Home Accueil Sondhi le Bel et Chamlong le Pieux : portraits de deux leaders de l’Alliance du Peuple pour la Démocratie

Sondhi le Bel et Chamlong le Pieux : portraits de deux leaders de l’Alliance du Peuple pour la Démocratie

Journaliste : Arnaud Dubus
La source : Gavroche
Date de publication : 07/05/2019
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Quel est le point commun entre Sondhi et Chamlong ? Tout deux détestent Thaksin. Mais les deux principales figures du mouvement PAD, aujourd’hui au cœur de la tourmente politique qui enflamme le pays, ont d’abord été proches du milliardaire… avant qu’il ne devienne l’ennemi à abattre.

 

A tout seigneur tout honneur, commençons par Sondhi Limthongkul.

 

Parmi les cinq leaders de l’Alliance du peuple pour la démocratie (PAD, People Alliance for Democracy), il est celui qui semble faire office de primus inter pares; c’est aussi celui qui a poussé le plus loin le développement du culte de sa personnalité.

 

Sondhi est une sorte de Thaksin raté.

 

Il a manqué tout ce que Thaksin a réussi, et sans doute, l’entrée en politique du patron du groupe de presse Poudjadkan (Manager) est-elle teintée d’un sentiment de revanche, même si cela ne peut pas expliquer entièrement pourquoi Sondhi a passé les trois derniers mois sur une estrade face au palais de style vénitien abritant le bureau du Premier ministre, à haranguer la foule des “chemises jaunes”.

 

Retour en arrière : 1996, un cocktail est donné par Sondhi à l’hôtel Regent (aujourd’hui le Four Seasons Hotel). Sondhi rayonne, un verre de champagne à la main.

 

Après le lancement d’Asia Times – un quotidien par les Asiatiques pour les Asiatiques, mais dont la rédaction est truffée d’Occidentaux -, il s’apprête à concrétiser son projet fétiche, le lancement du satellite Lao Star, dont l’empreinte doit permettre de couvrir tout le continent asiatique.

 

Thaksin, un homme d’affaires richissime qui a fait récemment une entrée malheureuse en politique (il a détruit le parti Palang Dharma après que le général bouddhiste Chamlong Srimeuang lui en a confié la direction) parade, entouré de Khunying aux coiffures bombées et colorées.

 

Vijit Supinit, alors gouverneur de la Banque de Thaïlande, engloutit des cacahouètes salées en observant le beau monde derrière ses lunettes rondes. Un photographe d’Asiaweek s’approche de Sondhi et mitraille l’homme du moment de son flash. Le bras droit de Sondhi, le journaliste-ex-gauchiste-artiste-intellectuel-philosophe-mélomane Pansak Vinyaratn, écarte le photographe sans ménagement: «C’est assez !», lance-t-il sur le ton d’un adjudant-chef.

 

Sondhi est à l’apogée de sa gloire. Il a récemment fait la couverture d’Asiaweek sous le titre “Sondhi’s Times”. Il se voit comme le Rupert Murdoch asiatique, le tycoon qui va terrasser les grands groupes de presse anglo-saxons.

 

«Je veux mourir comme un pionnier, comme le premier Asiatique à se lever pour combattre la presse occidentale», déclare-t-il à Julian Gearing, le correspondant d’Asiaweek.

 

Bref, Sondhi pense qu’il est l’homme providentiel du journalisme pan-asiatique. Comment donc s’est opérée sa transmutation en Messie de la “nouvelle politique” ? Wikipedia apporte quelques éléments. Le site nous apprend qu’à la fin des années 80, Sondhi, fort du succès de son quotidien économique Poudjadkan, achète la firme de distribution de téléphones portables IEC dont l’un des rivaux est Advanced Info Services (AIS), qui appartient à l’homme d’affaires Thaksin Shinawatra.

 

En 1992, peu avant qu’IEC soit cotée à la bourse de Bangkok, Sondhi vend 17,5 % de ses parts à Thaksin. Dès après la cotation, l’action augmente de 250 bahts. Thaksin revend immédiatement ses parts, empochant un pactole estimé entre 600 et 700 millions de bahts.

 

Première claque pour l’ambitieux Sondhi.

 

Le patron de presse qui a voulu tenter sa chance dans l’univers impitoyable de la téléphonie mobile et des “phonelink” écrit alors, dans son livre “One must know how to loose before knowing how to win”, qu’il a le sentiment que Thaksin est un capitaliste sauvage et qu’il ne veut plus faire d’affaires avec lui.

 

Le coup le plus dur contre Sondhi vient de la crise économique asiatique de 1997. Alors que son empire de presse semblait sur le point d’être mis en orbite, tout s’effondre. Le magnat des médias doit fermer Asiatimes, laissant une ardoise monumentale (et beaucoup de ressentiment) en salaires impayés aux journalistes du quotidien et remettre au tiroir son projet de satellite DTH (Direct to Home) Lao Star.

 

L’endettement du groupe Manager Poudjadkan est considérable: de héros pan-asiatique, Sondhi devient du jour au lendemain un homme d’affaires aux abois. Parallèlement, Thaksin est l’un des quelques “thaïcoons” à passer au travers de la crise.

