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THAILANDE – RENCONTRE: Tomita Katsuya fait son cinéma à Bangkok

Journaliste : Arnaud Dubus
La source : Gavroche
Date de publication : 27/04/2018
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Le réalisateur de Bangkok Nites, un long métrage de trois heures sorti récemment à Bangkok qui suit la vie d’une prostituée du soï Thaniya et ses relations complexes avec l’argent, ses sentiments pour l’un de ses clients et sa famille restée au village, partage sa vie entre le Japon et Bangkok.

 

C’est une de ses ruelles chaotiques du vieux Bangkok qui révèle l’âme profonde de la capitale thaïlandaise. Un enchevêtrement d’échoppes ambulantes, de temples, de maisons des esprits, de petits salons de coiffure et d’épiceries bric-à-brac ombragés par de grands arbres.

 

Le cinéaste japonais Katsuya Tomita nous attend au pied de son appartement. Shorts et tongs, un sourire en coin qui semble ne jamais s’évanouir, des yeux rieurs, il nous salue à la thaïlandaise, avant de lancer : « Allons au restau Isan juste à côté. C’est calme, ce sera plus facile pour discuter ».

 

Tomita est parfaitement à l’aise dans cet environnement, hélant les serveurs pour qu’ils amènent bière et salades de papaye ultra épicée, piochant à la main les nouilles chinoises et répondant aux questions en mélangeant japonais, thaï et quelques mots d’anglais.

 

Sa fascination pour la Thaïlande a débuté en 2007 alors qu’il faisait des aller-retours entre le Japon et le Cambodge pour jouer dans un film tourné par son ami réalisateur Toranosuke Aizawa sur l’économie clandestine au Cambodge.

 

« A chaque voyage, je devais passer une nuit à Bangkok. J’ai été me promener dans le quartier de Patpong. Et, là, j’ai reçu un choc, en voyant toutes ces filles très belles, presque nues, danser dans les  go-go bars. Ce qui m’a paru incroyable, c’est qu’en payant un peu d’argent, on pouvait emmener la fille. J’étais à la fois choqué et ravi », dit-il.

 

Bien sûr, Tomita connaissait par ouï-dire la vie nocturne sulfureuse de la capitale thaïlandaise, mais voir de ses propres yeux cette économie souterraine dans toute son ambiguïté et sa complexité l’a profondément troublé.

 

Cette première expérience, alors qu’il avait 35 ans, est la source d’inspiration pour son dernier film Bangkok Nites, l’histoire d’une jeune prostituée thaïlandaise originaire de Nongkhai, ville fronta-lière avec le Laos au bord du Mékong, et d’un Japonais, ex-client qui s’immisce dans sa vie et devient son compagnon.

 

 

Une partie du tournage s’est déroulé au soï Thaniya, le principal quartier rouge japonais de Bangkok, où s’alignent des dizaines de bars à hôtesses et karaoké, un milieu « beaucoup plus fermé », selon Tomita, que ne l’est Patpong principalement destiné aux farangs.

 

Pouvoir tourner à soï Thaniya n’a pas été une mince affaire, tant la méfiance vis-à-vis des médias des Japonais et des Thaïlandais propriétaires des bars est grande. Tomita a contacté le principal propriétaire de la rue, puis la police, mais aucun n’a semblé pouvoir donner une autorisation globale de tournage. « Nous avons alors pris contact avec les propriétaires de bars. Au bout d’un moment, nous avons senti que l’atmosphère était propice, que nous étions acceptés par cette gran-de communauté. Tout s’est fait à l’asiatique, par des rencontres face-à-face et sur la base d’une confiance mutuelle », raconte-t-il.

 

Au-delà de la vie nocturne, Tomita s’intéresse aussi à la communauté japonaise en Thaïlande – une population qui passe la centaine de milliers – ou plutôt aux communautés. « Il y a beaucoup de couches. Par exemple, les Japonais envoyés par les grosses sociétés méprisent la Thaïlande, ils ne veulent pas vivre ici. Parfois, ils traitent très mal les Thaïlandais »,  affirme Tomita.

 

Lui-même dit vouloir explorer plus avant le pays, mieux comprendre. C’est pour cela qu’il conserve un appartement à Bangkok et fait la navette entre la Thaïlande et le Japon. La façon de vivre des « filles de la nuit » l’intrigue. « Quand elles dansent dans les go-go bars, elles portent des strings, elles sont presque dénudées. Mais lorsque je leur ai demandé de prendre des maillots de bain pour que je les filme, elles sont venues avec des tenues très conservatrices, presque des pantalons », raconte-t-il. Pour lui, cela montre qu’elles font une stricte séparation entre leur travail et leur vie.

 

 

Tomita pense aussi que la règle, souvent prônée, selon laquelle l’équipe de tournage, réalisateur compris, doit garder une certaine distance avec le sujet n’est pas bonne. Pour lui, tout au contraire, le réalisateur et son équipe doivent se mêler à la vie locale, s’en imprégner. Seule manière, à ses yeux, de pouvoir ensuite restituer à l’écran une vision pertinente d’une société aux codes complexes.  Arnaud Dubus  (www.gavroche-thailande.com )

 

Article publié dans Gavroche en Avril 2018 (n°282), disponible ici 

Sommaire complet du numéro ici

 

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