46 217 : avec ce chiffre record, la France est devenue l’an passé le pays de l’Espace Schengen à avoir délivré le plus de visas en Thaïlande. Une augmentation conséquente de 21,4% par rapport à 2012. Ce qui s’explique en partie par un niveau du baht plus avantageux pour les habitants du royaume l’an passé au moment de Songkran, période préférée des Thaïlandais pour se rendre en Europe (1 euro valait environ 38 bahts en avril 2013, contre 44,5 bahts cette année à la même période), mais aussi par une nouvelle politique générale impulsée par François Hollande. « Le gouvernement français a mis en place une politique libérale assumée concernant la délivrance des visas pour un certain nombre de pays ne posant pas de difficultés particulières, catégorie dont fait partie la Thaïlande, explique Thierry Viteau, ambassadeur de France en Thaïlande. L’objectif est de favoriser les flux de voyageurs et de concourir au redressement de notre pays. Cela concerne des personnes issues des milieux d’affaires qui présentent un intérêt économique important dans le cadre des relations bilatérales franco- thaïlandaises, des personnes travaillant dans le système éducatif et de la recherche ainsi que des touristes qui se rendent régulièrement en France et dont on a la certitude qu’ils sont revenus en Thaïlande à chaque fois. »
Faible taux de refus
En 2013, le consulat de France à Bangkok a refusé 2615 visas (soit un taux de refus de 5,36%). Parmi ces refus, certains sont contestés avec véhémence par des demandeurs qui estiment que le déni n’est pas fondé. En mai 2013, Mint, qui travaille à Bangkok pour un bureau de design monté par un entrepreneur français, l’un des leaders des objets d’emballage en Europe, avait été invitée en France par son patron pour présenter une nouvelle collection. La designeuse thaïlandaise atteste avoir présenté tous les documents nécessaires pour obtenir l’obtention d’un visa professionnel (business), mais elle a vu sa demande refusée pour le motif que « la volonté de vouloir quitter les Etats membres avant l’expiration du visa n’a pas pu être établie ». Incrédule, le chef d’entreprise ne décolère pas : « Cette raison est absurde, s’insurge-t-il. Nous avions donné toutes les garanties financières. Je suis d’autant plus en colère contre cette décision qu’elle avait déjà essuyée l’année précédente un refus de visa touristique. Nous n’avons jamais su ce que l’ambassade lui reprochait alors que dans le même temps, une autre de mes collaboratrices thaïlandaises a, elle, obtenu son visa. »
Bee, jeune coiffeuse de 28 ans originaire de Phrao, dans le nord du royaume, partage sa vie depuis deux ans avec Romain, un Français spécialisé en médecine énergétique et séjournant régulièrement en Thaïlande pour ses activités professionnelles. En février dernier, elle obtient sans difficulté un visa touristique pour la France. Bee avait alors rencontré pour la première fois la famille de son compagnon. Enchanté par ce séjour, le couple souhaitait y retourner cet été.
La jeune femme dépose une nouvelle demande de visa en avril. Mais son visa lui est refusé sur le même motif que Mint. Romain s’indigne : « Mon amie n’a jamais eu l’intention de séjourner en France illégalement. Nos billets d’avion sont payés et indiquent un retour à Bangkok avant l’expiration du visa. Sans compter qu’elle est soutenue par trois garants en France ! » L’ambassade, contactée, répond qu’« elle ne peut revenir sur la décision prise » et indique que l’intéressée a deux mois pour former un recours auprès de la Commission des recours contre les décisions de refus de visa, basée à Nantes. La commission est saisie et le couple décide sans attendre la réponse d’utiliser leur droit de représenter une deuxième demande de visa au consulat après avoir obtenu plusieurs lettres d’attestation de notoriété (dont une venant du maire du village des parents de Romain) et alerté un sénateur membre de la commission des Affaires étrangères.
Au moment du dépôt du dossier chez TSLcontact, société prestataire de services choisie par la France en Thaïlande pour effectuer un premier traitement des dossiers, Bee reçoit l’explication plausible du refus : les dates de séjour choisies pour le deuxième visa sont trop rapprochées du premier voyage effectué en février et dépassent la limite autorisée de trois mois de séjour par période de six mois. S’il concède que nul n’est censé ignorer la loi, Romain se demande pourquoi personne ne l’a informé chez TSL lors du premier dépôt. « D’autant que l’ambassade nous a donné une raison du refus qui n’a rien à voir avec un possible dépassement de séjour, peste-t-il. On est en plein vice de forme et je n’ai aucune garantie que le consulat change d’avis si je décale mes dates de voyage.»
