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THAÏLANDE – HISTOIRE: A Fontainebleau, le roi Chulalongkorn sur les traces des deux Empereurs

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 19/11/2020
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Gavroche remonte le temps et l’histoire de la Thaïlande. Car pour comprendre le présent, rien de tel que d’explorer la mémoire d’un pays. Notre accord inédit avec le ministère thaïlandais de la culture nous permet de publier des extraits de «Loin des siens», le recueil de lettres adressées depuis l’Europe par le roi Chulalongkorn à sa fille, en 1907. Cette fois, le roi de Siam piste, à Fontainebleau, les deux Empereurs Napoléon…

Extraits des lettres sur la France du Roi Chulalongkorn (Rama V) envoyées à sa fille, la princesse Nibha Nobhadol, lors de son voyage en Europe en 1907.

Le ministère de la Culture thaïlandais a autorisé Gavroche à publier une série d’extraits de Loin des Siens. Une plongée étonnante dans l’intimité d’un monarque qui aura à jamais marqué l’histoire de son pays et des relations avec la France.

Dans le cadre de la commémoration du centenaire de la disparition du Roi Chulalongkorn (1853-1910), Wilawan Tejanant-Pellaumail et Christian Pellaumail(1) ont traduit les lettres que le roi de Siam envoyait à sa fille depuis la France.

Réunies dans un très bel ouvrage intitulé Loin des Siens (Klai Baan), ces lettres, d’un grand intérêt historique mais très peu connues des Français, décrivent le quotidien du Roi et le regard qu’il portait sur la France au début du XXe siècle. Le ministère de la Culture thaïlandais a autorisé Gavroche à publier une série d’extraits de Loin des Siens. Une plongée étonnante dans l’intimité d’un monarque qui aura à jamais marqué l’histoire de son pays et des relations avec la France. La lettre que nous vous présentons ce mois-ci a été écrite à Paris, le samedi 17 août 1907. Le roi raconte sa journée démarrée tardivement. Il décide alors d’aller se balader au hasard dans la ville. Il arrivera au Sacré Coeur… (1) Wilawan Tejanant-Pellaumail, thaïlandaise d’origine, a obtenu un doctorat de Sciences du langage à l’université Aix-Marseille I en 2000. Christian Pellaumail est français, agrégé de Lettres classiques et ancien conseiller culturel près l’ambassade de France à Bangkok. Ils enseignent ensemble la traduction français-thaï à la faculté des Lettres de l’université Chulalongkorn de Bangkok. Ils ont également traduit en français un livre de M.R. Kukrit Pramoj, intitulé Lai Chivit (Plusieurs vies) et publié en 2003 aux Editions Langues & Mondes, l’Asiathèque à Paris.

 

Ma chère fille,

 

Ce matin avant midi nous sommes partis en automobile à Fontainebleau, pour voir le château où Napoléon III a reçu nos ambassadeurs à l’époque de Chao Phraya Sriphipa (1). La sortie de Paris a pris un temps fou, ensuite nous avons suivi le cours du fleuve. J’ai eu le sentiment que ces rues dont les tournants n’étaient pas arrondis mais au contraire abrupts et à angle droit et qui avaient une rangée d’arbres de chaque côté étaient typiquement françaises. La plupart étaient revêtues de gros pavés qui faisaient tressauter les voitures. L’automobile que nous avions louée était un modèle de ville de dimension réduite, avec beaucoup de facilité pour tourner, mais pas assez de suspension pour amortir les chocs, nous avons été terriblement malmenés.

 

Sortir de Paris

 

En ville, il est interdit d’utiliser les grands phares qui pourraient effrayer les chevaux, on ne peut allumer que les feux latéraux. Un peu plus loin, la voie m’a semblé être en réparation, pleine de cahots, bien plus mauvaise que les chaussées des grandes villes de province. A Paris en effet les rues se dégradent très rapidement à cause de la circulation des chariots. Une fois réparées, on les arrose de goudron afin d’empêcher la poussière, qui semble effectivement absente.

