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CHINE – FRANCE : L’Empire chinois est-il notre avenir ? Pierre-Antoine Donnet répond

Date de publication : 06/05/2024
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Pierre-Antoine Donnet

 

Pierre – Antoine Donnet a passé une grande partie de sa vie professionnel à étudier la Chine comme journaliste puis comme expert. Il vient de publier « L’Empire des illusions » (Ed. Saint Simon). Il a répondu aux questions de Gavroche alors que le président chinois Xi Jinping est en France.

 

La Chine de Xi Jinping est-elle encore une formidable opportunité économique ?



L’époque où les hommes d’affaires occidentaux remplissaient les avions dont la destination était la Chine est aujourd’hui pour bonne partie révolue. Combien de ces flibustiers des temps modernes ont été abusés par cette vision d’une Chine devenue pour eux un eldorado ? Cette naïveté consternante cède la place à un nouveau pragmatisme : la Chine n’est pas le graal pour les amateurs de gains faciles et infinis. Le marché chinois est ultra-protégé par les autorités de ce pays et y faire des affaires est bien plus complexe que certains ne l’imaginaient. Beaucoup de ces capitaines d’industrie s’y sont cassé les dents. Pour autant, si ce mirage n’est plus de mise, la Chine et son presque milliard et demi d’habitants sont toujours là. Les débouchés restent vastes. Il y a donc lieu de poursuivre les échanges avec ce pays mais avec prudence et discernement.

 

Les produits de luxe trouvent toujours des amateurs, quand bien même la gestion catastrophique de la pandémie du Covid-19 et la politique insensée « Zéro-Covid » imposée par Xi Jinping ont porté un sérieux coup d’arrêt à la croissance économique et suscité un chômage inédit, surtout celui frappant la jeunesse. La Chine avait et a toujours grand besoin d’importer des produits alimentaires qu’elle ne produit pas. Dans l’industrie, les entreprises chinoises restent avides de machines-outils sophistiquées et de produits de haute technologie tels que les semi-conducteurs de dernière génération dont elles manquent cruellement en raison de l’embargo imposé par les Etats-Unis en raison de leur utilisation duale et de leur usage militaire.

 

Mais si la Chine a incontestablement été l’usine du monde, elle ne sera probablement pas avant longtemps le laboratoire du monde, si tant est qu’elle le devienne un jour. Car le système totalitaire de surveillance tous azimuts mis en place par l’empereur rouge tue l’innovation. Les Chinois sont travailleurs et ingénieux mais aujourd’hui ils ont peur. Ce que j’appelle « le génie chinois » est aujourd’hui paralysé. De plus, d’autres pays présentent aujourd’hui des conditions plus favorables aux investisseurs étrangers tels que le Vietnam ou l’Inde. Les dernières lois sur l’espionnage qui visent les entreprises étrangères et leur personnel étranger ont sérieusement douché les appétits de ces investisseurs. Enfin, la démographie en panne sèche fait fondre comme neige au soleil cet espoir d’une classe moyenne chinoise riche consommatrice de produits occidentaux. Une bonne partie de ces Chinois seront vieux avant d’être riches.

 

L’espionnage chinois en Europe, c’est sérieux ?

 

Non seulement la situation est sérieuse mais elle est alarmante. Les dernières affaires d’espionnage qui ont agité l’Allemagne, le Royaume-Uni et le parlement européen ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Depuis des décennies, la Chine espionne l’Occident. Certes, tout le monde espionne tout le monde. Mais dans le cas de la Chine, la pieuvre étend ses tentacules très loin dans les universités, les cercles économiques et les milieux politiques, parfois jusqu’au plus haut des sphères décisionnaires.

 

Les estimations les plus sérieuses font état de quelque 200 000 agents employés par le ministère de la Sécurité d’État chinois. Ce chiffre ne tient pas compte des dizaines d’organisation publiques ou clandestines qui, pour certaines, ont pignon sur rue dans nos pays européens, tout comme ailleurs en Amérique du Nord ou en Asie. De nombreux instruments permettent aux réseaux chinois de surveiller quiconque présente un intérêt militaire, scientifique ou industriel. Parmi eux, l’application TikTok dont il est quasiment avéré qu’il possède des « backdoors », ces portes dérobées qui permettent aux unités secrètes basées en Chine de percer les secrets les mieux protégés en Occident.

 

En outre, le régime communiste chinois est, tout comme l’état l’Union soviétique et aujourd’hui la Russie, passé maître dans le domaine de la désinformation. Les objectifs sont nombreux. Le plus redoutable est sans doute celui de retourner les opinions publiques afin de les faire douter de leurs élites politiques et de semer le doute dans les sociétés démocratiques. La démocratie, on le sait, est par essence fragile. Face à elle se dressent des régimes autoritaires ou même fascisant comme celui de Pékin où toute dissidence ou même toute critique devient quasiment impossible sur la place publique. Dans ce jeu planétaire, la désinformation chinoise ou russe est devenue une arme perverse et efficace qui devrait sans délai devenir l’objectif prioritaire des gouvernements européens et, au-delà, de ceux dans les reste du monde démocratique.

 

Reste-t-il une passion française pour la Chine ?

 

Il y a eu pendant plusieurs siècles un certain romantisme français à l’égard de la Chine. Le mystère d’une civilisation qui a été, à bien des égards, éblouissante a entretenu cette passion que j’ai moi-même longtemps partagée depuis mon adolescence. Aujourd’hui, le charme est rompu. Le ressort est cassé. Il n’est que de décrypter les sondages d’opinion, dont ceux réalisés chaque année par l’organisation Pew pour constater que le désamour progresse dans la grande majorité des pays occidentaux.

 

Les causes en sont multiples : le saccage de l’environnement, la destruction méthodique du cadre de vie dans les villes, la disparition à grande vitesse de ce ciment culturel et artistique qui faisait de la Chine une grande civilisation. Ce phénomène est-il irréversible ? Mon optimisme inébranlable cède la place à un pessimisme qui croît avec les années qui passent. En effet, avec toutes destructions menées par le régime chinois, il est difficile de concevoir une Chine qui un jour pourrait retrouver ces racines identitaires qui s’évanouissent pour de bon. Une fois les racines coupées, l’arbre pourrit de l’intérieur et meurt à jamais.

 

Votre leçon personnelle après tant d’années passées à observer la Chine ?

 

C’est celle d’une très grande tristesse. Lorsque j’observe cet Extrême-Orient qui me fascine toujours, je vois une Chine qui s’efface peu à peu en raison de ces contradictions intrinsèques d’un régime de plus en plus honni qui a semé les graines du désespoir. Ils n’osent le dire en public mais combien sont-ils ces Chinois qui se posent la question de leur avenir et de celui de leur pays. Les réformes économiques initiées par Deng Xiaoping en 1978 avaient permis aux Chinois d’oublier temporairement les souffrances et l’humiliation subies pendant la sinistre Révolution culturelle et de rapidement retrouver leur dignité en gagnant le respect du reste du monde.

 

Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, les nuages encombrent un ciel de plus en plus sombre. Face à la Chine, les démocraties de l’Asie que sont Taïwan, le Japon et la Corée du Sud démontrent tous les jours ce que système politique convient aussi à cette région et permettent d’espérer que, peut-être, la Chine retrouvera un jour ce chemin. Avant qu’il ne soit trop tard. S’il n’est pas déjà trop tard.

 


A lire pour compléter cet entretien
: « L’Empire des illusions » de Pierre-Antoine Donnet (Ed. Saint Simon)

 

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