Un problème dans la justification des refus L’ambassade de France explique qu’il existe bien un problème de justification des refus, mais qu’il provient des règles mises en place par l’espace Schengen. « La réglementation Schengen nous oblige à n’inscrire qu’une phrase en tant que motif de refus », précise Jérémy Vanhooren, vice-consul et chef du service des visas. Il existe neuf phrases-type autorisées par Schengen, ajoute-t-il. Nous aimerions pouvoir expliquer plus en détail ces refus, mais nous n’en avons pas le droit. » L’ambassadeur de France insiste sur ce point : « Ce n’est pas la France dans un pays donné qui gère les règles concernant les dossiers de visa. La France s’inscrit dans un fonctionnement collégial avec d’autres partenaires. » Les critères qui décident de l’acceptation ou du refus du visa sont également des critères imposés par l’espace Schengen. Pour les visas de tourisme, qui représentent le gros du travail de l’ambassade (74% des visas délivrés en 2013, voir tableau), le demandeur doit disposer de réservations d’hôtel ou d’une attestation d’accueil. « Nous devons surtout vérifier la véracité du motif du demandeur. Et ensuite s’assurer que la personne a les moyens d’effectuer ce voyage, explique Jérémy Vanhooren. On considère qu’un touriste doit disposer de 30 euros par jour s’il est invité par quelqu’un et de 60 euros dans le cas contraire. On regarde aussi d’où vient l’argent : si c’est un dépôt de dernière minute ou si la personne a une rentrée d’argent régulière. Et il n’y a pas de traitement de faveur pour les demandeurs de visa qui souhaitent voyager avec des Français immatriculés au consulat. C’est le demandeur qui doit présenter en priorité des garanties. »
Deux types de recours, peu de décisions changées
Toute personne se voyant refuser sa demande de visa a le droit de faire en premier lieu un recours gracieux par lettre ou par email, un droit exercé presque systématiquement par les demandeurs recalés. Le service des visas en reçoit tous les jours, l’ambassadeur de France un par semaine. « Dans les cas d’un recours gracieux, je demande de revoir le dossier, de l’examiner en toute objectivité, indique Thierry Viteau. S’il y a des aspérités, on échange avec le service des visas, on vérifie que la décision qui avait été prise était la plus pertinente. » Mais très peu de recours gracieux sont accordés, l’ambassade expliquant que la plupart du temps, «les demandeurs n’apportent aucune nouvelle pièce au dossier». Une raison très contestée par les intéressés, puisqu’une seule phrase-type d’explication est donnée pour justifier le refus et qu’ils ne connaissent donc pas précisément ce qui cloche dans leur dossier pour le voir finalement accepté.
A la suite d’un nouveau refus, la personne est encouragée à saisir la commission des recours. Cette dernière peut confirmer le refus, et dans ce cas elle est la seule habilitée à donner des précisions sur les raisons de celui-ci, ou peut décider de déjuger le service des visas d’une ambassade. La sous-direction des visas du ministère de l’Intérieur donne alors instruction à la chancellerie du pays en question de délivrer gratuitement un visa au demandeur aux dates qu’il souhaite. Problème : le requérant a deux mois pour déposer ce recours, puis la commission met environ encore deux mois pour prendre une décision. Sachant que la demande de visa ne peut se faire qu’au maximum trois mois avant la date de départ du séjour prévu, le demandeur ayant finalement obtenu gain de cause se voit souvent contraint de devoir modifier ses plans de voyage, et parfois de racheter de nouveaux billets d’avion.
Pas de volonté de discrimination
Si l’ambassade de France admet être impuissante face aux règles imposées par l’espace Schengen, elle défend avec insistance ses décisions. « Le taux de refus, aux alentours de 5%, montre que la plupart des dossiers sont acceptés, rappelle l’ambassadeur Thierry Viteau. Ceux refusés sont souvent des dossiers de très mauvaise qualité, voire farfelus. D’autres présentent des documents manquants ou des distorsions entre ce qui a été dit et ce qui est écrit. »
L’ambassade de France réfute cependant l’existence d’une quelconque discrimination envers certaines catégories de demandeurs de visa, et plus particulièrement envers les Thaïlandaises âgées de 20 ans à 35 ans qui souhaitent partir en France avec leur petit ami français. « Il n’y a aucune volonté de discrimination de la part de l’ambassade, ni de délit de faciès, poursuit Thierry Viteau. Je n’ai jamais donné d’instructions, comme je n’ai jamais vu ou entendu d’instructions demandant de refuser les visas à des personnes de telle ou telle catégorie. »
L’ambassade de France met également en avant que parmi les 150 dossiers reçus et notifiés par la commission de recours lors des dix-huit derniers mois, elle a dû revoir son jugement par deux fois seulement. « Il peut y avoir des loupés, je ne refuse pas cette explication, concède l’ambassadeur. Mais quand je regarde le nombre de recours qui ont été présentés à la commission et que je le compare au nombre de fois où nous avons été déboutés, je me dis que l’examen effectué des dossiers est suffisamment rigoureux et objectif. »
La Thaïlande n’est pas considérée par la France comme un pays à risque d’immigration clandestine, un seul cas problématique ayant été signalé lors des dix-huit derniers mois. Une femme partie avec un visa délivré par l’ambassade de France avait été retrouvée en Belgique fin 2013 dans une maison close. « Ce qu’il faut bien comprendre tout de même, c’est que nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours : si tout le monde était beau et gentil, il n’y aurait pas besoin de faire de visas, insiste l’ambassadeur Thierry Viteau. Mais encore une fois, les autorités françaises n’ont pas pour but de mettre des bâtons dans les roues aux demandeurs. Leur tâche est au contraire de faciliter la délivrance de ces visas pour des personnes qui sont de bonne foi. » En 2013, quelque 95% des demandeurs ont souri au moment de découvrir la réponse de l’ambassade. Les autres n’ont pas vu la France, certains avec un sentiment d’injustice.
Yann Fernandez (www.gavroche-thailande.com)
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