 

Avant de sortir de l’agglomération parisienne, nous avons traversé des banlieues puis nous avons atteint des champs de blé. C’était juste la fin des moissons, les grains étaient en train de sécher au milieu des champs, et les meules de foin déjà dressées. Plus loin, la route s’est légèrement élevée et nous sommes entrés dans la forêt. La voie qui traversait les champs et la forêt était bien droite, sans les virages du début qui suivaient le cours du fleuve. Peu après nous avons rencontré des espaces où le sol était sablonneux, ce qui explique qu’on y avait planté des pins, puis il y a eu une succession de collines rocailleuses où rien ne peut pousser, et finalement un grand hippodrome juste avant d’arriver à la ville de Fontainebleau, où maisons, boutiques et marchés se côtoient dans un espace relativement restreint.

 

Juste en face du château

 

Nous nous sommes rendus directement au restaurant qui se trouve juste en face du Château. Je n’y ai vu qu’un couple de Français, tous les autres clients étaient des étrangers, la plupart des Américains. Après le repas, nous nous sommes dirigés vers le Château mais comme nous étions en train de fumer la cigarette, nous sommes d’abord allés voir l’étang des poissons, en regardant le bâtiment de l’extérieur. Celui-ci, ainsi que la cour, m’ont paru très dégradés. L’herbe de la pelouse était à moitié dégarnie, mal entretenue ; par contre il poussait des herbes folles dans les creux entre les pierres des murs, qui auraient bien besoin de réparations.

 

Le Château offre une large façade, comme notre Palais Chakri, avec trois pignons sur le devant. Au centre se trouve le hall d’apparat, une galerie qui s’étend jusqu’à rejoindre un bâtiment construit en arrière, selon une disposition qui rappelle celle du Palais Boromrajsathitmahoran(2). L’étang où l’on élève les poissons(3) se trouve dans un jardin situé à droite. Il est de taille modeste et l’on raconte qu’il abrite des poissons centenaires, mais nous sommes allés leur jeter du pain et ceux que nous avons vu remonter étaient des petits qui n’avaient sûrement pas cent ans !

 

Les deux lions de l’entrée

 

A l’extrémité du Château, à l’angle extérieur, occupant un emplacement comparable à celui des bureaux du Trésor Royal dans notre Palais Royale, se trouvent les salons du Musée chinois(4). Deux lions en pierre flanquent la porte d’entrée de ce musée auquel on accède de plain-pied. L’intérieur renferme des objets chinois, japonais, siamois, le tout mélangé ; il y a des ensembles de cloisonnés(5) et de vaisselle en jade. Quant aux objets siamois, ils sont dispersés ça et là au milieu des autres. Si l’on interroge le conservateur, celui-ci sait qu’il y a des objets du Siam mais il ne peut pas les reconnaître. Nous les avons donc recherchés et identifiés nous-mêmes pour la plupart (6). (../..)

 

Après ce Musée, nous sommes montés à l’étage pour visiter différentes salles, comme celles qui figurent sur les cartes postales que je vous envoie. Il n’y avait que des pièces carrées ou rectangulaires, assez petites. Les cartes postales sont très bien faites et donnent une bonne idée de la réalité, à ceci près qu’elles sont plus colorées et plus vives. Deux ou trois espaces sont assez grands, la bibliothèque, la salle de bal. Mais le reste, même la salle du Trône, n’a pas vraiment d’ampleur. La décoration des pièces du Château date des différents règnes, le nom du Roi concerné y figure encore. Napoléon a de son côté introduit plusieurs modifications. C’est dans ce Château qu’il a accepté de signer son acte d’abdication, dont un facsimilé est visible à la Bibliothèque. Au-delà des salons situés de façon analogue à nos bureaux du Trésor Royal ou à notre jardin Suan Sawan, se trouve un jardin tout simple où des plantes colorées entourent une petite fontaine.

 

Un élevage d’orchidées

 

La construction du Château date de 1615 de l’ère chrétienne. Deux bâtiments réalisés à des époques différentes le complètent, l’un abritait les logements des courtisans qui attendaient d’être reçus par l’Empereur, dans l’autre se tenaient d’autres résidents du Château. Le premier communique avec le bâtiment principal, le second a été construit à part. Quand on regarde tout cet ensemble, on se dit qu’il est bien dommage qu’il ne serve plus à rien à présent, hormis les visites, et qu’il ne bénéficie pas de l’entretien nécessaire.

 

A cinq heures de l’après midi, nous avons quitté le Château, et après une petite pause au restaurant, nous avons repris la voiture, sous une pluie légère qui commençait à tomber, pour aller à Villeneuve-Saint-Georges, ce qui signifie ville neuve de Saint Georges. Nous nous sommes arrêtés pour voir l’élevage d’orchidées de Monsieur Marcos. Même si mon déplacement se faisait en toute simplicité, les gens dans la rue m’ont reconnu et je les entendais parler entre eux du ” Roi Chulalongkorn “.

