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INDOCHINE – ÉCRIVAINS: Pierre Loti et André Malraux, ces chercheurs de signes

Journaliste : Francois Doré
La source : Gavroche
Date de publication : 27/05/2020
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Retrouver dans les colonnes de Gavroche les chroniques littéraires et historiques de François Doré est un plaisir trop rare, que nous partageons avec les lecteurs du site Le Souvenir Français de Thaïlande, dont nous vous recommandons la consultation. Cette fois, notre chroniqueur a décidé de suivre à la trace Pierre Loti et André Malraux. Deux chercheurs de signes…

 

Une chronique de François Doré, à retrouver aussi sur le site du Souvenir Français de Thaïlande

 

Rolande Leguillon écrivait en décembre 1977, dans la revue “Cahiers Pierre Loti” : « Préoccupé avant Camus, avant Malraux, du scandale que représente la mort, Pierre Loti aura passé sa vie à chercher une explication, ou de simples signes capables de l’aider à vivre, sinon à mourir. Longtemps avant Malraux, il a essayé de chercher s’il y avait parmi les hommes du monde entier quelque dénominateur commun… Loti ne cherche pas à savoir s’il y a une permanence de l’homme. Il sait pertinemment que les civilisations sont étanches et que ce qui sépare les hommes, c’est, comme l’a dit Malraux, la forme que prend leur fatalité… Dans un temps où les voyages étaient presque non-existants pour les gens ordinaires, lui voyageait… ». (Leguillon, 1970, p.18).

 

Les jeunes époux Malraux en Indochine

 

Lui aussi, jeune voyageur, André Malraux découvrira le Cambodge en 1923, quelque vingt-deux ans après son aîné. Pourtant, les références à Loti l’enchanteur, le grand ancien qui l’avait précédé sur cette voie royale, seront bien peu nombreuses sous la plume de Malraux.

 

« Aller en Extrême-Orient, à présent, n’est guère plus qu’une promenade. A l’époque (1923), Saïgon était à près de quatre semaines de la France. Le prestige de ceux qui s’y rendaient demeurait grand : qu’on relise le ‘Pèlerin d’Angkor’ de Loti, ou plus récent puisque écrit sous l’influence de notre expédition, ‘Le Roi Lépreux’ de Pierre Benoit ». (Clara Malraux, 1966, p. 118).

 

On peut cependant trouver, dans le « Miroir des Limbes », cette rare référence : « Bouddhas khmers. Je n’avais pas quinze ans quand je lisais Loti : « J’ai vu l’étoile du soir se lever sur Angkor… ». On se bat ces jours-ci au Cambodge et la rosée de l’aube continue à perler sur les toiles géantes des araignées, au-dessus des maquisards morts. Moi, j’ai vu l’étoile du soir se lever sur Lascaux où nos armes étaient cachées, et je ne savais pas que c’était Lascaux… Il existe au fond de la brousse, une autre Angkor, encore emmêlée aux lianes : Banteai-Chmar, « la forteresse du chat ». Voici un petit relief près duquel, vers 1924, méditait un dieu de pierre, les grenouilles de ruines endormies sur son épaule ; les grenouilles de ruines sont presque transparentes. Reverrai-je la forêt d’Asie ?

 

Cette semaine les Khmers Rouges atteindront Angkor… ». (André Malraux, 1996, p.764).

 

Un ordre de mission en bonne et due forme

 

Clara Malraux, dans le deuxième livre de ses souvenirs, « Nos vingt ans », rapporte avec un humour assez rare, l’anecdote suivante, survenue au cours de leur voyage vers Siem Reap, après l’entrevue avec Léonard Aurousseau à l’Ecole Française de Hanoï et qui les a laissés plein d’espoir pour la suite de leurs entreprises aventureuses.

 

Munis d’un ordre de mission établi en bonne et due forme, ils quittent Hanoï et repartent en bateau vers le Cambodge. Ils sont escortés du chef du Service Archéologique lui-même, Henri Parmentier. Clara donne de lui une description un peu rosse : « Il se pare d’une barbiche blanche de vieux bohème quelque peu gaillard ». Lui pourtant ne cache pas sa sympathie pour le jeune ménage. Clara poursuit « Parmentier commente gentiment les berges du Mékong que nous remontons : ‘Loti parle de charognards groupés sur les branches de bananiers. Sans doute n’a-t-il jamais vu de bananiers et ne sait-il pas que leurs branches sont trop souples pour supporter le poids d’un seul charognard.’ La réflexion doit être rituelle ; nous regardons un vol de charognards ; nous regardons les bananiers… ». (Clara Malraux, 1966, p. 133).

