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LAOS : Champassak, les larmes du protectorat

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 25/03/2013
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Promenade nostalgique sur les bords du Mékong. Les villas à la française y dorment d’un sommeil profond, certaines rénovées, d’autres à l’abandon. Les lingas du Vat Phou veillent sur les collines. Dans l’ombre des fantômes de l’ex-colonie, le Sud Laos encore endormi attend l’heure de son éveil touristique.

 

Il faudrait être peintre, aquarelliste de préférence. L’on imagine Marc Leguay, le portraitiste du protectorat (1), arrivé en Indochine en 1932 et mort en 2001, tenant en main sa palette de couleurs ocres, jaunes et brunes. Un chevalet de bois posé ici, sur le balcon de l’auberge Anouxa, en surplomb au-dessus du Mékong et de ses îles flottantes de végétation et de fleurs de lotus arrachées aux rives.

 

Bienvenue à Champassak, province de Paksé, Sud Laos. Le café du plateau des Bolovens, à la couleur d’encre noire, coule dans les tasses sur la table bien mise de l’Inthira, un petit hôtel installé dans l’une des demeures coloniales rescapées des tourmentes de l’histoire. Juste à côté, un couple de jeunes Thaïlandais, gérants d’un pub d’Udon Thani, donnent leurs consignes matinales aux employés laotiens venus rénover une demeure traditionnelle, dont ils ont repeint couleur orange les soubassements de ciment.

 

Le réveil touristique n’est encore qu’un mirage. Au milieu des écoliers en uniforme pédalant bruyamment de bon matin vers l’école, un couple de touristes allemands demandent leur direction sur un vélo, tout étonné de supporter de si bonne heure le poids d’un couple européen. L’ancien bâtiment du bureau provincial des télécommunications, austère demeure à la française aux murs blancs et volets verts, reste obstinément fermé. Ses belles persiennes sont bloquées par une chaîne. Un cadenas rouillé empêche de fouler le beau carrelage des années trente, si reconnaissable à ses motifs de fleurs chamarrées, rouges sur fond blanc. L’on croit entendre, oreille contre les portes de bois, le cliquetis d’un vieux standard téléphonique et les bribes d’appels émanant, loin dans les montagnes qui enserrent le fleuve, des descendants d’Auguste Pavie, le vice-consul de Luang Prabang qui explora le Laos à partir de 1886.

 

Les superbes chutes de Khône, sur lesquelles buta Doudart de Lagrée et son expédition de 1866 à 1868, déversent leur fureur de flots à deux heures de route plus au sud. Champassak est une ode à la nostalgie coloniale. Son unique rue, où une superbe villa rénovée par un propriétaire français donne le ton des investissements potentiels à venir et prouve combien la protection du patrimoine sera cruciale, paraît tout droit sortie d’un autre âge. Pas de supermarché, ni même d’épicerie moderne digne de ce nom avant d’atteindre Paksé, le chef-lieu provincial, à une vingtaine de kilomètres. La modernisation a juste déversé là un distributeur de billets, face à la crête des Monts Boloven couverts de jungle et déchirés de spectaculaires cascades.

 

Le rond-point aux têtes d’éléphants, épicentre de la bourgade, nargue la machine à avaler les cartes de crédit. Le bureau d’information touristique attend son premier visiteur pour se donner l’impression de servir à quelque chose. Le décor est bien celui des toiles de l’Ardennais Marc Leguay, décédé en Thaïlande à l’aube du siècle après avoir tant pleuré la disparition de ses œuvres laissées derrière lui au Laos. L’île de Khong, aux confins du Cambodge, voisine des chutes de Khône, l’avait conquis dès sa jeunesse. Il ne cessa ensuite de la coucher sur ses toiles, face au Mékong bordé de flamboyants. Il en fera ensuite des timbres pour le compte de la Poste Nationale laotienne, puis des affiches, des couvertures de livres.