 

Ce lieu de culture des orchidées demeure discret, les visites ne sont pas favorisées car c’est avant tout une affaire commerciale. On peut acheter ces fleurs toute l’année, et elles coûtent très cher. Elles sont regroupées par variétés, selon le mois de floraison, mais il y en a aussi beaucoup dont le temps de floraison n’est pas régulier. La culture se fait dans une serre dont le toit et les côtés sont entièrement vitrés ; à une extrémité se dresse une estrade en bois en forme d’escalier complètement garnie de pots et sous laquelle a été installé un bac en ciment qui conserve un peu d’eau. Le sol est recouvert de charbon de bois et les orchidées sont cultivées dans des pots de terre cuite qui contiennent du terreau, des feuilles et de la mousse, sans trop d’eau, seulement maintenus humides. L’arrosage ne se fait pas quotidiennement mais seulement tous les deux ou trois jours, seuls le sol de charbon et l’estrade sont arrosés chaque jour pour entretenir une humidité permanente. Des canalisations où passe de la vapeur maintiennent une température intérieure élevée, qui ne doit jamais descendre au dessous de 20 centigrades.

 

25 degrés

 

Quand j’ai regardé le thermomètre, il était à 25 degrés. Sur le toit il y a un store roulant. S’agissant des orchidées qu’on m’a données, elles ont été obtenues à partir de boutures coupées en petits fragments et enterrées dans de la mousse où elles ont pu se développer. Dans ce cas, on ne peut prélever qu’une seule bouture par pot et par an, mais il existe une autre technique de reproduction, qui permet aussi d’essayer de modifier les couleurs comme on le fait pour les roses : on laisse vieillir les bulbes jusqu’à éclatement et on récupère les graines qui tombent pour les incorporer au stigmate d’orchidées en pleine floraison, puis on cultive ces graines mélangées dans de la mousse imbibée d’eau et dans une pièce dont la température doit être plus fraîche que celle où l’on met les orchidées déjà adultes. Quand le temps est venu, de petites feuilles se développent et au moment où celles-ci atteignent la taille idoine, on les sépare et on les rempote dans de nouveaux pots. C’est ainsi que les orchidées se sont répandues partout. Il y avait dix-sept espèces qui étaient vraiment magnifiques. J’ai fait envoyer deux plants de chacune pour que vous puissiez les admirer, pour peu qu’on arrive à les cultiver. C’était assez cher, mais le reste était banal. Un certain nombre aussi venaient de chez nous. Il y avait une variété d’Amérique, d’une beauté extraordinaire avec un parfum délicat comme celui de notre talc. On m’en a offert et j’ai demandé à Duk de la dessiner, si c’est réussi je vous enverrai le dessin. J’en ai aussi acheté.

 

Aujourd’hui, nous avons parcouru de soixante dix à quatre-vingts kilomètres, et nous ne sommes arrivés à la Légation qu’à sept heures et demie, assez fatigués avec tous ces cahots. J’ai dîné à la Légation puis Monsieur Verney est venu me voir et nous avons longuement parlé.

 

(1) Phraya Sriphipat ( Phae Bunnag) et les ambassadeurs de Siam, envoyés par le Roi Rama IV ou Roi Mongkut, père du Roi Chulalongkorn, ont été reçus en grande pompe par Napoléon III à Fontainebleau le 27 juin 1861

 

(2) L’une des résidences composant le Grand Palais Royal de Bangkok, située en arrière du Palais Chakri.

 

(3) Il s’agit de l’Étang des Carpes.

 

(4) En 1863, L’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, avait fait aménager quatre pièces au rez-de-chaussée du château, où l’on avait disposé selon ses directives des objets d’art d’Extrême-Orient, rapportés de Chine à la suite du sac du Palais d’été en 1860, ou donnés par les ambassadeurs de Siam en 1861.

 

(5) Le cloisonné (‘’cloisonnés’’ en anglais) fait référence à une technique d’émaillage ancienne, très utilisée notamment en Chine et au Japon, et désigne une pièce émaillée selon cette technique.

 

(6) Le Roi recherche à identifier les objets qui ont été apportés en cadeau par les ambassadeurs siamois en 1861 de la part de son père.

 

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