soit 1,5 fois plus de participants que le nouveau Forum chinois.

 

Au fond, tout en accentuant par ses initiatives une prolifération des instances régionales allogènes au détriment de la consolidation des plateformes élaborées et conduites par les autochtones, Pékin masque sa contestation de l’ordre multilatéral existant en essayant de coller au plus près des récitatifs politiques des insulaires. Ainsi, le thème de la réunion de Kunming fut le « Développement pour tous » et les termes de mise œuvre portés par la grammaire politique insulaire de soutien à l’ »économie bleue », la protection des océans ou encore le soutien aux mécanismes de coopération pour la prévention et l’atténuation des catastrophes marines. Mais pour ne pas perdre le lead du récitatif de coopération et nourrir les initiatives de demain, c’est sur son territoire que la Chine a proposé d’installer un think-tank consacré à l’économie bleue de l’océan Indien. Pour convaincre les éventuels réfractaires, le CIDCA a assuré les partenaires étatiques d’un soutien financier apporté par la province du Yunnan. La Chine ayant établi son arène d’échange avec les Etats de l’océan Indien, esquissé des axes de coopération, proposé des outils intellectuels, administratifs et financiers pour soutenir les projets, il lui reste à faire vivre cette stratégie dans le temps, à articuler le C-IORFDC avec les autres sous-ensembles chinois (ex. Forum de l’Asie du sud, Route maritime de la soie,…) et à convaincre que l’enceinte installée le 21 novembre peut devenir « LE » centre principal des décisions pour les coopérations régionales de demain avec les Etats dits de l’océan Indien.

François Guilbert

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