 

Champassak, carte postale idéale de tropiques apaisés

 

Retour à la réalité. Les pagodes alignées les unes à côté des autres sur la rive du grand fleuve semblent ériger une barrière spirituelle pour protéger les lieux des incursions de la mondialisation et de la société de consommation. Le gouvernement laotien, pressé de développer la zone, a d’ailleurs dû faire marche arrière. Son projet de route Paksé-Vat Phou, que l’administration voyait déjà déverser bus et mini-vans au pied du temple et de ses superbes escaliers de pierre, n’a pas reçu l’aval de l’Unesco. La chaussée bitumée s’arrête dès lors à quelques kilomètres du site, remplacée par une piste sablonneuse truffée d’ornières. Relais est pris, à l’entrée du parc du Vat Phou, par des voiturettes de golf qui hissent les visiteurs jusqu’à la majestueuse allée de pierres. Prenez la peine de jouer la montre. Attendez 17 heures pour vous présenter à l’entrée, alors que le sanctuaire ferme ses portes une heure plus tard. Le spectacle de la population locale du Vat Phou, petits vendeurs à la sauvette, nonnes affairées à prier, bonzes venus se ressourcer, est un régal. Tous descendent doucement les marches, abandonnant le site à son écrin de verdure et aux croassements des crapauds. Les fleurs de frangipaniers, chahutées par la brise, tombent en rafales sur les torses des Bouddhas de pierre et finissent par former une guirlande improvisée blanche et jaune. Festival de couleurs douces que Leguay, encore lui, avait su si bien apprivoiser.

 

Champassak, ou les larmes de la colonie

 

Un moment passé sur un banc, face au Mékong que remonte chaque fin d’après-midi un bateau rempli de touristes, direction Pakse, et les images s’installent autour de vous. La plus belle demeure coloniale est celle occupée par le chef de district, entourée d’une palissade formée de plaques militaires, de tôles trouées utilisées pour renforcer les voies d’accès ou fabriquer des ponts de fortune. Quels camions, quelles automitrailleuses roulèrent sur cette muraille aujourd’hui agrémentée de fleurs et dévorée par la végétation grimpante. Attapeu, autre ville oubliée de la province de Paksé, était dans les années 60-70 l’un des épicentres de la piste Ho Chi Minh qui permit à Hanoï d’enserrer, puis de prendre d’assaut Saïgon.

 

Le général français Raoul Salan, fils du Tonkin, fin connaisseur des mœurs locales, raconte dans ses mémoires cet entrelacs de forêts, de pistes, de rivières passées à gué, de tunnels transformés en aire de repos pour les plus coriaces divisions viêts. Cette guerre n’eut que de rares échos à Champassak. La vie semblait s’y écouler, inchangée. Les familles princières laotiennes croyaient y avoir trouvé, à moins d’une heure de la frontière thaïlandaise, un refuge durable.

 

Erreur. Même ici, sorti des fermes et des rizières, le Pathet Lao installa peu à peu sa férule. Champassak n’est pas une escale. C’est un morceau d’Asie encore unique, à une nuit de bus de Bangkok et de sa frénésie. Le temps s’y est arrêté, mais cela ne durera pas. Les plus belles villas, comme à Paksé, sont déjà propriétés d’hôteliers pressés de les rénover. Les demeures vides, au bord du Mékong, témoignent des préemptions de terrains ou des achats spéculatifs de la bourgeoisie de Vientiane. L’on sommeille sur ces rives du grand fleuve, mais l’on commerce, l’on prépare l’avenir, l’on voit déjà les guest-houses qui, demain, jalonneront ces rives.

 

A la Bibliothèque de Vientiane, dans une armoire du premier étage, dorment des centaines de copies des chroniques d’actualité de l’administration coloniale française. L’on y raconte, dans les années 1900, les frustrations des colons face aux menées territoriales des Siamois, à la nonchalance des populations locales et à la torpeur ambiante. Fascinant raccourci. Plus d’un siècle s’est écoulé. Le papier des revues est rongé. Personne n’a encore pensé à les scanner pour en conserver une copie digitale. Le récit de la vie quotidienne à Champassak prend des pages et des pages. Dans l’indifférence générale, alors que les investissements étrangers affluent déjà à Paksé où se construit – en parpaings et briques – la réplique d’un château de la Loire au bord du Mékong, les larmes de la colonie n’en finissent pas de couler.

 

Richard Werly

 

(1) Marc Leguay, le peintre du Laos, Francis Benteux, Editions de l’Amateur

 

http://belleindochine.free.fr/MarcLegay.htm

 

A lire aussi : Laos, a journey beyond the Mekong, Ben Davies (Asia Horizons)

 

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