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INDONÉSIE – HISTOIRE : Sur les traces de Soekarno et Suharto

Date de publication : 22/03/2023
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Soekarno Suharto Indonésie

 

Belle initiative que celle de notre ami Yves Carmona, plongé dans l’histoire de l’Asie du Sud-Est contemporaine. Cette fois, le voici affairé à nous raconter l’Indonésie de Soekarno et Suharto.

 

Soekarno, Suharto et l’Indonésie
Par Yves Carmona

 

4ème population mondiale, la 3ème en Asie, 275,5 Millions d’habitants en 2022, c’est aussi l’État qui compte le plus de musulmans dans le monde.

 

Certes, ce qu’on connaît le mieux dans les pays riches, c’est une très belle île où le tourisme est florissant, Bali dont la religion dominante est l’hindouisme. Cependant, Denpasar, la ville la plus peuplée de cette région, a 10 fois moins d’habitants que la capitale Jakarta.

 

D’autre part, l’Indonésie est aussi un pays qui compte politiquement. Déjà, en 1955, elle a accueilli à Bandung une conférence célèbre.

 

Aujourd’hui, présidente en 2022 du G20 et cette année de l’ASEAN, gouvernée par un président démocratiquement élu en 2014 et réélu en 2019, M. Joko Widodo alias Jokowi, elle est plus que jamais non-alignée, plus précisément ni sur les États-Unis ni sur la Chine communiste (PRC), tout en souhaitant entretenir avec les deux superpuissances de bonnes relations.

 

Son économie, 11 858 US$ en parité de pouvoir d’achat (PPP) fin 2021, est actuellement une des plus prospères d’Asie (5,3% de croissance en 2022) et la 10ème mondiale en volume. Loin certes de son voisin Singapour, mais avec sa nombreuse population et un fort contrôle de l’État y compris avec l’armée, Jakarta a en main un levier important. Elle a connu plusieurs Présidents célèbres.

 

Soekarno (1901 – 1970) est le père du combat anti colonialiste.

 

C’est le premier Président de la république d’Indonésie (1945-1967) dont il proclame l’indépendance le 17 août 1945 et il le reste pendant plus de 21 ans. Fils d’un instituteur issu de la petite noblesse javanaise et d’une mère de l’aristocratie balinaise, la position sociale de ses parents lui permet d’entrer à l’école pour Hollandais. Libéré par les Japonais pendant la 2ème guerre mondiale, Soekarno décide de faire le jeu du nouvel occupant, persuadé de pouvoir en tirer parti. Sa fille Megawati Sukarnoputri, présidente de la république d’Indonésie sera Présidente de 2001 à 2004 après avoir été vice-présidente de 1999 à 2001 – encore une dynastie dans un continent où elles sont légion.

 

Retenons de la longue présidence Soekarno la conférence de Bandung et les massacres de communistes qui vont lui coûter son siège.

 

La conférence de Bandung, petite ville sur l’île de Java, réunit du 18 au 24 avril 1955 29 pays d’Asie et d’Afrique, nouvellement indépendants, pour affirmer leur volonté d’autonomie et leur non-alignement sur les puissances mondiales, trop cependant aux yeux de Washington en pleine guerre froide avec l’URSS qui soutient ce groupement informel représentant 1 milliard 250 millions d’âmes, sous la présidence du leader indonésien.

 

Elle marque la fin de l’ère coloniale et impose la notion de « tiers-monde » : toute une partie de l’humanité – qui n’appartient ni à la noblesse européenne ni au clergé américain – veut désormais avoir voix au chapitre et les participants à la conférence veulent accélérer l’indépendance des autres colonies. Parce que l’Asie est le continent où les puissances coloniales ont connu leurs premières défaites, elle compte le plus grand nombre de participants : la Birmanie, Ceylan (aujourd’hui le Sri Lanka), l’Inde avec Nehru mais il faut noter que le Pakistan fait partie des initiateurs de Bandung, le Chinois Chou Enlai. Sont représentés aussi neuf pays du Proche-Orient dont l’Égyptien Nasser et six dirigeants africains dont notamment Leopold Sedar Senghor.

 

Selon « le Monde diplomatique » de l’époque, 3 groupes de pays sont en présence : pro-occidentaux, pro-soviétiques et non-alignés qui trouveront leur formalisation en 1961 avec la création du mouvement des non-alignés. Le communiqué final met l’accent sur la coopération économique, culturelle, les droits de l’homme et l’auto-détermination donc la fin du colonialisme. Les dix principes inscrits à titre de conclusion reflètent sur le plan politique cet engagement.

 

Mais le charisme exceptionnel de Soekarno, ses 7 vies selon RFI, ne résisteront pas au long (20 ans) exercice du pouvoir et à une politique internationale devenue peu lisible.

 

C’est dans ce contexte de grand désordre qu’eut lieu le coup d’État avorté du 30 septembre 1965, attribué aux communistes. Les représailles militaires seront féroces, tragiques, faisant, selon des organisations non gouvernementales, un million de morts. Il conduira à la prise du pouvoir par l’armée et la mise à l’écart du président Soekarno, placé en résidence surveillée en 1967 et mort en disgrâce en 1970.

 

C’est en effet le général Suharto (1921-2008) qui profite de la situation pour prendre le pouvoir. Moins cultivé et polyglotte que son prédécesseur, son règne de 31 ans est marqué par un développement remarquable de l’économie du pays, mais également par un très fort autoritarisme et par une importante corruption.

