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CHRONIQUES DE SUKHOTHAI : Une journée ordinaire au Lycée Udomdarunee

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 06/12/2019
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Retrouvez régulièrement les délicieuses chroniques de notre ami Michel Hermann, arpenteur de sa province de Sukhothai. Ancien journaliste de l’Agence France Presse, ancien attaché culturel de l’Ambassade de France à Bangkok, Michel fut, pendant prés de vingt ans, l’âme du Lotus Village, boutique-hotel de charme dans la cité historique thaïlandaise. Un regard perçant et tendre sur le Siam

 

Comme elles sont belles, dans leur jupe bleue plissée.
Blouse blanche, ceinture en cuir, sourires charmeurs,
Socquettes, chaussures ; uniforme de rigueur,
Qui dissimule mal, tant de désirs cachés.

 

Alignées en rangs serrés, sur l’aire de jeux,
Tâche qui ondule, comme des fleurs d’amour,
Elles écoutent, attentives, les consignes du jour,
Immobiles, dans un silence respectueux.

 

Hymne national, chanté d’une seule voix,
Levée des couleurs ; comme tous les matins,
A huit heures, l’antienne et ses refrains,
Pour vénérer le pays, la reine et le roi.

 

Mais pour nos lycéennes, ce n’est pas fini,
Demi-tour, mains jointes, tête inclinée,
Il faut prier Bouddha, l’hôtel est à l’opposé.
Le rituel quotidien est enfin accompli.

 

Comme un vol d’oiseaux, dispersé par le vent,
Elles s’éparpillent, direction la cantine.
Les jeunes pousses espiègles, s’agglutinent
Sur les tables en teck, à l’abri, sous l’auvent.

 

Soupe de riz, gâteaux, douceurs, vite avalés,
Les escaliers bruissent de leurs rires enfantins.
Elles montent en désordre, dernier couloir enfin.
Puis, c’est la classe, étouffante et surchauffée.

 

Pareil aux temples, maisons et lieux adulés,
La poussière reste dehors, les chaussures aussi.
On marche en chaussettes, on glisse sans bruit.
Les cinquante-cinq élèves, avec civilité,

 

Saluent leur enseignant, le Maître, c’est moi.
“Bonjour Monsieur le Professeur”, en un seul cri.
Elles posent ensuite leurs petits derrières, ravis
De trouver le repos, sur les chaises en bois.

 

Au loin, de lourds nuages s’amoncellent,
L’orage peut surgir à tout moment, incertain.
Les pales des deux plafonniers tournent sans fin,
Brassant l’air chaud, pour ces demoiselles.

 

Je parle, on m’écoute, sans forcer la voix.
Heureusement ici, le prof a toujours raison.
On lève le doigt, pour un oui pour un nom.
Contester l’autorité, c’est contester l’Etat.

 

Malgré les trente-six degrés, les petits anges,
Au minois si gracieux, supportent sans effort,
Classe surpeuplée, chaleur humide, inconfort.
Traditions, climats, passions, tout se mélangent

 

Pour en faire d’obéissantes élèves.
Entrer dans le moule ; amis, parrainages,
Relations, corruption, copinages.
Et ainsi, des parents, prendrent la relève.

 

Pour l’instant, sauvées par tant d’innocence,
Elles apprennent les livres, la vie, l’amour,
Sans se douter, qu’à ces jeux dangereux, un jour,
Elles seront victimes, de leur insouciance.

 

Pas d’hiver, pas d’automne, pas de printemps ;
Sous les tropiques, vit un éternel été.
Rêves d’étreintes et nourriture épicée
Excitent la puberté, taquinent les sens

 

Dans une société thaïe, aussi pudique,
Où tout est permis derrière le paravent,
Les accidents de parcours sont fréquents,
Chez les jeunes, imprudentes extatiques.

 

L’école rejette les jeunettes engrossées,
Qui, pour quelques instants d’intense bonheur,
Ont mis fin aux espoirs d’un avenir meilleur.
Triste destin, pour ces hédonistes infortunées.

 

Du haut de mon savoir, cinquante-cinq paires d’yeux
Me scrutent, me jaugent, tendrement, me sourient.
Apprendre le français avec l’accent du midi,
Ce n’est pas facile, et plutôt laborieux.

 

Mais qu’importe pour ces nymphes amusées,
Ou sous les tenues, leurs formes à peine visibles,
En attente de délices inaccessibles,
Cherchent un passage discret vers la liberté.

 

Dans une ambiance sensuelle et studieuse,
Deux heures de cours, assidus, passent ainsi.
La langue de Molière imprègne les esprits
Et les cœurs, de ces indolentes charmeuses.

 

L’appel retentit, la cantine les attend ;
On grignote, ici, toutes les deux heures.
Chemise trempée, et accablé de chaleur,
Je quitte la classe, épuisé, impatient.

 

Au milieu des tendrons à la peau satinée,
Je me fraye un passage vers la sortie.
Les jeunes filles se pressent, ma classe est finie.
Les mots, les cris fusent, Molière est oublié.

 

Deux mille neuf cents élèves se croisent,
Sans chaos, pour rejoindre leurs nouveaux cours.
L’âme de Confucius, ici, plane toujours :
Discipline, ordre, traditions siamoises.

 

Du sommet du Royaume, au dernier des manants,
La règle, c’est l’obéissance et la soumission.
Les jeunes filles en fleurs, en toute discrétion,
Défient souvent les dogmes, à l’insu des parents.

 

Car, dans un pays où le Smartphone est roi,
L’Administration, l’Éducation d’un autre âge,
La société inique avec ses blocages,
Les réseaux sociaux ont remplacé les lois.

 

Comment ne pas aimer cette belle jeunesse,
Ces fines silhouettes, mouvantes et élancées ;
Mannequins en herbes sortant de la puberté
Qui brisent les tabous avec délicatesse…

 

Michel Hermann

 

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