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CHRONIQUES DE SUKHOTHAI: Une journée ordinaire à Bangkok

Journaliste : Michel Hermann
La source : Gavroche
Date de publication : 02/04/2019
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Dans un récent poème, « Bangkok, l’enfer du décor », Michel Hermann parlait de l’accueil au consulat de France à Bangkok en termes plutôt élogieux. Michel nous avait précisé que les relations avec les expatriés et autres semblent s’être améliorées. Ce n’était pas le cas pour lui il y a un an, comme le reflète le poème ci-dessous. A toutes fins utiles, les retraités expatriés n’ont plus besoin d’aller au consulat de France pour les Certificats d’existence ou de vie, puisqu’une autorité locale est dorénavant habilitée à le faire. Bonne lecture donc.

 

Depuis la terrasse de l’hôtel Oriental,
On voit le fleuve Chao Praya qui caresse
Temples et immeubles de standing, et progresse
Lentement vers la mer. Son périple fluvial

 

Changera de sens avec la marée montante,
Et ramènera ses flots salés vers la ville.
Longues queues et bateaux-mouches, dans un subtil
Ballet, croisent péniches et objets flottants.

 

Il est sept heures. Touristes et Hommes d’affaire
Se pressent de finir leur petit-déjeuner.
De jeunes serveuses en sarong de soie tissé,
Glissent en souriant entre les tables et s’affairent

 

Discrètement afin de ne pas déranger
L’équilibre raffiné et précieux des lieux.
Sur ma tête, des nuages et un ciel pluvieux
Assombrissent un paysage déjà plombé.

 

Absorbé par la vision d’un fleuve agité
Et oubliant les bruits de la ville, j’attends
Huit heures et demie, pour rejoindre le moment
Venu, l’Ambassade de France, à côté

 

De l’hôtel, d’où l’on aperçoit le bâtiment
Imposant de verre et de béton qui abrite
Le Consulat, solide bunker où l’élite
De notre diplomatie locale, fuyant

 

Les miasmes et les échos de la Cite des anges
Semble vivre en autarcie en attendant
La prochaine affectation, dans deux ou trois ans…
Retraité ici, je dois prouver, c’est étrange,

 

Que je suis bien vivant pour toucher ma pension.
Chaque année donc, le scénario est identique.
Mon certificat d’existence, viatique
Qui pourvoira à mes besoins et mes passions,

 

Sera dûment tamponné par le Consulat.
Le chemin est long pour arriver jusqu’ici.
Lever tôt à cinq heures pour prendre un taxi
Et rejoindre, au plus vite dans le brouhaha

 

Et les embouteillages, le métro aérien
A Mot Chit. Sans surprise il est déjà bondé.
Dans les rues en contrebas, un monde pressé
Et fiévreux, s’agite en désordre. Les terriens,

 

Minuscules fourmis vues d’en haut, -en voiture,
En motos, à pieds-, sortent des rues adjacentes
Pour s’introduire dans cette masse mouvante
Qui forme alors un magma vivant à l’allure

 

D’un fleuve docile. A l’abri, dans des wagons
Hyper climatisés, chacun est absorbé
Par son Smartphone, ignorant publicités
Et paysage urbain qui défilent le long

 

D’interminables avenues. Parfois surgit
Entre deux immeubles ou Centres commerciaux
Un marché local pittoresque, où badauds,
Tâcherons, employées, cadres de compagnies,

 

S’agglutinent sans distinction autour des tables
Des cuisines de rue, débordant des trottoirs,
Qui offrent plats locaux et souvent de terroir,
A une heure très matinale. Mémorables

 

Arrêts sur image de la vie, qui dévoile
L’âme de la Cité des Anges. Le métro
Se remplit au fil des stations. Couleurs rétro
Ou tapageuses, des écrans géants, toiles

 

De fonds ou simple cache-misère, s’imposent
A nos yeux pendant le trajet. Puis, changement
A Siam Square. La foule, d’un même élan,
Court vers l’autre rame, en face, qui dépose

 

Aussi sa multitude sur le même quai.
Les troupeaux se croisent en silence en prenant
Des chemins opposés, le nôtre nous menant
Vers les quartiers d’affaires de Silom, marqué

 

Déjà par une assourdissante animation.
Nous longeons ensuite Sathorn, autre quartier
D’affaires réputé, pour enfin arriver
A Saphan Taksin, ultime destination.

 

Ici, sur Charoen Krung, C’est le quartier chinois,
Vivant nuit et jour, bruyant, odoriférant,
Besogneux, embouteillé, mais si attachant
Et si fascinant lorsqu’on n’y travaille pas…

 

Après le prestigieux Assumption Collège,
En tournant à gauche, on atteint l’Oriental.
Je marche sans me presser, mon masque facial
Sur le nez. C’est normal ici. Cela protège

 

Des particules fines très dangereuses
Pour des poumons détériorés par tant d’années
De cigarettes et de fumées prohibées…
Après l’Oriental, le Consulat. Mines creuses

 

Et fatiguées de celles et ceux qui patientent
Depuis longtemps devant les vitres blindées
De l’accueil. Certains viennent de loin, résignés,
Pas sûr d’être récompensés de leur attente.

 

Après un double sas, Rayon X et portique,
Puis le dépôt dans un casier de son portable,
On pénètre dans le saint des saints inviolable.
La salle d’attente est loin d’être ludique,

 

Mais l’accueil demeure courtois et efficace.
Dans les services administratifs, aux étages,
Cela se gâte. C’est plus le même langage :
Cordialité, chaleur, sourires ont fait place

 

A la froideur, la nervosité, un mal-être
Palpable qui imprègne l’ambiance feutrée
Des lieux. Bref le climat, autrefois empressé,
Et chaleureux, même si cela peut paraître

 

Insolite ici, a été remisé
Aux vestiaires. La nouvelle organisation
Du Consulat, qui est un peu notre Maison,
Semble avoir détruit nos rapports privilégiés.

 

Document enfin estampillé, j’ai repris
Le chemin inverse, retiré mon portable,
Et hélé un taxi dont un chauffeur affable,
-Merci le Pays du sourire-, m’a conduit

 

A Ladprao, vingt-trois kilomètre plus loin,
Via les tentaculaires autoroutes urbaines
Qui, sur plusieurs niveaux, parcourent par dizaines
L’agglomération, et déversent leur trop-plein

 

De voitures bondées dans l’anarchie, en bas.
Du taxi, on aperçoit des quartiers entiers
De maisons en bois aux toits de tôle ondulée
Écrasées par des gratte-ciels, puis, çà et là,

 

Des grues qui, au grès du vent, balancent leurs flèches
Au-dessus de Temples bouddhistes étincelants.
Terrains vagues côtoient le beau et le clinquant,
La pauvreté s’efface devant la richesse.

 

Je suis de retour à la maison à onze heures.
A temps pour prendre la route de Sukhothaï.
L’an prochain, le même cirque, vaille que vaille
Se répètera ! Sans sourire, sans chaleur…

 

Michel Hermann

 

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