 

Autoritarisme dans l’exercice sans concession du pouvoir : si Suharto a bien été élu Président par le Majlis (Parlement), c’est dans le sang qu’il a réussi tant bien que mal à naviguer entre communisme (dissolution du PKI) et islamisme radical. Selon certaines ONG, la répression aurait fait entre 300 000 et 3 Millions de morts.

 

Violence dans le traitement réservé à Timor (cf notre article du 19/9/2022) qui n’a toujours pas, en 2023, été intégrée à l’ASEAN ; mais aussi à la Papouasie et à Aceh, pour ne parler que des régions les plus éprouvées. Interdiction de fait de toute manifestation d’opposition.

 

Suharto mène sous la dénomination d’ « Ordre Nouveau » une politique favorable aux grandes compagnies, y compris américaines ou dirigées par des hommes d’affaires d’origine chinoise.

 

On ne peut nier une certaine réussite puisque le revenu moyen par habitant progresse pendant son mandat de 70 $ à 1 300 $ et le nombre d’Indonésiens pauvres passe de 56 % à 12 %.

 

Cependant, après trois décennies passées au pouvoir, le soutien à la présidence de Soeharto s’érode à la suite de la crise financière asiatique de 1997-1998 qui le contraint à démissionner de la présidence en mai 1998.

 

Lui succède alors BJ Habibie (1998-1999), un ingénieur en construction aéronautique. Brillant scientifique, il avait étudié aux Pays-Bas et en Allemagne chez MBB, sur l’Airbus A 300. A son retour en Indonésie, il crée en 1976 IPTN, constructeur aéronautique national qui fabrique des pièces pour Boeing, Airbus, General Dynamics et Fokker. L’auteur de ces lignes se souvient qu’il entretenait dans les années 90 des relations étroites avec Aérospatiale. Aujourd’hui, le design de l’avion régional R 80 a été repris par son fils et est en cours de développement malgré le retard qu’a suscité la COVID.

 

BJ Habibie, ministre de la recherche et la technologie depuis 1978, devenu Président quand Suharto a dû démissionner, démocratise le régime, dont il encourage la fiscalité et l’industrie locales, conditions d’une industrie nationale. Il a compris que pour gagner du temps, celle-ci devait s’appuyer sur la sous-traitance de produits de haute technologie comme les avions. 1er producteur mondial d’étain, l’Indonésie sous son égide cherche à construire une industrie nationale et ne pas dépendre de l’extraction de matières premières, d’autant qu’après avoir fait la fortune de Royal Dutch Shell, ses gisements de pétrole ne représentent plus qu’une part réduite de son PIB ; elle cherche donc davantage à se tourner vers les hautes technologies.

 

D’autres Présidents (7 en tout depuis l’indépendance) ont été élus et le Président actuel Joko Widodo surnommé Jokowi a été réélu démocratiquement en 2019. L’Indonésie, un grand archipel (plus de 17 000 îles !) est devenue un partenaire incontournable de la concertation internationale. Elle a pour la première fois présidé le G20 en 2022 et cela lui a permis d’accueillir à Bali les grands de ce monde. En 2023, elle préside l’ASEAN et à ce titre, elle essaie de trouver une solution à la prise du pouvoir par la junte qui a déjà tué au moins 3100 personnes. Selon son Président Jokowi, « elle parle discrètement avec toutes les parties en présence » mais n’est encore parvenue à aucun résultat, l’ASEAN étant d’ailleurs divisée sur l’attitude à adopter.

 

Conclusion

 

1 On dit beaucoup en 2023 que l’esprit de Bandung est de retour, avec le refus des pays du Sud – les BRICS dont l’Indonésie, la majorité du G20 – de laisser l’Occident dicter ses termes dans la situation mondiale.

 

2 Comme dans un grand nombre d’États du Sud, les droits de l’homme ne peuvent y être considérés comme un critère dominant. Les exemples ne manquent pas, ainsi l’épouse d’un homme, condamné à mort en 2005 pour avoir contribué à un trafic de drogue, a ému l’opinion jusqu’aux Présidents de la République française depuis lors, au point d’interdire ou de fragiliser la relation bilatérale.

 

3 Dans ce contexte, la grande partie qui se joue entre les Etats-Unis et la Chine, clé de la puissance mondiale aujourd’hui et demain, passe aussi par la capacité de l’Occident à nouer ou à conserver sa capacité de négociation avec elles, mais aussi avec celles, comme l’Indonésie, qui veulent avant tout maintenir l’équilibre : un monde multipolaire.

 

On ne s’y attendrait pas et c’est pourtant la réalité : c’est la Chine qui vient de faire la paix dans le Golfe. Les 3 jeunes princes régnants de l’Arabie, des EAU et du Qatar désignés par les familles au pouvoir ont en commun un projet politique : la modernisation autocratique. Cela ne va pas sans accroc : les 2 principales monarchies pétrolières riches n’ont pas accepté la réussite du petit Qatar (Al Jazeera, Qatar airways, coupe du Monde de football…) ce qui les a incitées au blocus en 2017.

 

Pour revenir à l’Asie, c’est la Chine, et non les États Unis, pourtant allié traditionnel des deux grands pays arabes, qui a réussi à réconcilier l’Iran chiite et l’Arabie sunnite après des années d’affrontements par procuration au Yemen, ce qui confirme que trois pays non-Occidentaux pouvaient jouer et remporter une victoire diplomatique sans demander l’accord de l’Occident.

4 L’impuissance de l’Indonésie, de loin le plus grand pays de l’ASEAN, à résoudre la crise birmane révèle autant la sienne que celle de l’ASEAN ; celle-ci résistera-t-elle à une incapacité durable à mettre fin à la guerre civile ?

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