 

Notre « Pèlerin d’Angkor »

 

Monsieur Parmentier, sauf votre respect, vous avez mal lu Loti. Reprenons notre « Pèlerin d’Angkor ». Pierre Loti a quitté Phnom Penh et remonte « le lac, grand comme une mer ». C’est un des passages les plus poétiques du livre. « La grande brousse asiatique recommence de nous envelopper entre ses deux rideaux profonds… Sur les rives que nous frôlons presque, des armées d’oiseaux pêcheurs se tiennent au guet, pélicans aigrettes et marabouts. Parfois des compagnies de corbeaux noircissent l’air. Dans le lointain, se lèvent des petits nuages de poussière verte, et, quand ils s’approchent, ce sont des vols d’innombrables perruches. Çà et là, des arbres sont pleins de singes, dont on voit les longues queues alignées pendre comme une frange à toutes les branches »… (Loti, 1912, pp. 33-34).

 

Et plus loin, « Trente lieues, quarante lieues de forêt noyée défilent ainsi… réservoir prodigieux de vie animale ; ombrages pleins d’embûches de guet-apens, de griffes, de becs féroces, de petites dents venimeuses, de petits dards aiguisés pour les piqûres mortelles… » Et enfin, voici le texte exact de l’auteur charentais : « Des ramures plient sous le poids des graves marabouts au repos ; des arbres sont si chargés de pélicans, que, de loin, on les croirait tout fleuris de grandes fleurs, pâlement roses… ». (Loti, 1912, p. 41).

 

Non Loti, n’avait pas menti ; il est bien venu à Angkor et il savait ce qu’était un bananier…

 

Mais ce sublime “pâlement rose” nous fait penser à un autre texte, cette si belle description de Saint-Jean-de-Luz dans ce pays Basque que, plus tard, l’auteur de « Ramuntcho » aimera tant : « Saint-Jean-de-Luz, cette petite ville si près de l’Espagne qu’on s’y rêverait en Espagne encore que les Espagnols les plus épris de leur péninsule, peuvent y venir en villégiature, sans croire faire une infidélité à leur pays…Un nid de pêcheurs qui a donné les plus terribles flibustiers du monde ; la duchesse de Sierra Leone, alors dans la lune de miel de son mariage, y étalait un faste qu’on n’y connaissait plus depuis Louis XIV, parmi ces Basquaises qui, en fait de beauté, ne craignent la rivalité de personne, avec leurs tailles de canéphores antiques et leurs yeux d’aigue-marine si pâlement pers…. ».

 

Et bien non ! Ce dernier écrit et ce « pâlement pers » ne sont pas, comme on pourrait le penser de Loti, mais se trouvent dans la nouvelle « La vengeance d’une femme » de Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly. (1989, p.30-31).

 

Loti avait-il lu Barbey ??…

 

Édition illustrée, de 1989.
Le faux-pas de l’archéologue.

 

Francois Doré

 

Bibliographie des ouvrages cités :

 

– BARBEY d’AUREVILLY Jules, 1989, « La vengeance d’une femme. Les Diaboliques. ». Illustré par Christophe Rouil. Cherbourg, Edit. Isoète.

 

– CLEMENTIN-OJHA Catherine / MANGUIN Pierre-Yves, ‘Un siècle pour l’Asie‘. EFEO / Les Editions du Pacifique, 2001.

 

– Idem : ‘A Century in Asia’. EFEO, / Didier Millet, 2007.

 

– GREINER Virginie / COLLIGNON Daphné, 2015, ‘Avant l’heure du Tigre. La voie Malraux‘. Grenoble, Glénat.

 

– LEGUILLON Rolande, 1977. « Pierre Loti et la représentation du sacré ». Cahiers de Pierre Loti, No 70. Décembre 1977.

 

– LOTI Pierre, 1912, « Un pèlerin d’Angkor ». Paris, Calmann-Lévy.

 

– MALRAUX André, 1996, « Le Miroir des Limbes ». Tome III. Paris, NRF/Gallimard.

 

– MALRAUX Clara, 1966, « Le Bruit de nos pas. II : Nos vingt ans ». Paris, Grasset.

 

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