 

Quelques jours avant que le Premier ministre Chaovalit Yongchaiyud accepte, sous pression de ses conseillers économiques, de faire flotter le baht, Thaksin a opportunément converti la plus grande partie de ses bahts en dollars. En quelques semaines, le billet vert, qui s’échangeait depuis des années à un dollar contre 25 bahts, passe à un dollar contre 57. Des dizaines de milliers d’hommes d’affaires, parmi lesquels Sondhi Limthongkul, boivent la tasse. Thaksin prospère. Re-claque pour Sondhi.

 

Sondhi est une sorte de Thaksin raté

 

Cela n’empêche pas ce dernier de devenir un fervent partisan de Thaksin quand celui-ci est nommé Premier ministre, après la large victoire de son parti Thai Rak Thai aux élections législatives de 2001. «Le meilleur Premier ministre que la Thaïlande ait jamais eu», lâche-t-il alors même que Thaksin, qui a dissimulé une partie de son patrimoine en violation de la loi, est acquitté par la Cour constitutionnelle dans un verdict «hautement politique», où huit juges votent pour l’acquittement et sept juges contre. Constatons qu’à cette époque, “l’éthique”, un des termes favoris de Sondhi sur l’estrade du Palais du gouvernement, n’était pas aussi présente à l’esprit du patron de presse en difficulté qu’aujourd’hui. Deux événements vont progressivement tourner Sondhi contre Thaksin. Le président de la banque gouvernementale Krung Thai Bank, Viroj Nuolkhair, était l’ancien conseiller financier de Sondhi. Après la crise, Viroj avait obligeamment gommé 1,6 milliard de bahts de la dette du groupe Manager et engagé d’autres opérations du même jour en soutien à son ancien patron. Quand, sous pression du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Pridiyathorn Devakul, Viroj Nuolkhair est obligé de démissionner à cause de sa gestion désastreuse, Sondhi, qui a fait cracher le feu de tous les canons de son groupe de presse pour défendre Viroj et attaquer Pridiyathorn, sent que le vent tourne. Thaksin refuse d’appuyer Sondhi au cours de cette passe d’armes, lequel commence à attaquer de plus en plus vivement le chef du gouvernement par le biais de ses médias.

 

Le deuxième événement est la fermeture, en juillet 2004, de la chaîne de télévision du groupe Manager 11/1. Sondhi continue toutefois d’animer une émission hebdomadaire (Meuang Thai Rai Sapada) sur la chaîne publique 9, dans laquelle il critique continuellement Thaksin et son gouvernement. En septembre 2005, Mass Communications Authority of Thailand – l’agence gouvernementale en charge de Channel 9, supprime l’émission de Sondhi pour “références inappropriées à la monarchie”. La guerre est ouverte. Sondhi remporte la première bataille en septembre 2006 quand les généraux, sous influence du général en retraite Prem Tinsulanonda et du général d’aviation en retraite Prasong Soonsiri, renversent le gouvernement de Thaksin.

 

Chamlong : L’homme sans regret

 

Le général en retraite Chamlong Srimeuang paraît on ne peut plus différent de Sondhi. Il est mince et anguleux, quand Sondhi est tout en rondeurs avec ce menton légèrement engraissé que l’on peut voir chez les enfants de pâtissiers. Sondhi vit dans le luxe et l’ostentation alors que Chamlong ne quitte jamais sa chemise mo hom en coton bleu indigo et voyage en wagon-couchettes de seconde classe. Le personnage de Chamlong est probablement l’un des plus pittoresques de la Thaïlande de ces dernières décennies. Cet homme qui, après des années de mariage heureux avec son épouse Sirilak a fait vœu de chasteté au début des années 1980 et a été élu deux fois d’affilée gouverneur de Bangkok, est aussi le membre le plus en vue de la secte bouddhiste ascétique Santi Asoke, dont le fondateur Phra Potirak a été “excommunié” par la hiérarchie de la Sangha dans les mêmes années 80. Ce bouddhiste fanatique, qui ne mange que des légumes et conserve les cheveux ras (ou: garde la même coupe de cheveux) de ses années sous l’uniforme, a créé et dirigé le parti Palang Dhamma (parti de la Force morale), qui a eu un poids politique significatif jusqu’au moment où, en 1994, il en confie les rênes à Thaksin… Celui-ci, manquant d’expérience, entraîne le parti vers la déroute aux élections de 1995.

 

Chamlong Srimeuang a une expérience notable dans la difficile entreprise de mener les Thaïlandais sincères à leur perte: en mai 1992, cet homme, fortement imbu de lui-même, avait provoqué l’épreuve de force (ou: avait été à l’origine du bras de fer) entre les “forces pro-démocratiques” constituées par les classes moyennes qui découvraient les téléphones portables et le gouvernement du général Suchinda Kraprayoon. En 1999, il nous déclarait, dans son “école de leadership” nichée au pied des montagnes de la province de Kanchanaburi, qu’il «ne regrettait rien». C’était l’époque, révolue, où les forces politiques thaïlandaises se répartissaient en “Anges” et en “Démons” comme dans une réminiscence du Ramayana. Depuis, les lignes de séparation ont été brouillées.

 

Finalement, ce qui unit ces deux hommes, Sondhi et Chamlong, dans leur longue marche vers la “nouvelle politique”, c’est leur rancoeur envers Thaksin et la dimension de leur ego.

 

Arnaud Dubus

 

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