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Birmanie: Au coeur de la rébellion Shan

Journaliste : Nina Martin
La source : Gavroche
Date de publication : 17/12/2012
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L’armée du Sud de l’Etat Shan est aujourd’hui la plus grande force paramilitaire à se battre contre les soldats birmans. Les rebelles revendiquent l’indépendance de l’Etat Shan. Dans cette province du nord est de la Birmanie, leur minorité est persécutée depuis des décennies par les militaires au pouvoir. Notre reporter, Nina Martin, est partie à leur rencontre en traversant clandestinement la frontière.

 

Le soleil se lève à peine sur le camp d’entraînement numéro trois de Loi Taileng. Trois-cent cinquante nouvelles recrues en uniforme kaki ont déjà bien entamé leurs exercices matinaux sur ce terre-plein tout proche de la frontière thaïlandaise. Nous sommes en Birmanie, mais ce territoire échappe aujourd’hui à la junte au pouvoir. La zone est contrôlée par l’Armée du Sud de l’Etat Shan (SSA-S), qui se bat pour l’indépendance de cet ancien royaume, niché dans le nord-est de la Birmanie actuelle, entre la Chine et la Thaïlande. Dans le passé, rappelle le chef de la rébellion, le colonel Yawd Serk, l’Etat Shan était un royaume autonome : « Après avoir vécu sous administration britannique, les Birmans et les Shans ont chacun demandé l’indépendance. Mais quand l’Union de Birmanie s’est formée en 1948, les Birmans nous ont floués. Leurs soldats ont envahi nos terres. Nous les combattrons par tous les moyens possibles ». La rébellion a déjà tout prévu pour le jour où elle boutera l’ennemi birman hors de ses terres : elle a déjà son hymne national, son drapeau, son organe politique (le « Conseil de restauration de l’Etat Shan ») et tout un éventail de ministères. Le quartier général de l’armée a été installé en 1999 à Loi Taileng, « la montagne où les Shans prospèrent », en langue locale. Construit au sommet d’un relief, frontière naturelle entre la Birmanie et la Thaïlande, le village est protégé par des collines. Tout comme par l’armée thaïlandaise, même si personne à Loi Taileng n’ose aborder le sujet. « C’est d’ici que nous dirigeons toutes les opérations, indique Yawd Serk. Aujourd’hui, près de la moitié de l’Etat Shan est sous notre administration. Nous, nous contrôlons le Sud, mais aussi une bonne partie du centre et quelques bases le long de la frontière chinoise. L’objectif, bien sûr, c’est de contrôler l’intégralité de l’Etat. »

 

Chaque jour, les différentes unités de la SSA-S réparties dans l’Etat Shan doivent envoyer un rapport détaillé de leurs mouvements. Ce matin, la rébellion s’offre une petite victoire : « La nouvelle vient de tomber. On a tué vingt soldats birmans aujourd’hui près de la rivière Salween », lance, tout sourire, le responsable des Affaires étrangères. Les combats avec la junte sont quotidiens. La force de la rébellion repose sur ses soldats, rompus à la guérilla après un service militaire de cinq ans, obligatoire pour chaque homme de 18 à 45 ans. L’armée compterait à ce jour près de dix mille hommes éparpillés, mais tous ne sont pas formés au combat. Aujourd’hui, la brigade du capitaine Muni repart sur le front. Dans la caserne, ses hommes fument une dernière cigarette en silence ou finissent de préparer leur paquetage. Dans leur besace : du riz, de l’eau, un peu de viande séchée, de quoi tenir au moins cinq jours dans la jungle sans se ravitailler. Leur casquette aux couleurs de la SSA-S vissée sur la tête, les soldats se mettent en marche, sur un chemin abrupt et rocailleux. A leur bras pendent des armes variées de fabrication chinoises ou russes. Grenades, M16, AK47, lance-roquettes, un arsenal impressionnant parfois ramassé sur les dépouilles de l’ennemi. Les regards des soldats sont durs, déterminés. « Nous avons passé trois mois au camp de base, pour s’entraîner et s’informer sur la situation de nos ennemis, connaître la nouvelle stratégie de notre armée », indique le capitaine. Quelques heures de marche plus loin, les soldats installent un mini camp de base. Il faut s’économiser car l’avant-poste vers lequel se dirigent les rebelles est à une vingtaine de jours de marche. Ce sera plus long, peut-être, si leur chemin croise celui des soldats birmans.

 

Dans un coin à l’écart, un homme au visage livide est étendu sur une paillasse. « Vous voyez, ce soldat est très faible, commente un apprenti médecin en lui plaçant une perfusion. Quand on marche dans la jungle, on doit porter des sacs très lourds, en plus de nos armes et de nos munitions. Les soldats faiblissent, donc on les aide un peu en leur injectant du glucose. » L’un des jeunes soldats chargés des piqûres de jouvence n’a que 14 ans. Un supérieur, visiblement gêné, s’empresse de préciser que ces enfants soldats ne portent pas de fusils. « On les envoie à l’école mais ils s’en échappent, ils veulent se battre eux aussi », jure-t-il. Un peu plus loin, le major Sak Re-piew est venu passer les soldats en revue. Il explique que l’objectif de ses hommes est avant tout d’aider les populations de l’Etat Shan en créant des écoles ou des cliniques. Tout en profitant, au passage, pour trouver de nouvelles recrues. « Nous ne chechons pas le combat, mais si nous croisons des soldats birmans, admet-il, nous devrons nous défendre ». Il ajoute que les rebelles ne se rendent jamais en uniforme dans les villages, car les habitants pourraient subir des représailles si les Birmans les suspectaient de soutenir la rébellion. Cette nuit, ils reprendront leur marche dans la pénombre pour ne pas se faire repérer. Les premières positions de la junte birmane ne sont plus qu’à trois kilomètres. Dans trois ans environ, cette brigade devra revenir au camp de base pour se remettre à niveau. En général, les soldats ne reviennent jamais seuls. Ils ouvrent la route à de nombreux villageois shans qui fuient les persécutions des militaires birmans. Le responsable des Affaires étrangères nous conduit dans un camp de déplacés, situé à quelques pas de la base militaire. Un véhicule passe et projette un nuage de poussière sur les huttes en bambou rudimentaires où vivent quelque deux mille personnes, sans eau, ni électricité. « En général, ces gens restent ici deux ou trois ans, précise le haut gradé. Dès qu’ils trouvent un travail de l’autre côté de la frontière, ils partent. » La Thaïlande n’est qu’à quelques mètres. C’est la petite route en terre autour de laquelle s’est construit le camp qui tient lieu de frontière entre les deux pays.

 

Bak Ram n’a pas encore osé s’aventurer « de l’autre côté » ; sans papier d’identité, elle a peur d’être arrêtée et renvoyée dans cette région qu’elle a préféré fuir. « Dans mon village, les soldats birmans venaient quand bon leur semblait et forçaient tout le monde à travailler gratuitement pour eux comme porteurs. Pour transporter leurs munitions et leurs équipements dans les montagnes. On n’avait même plus le temps de travailler pour nous, pour se nourrir », se rappelle-t-elle. Impossible de ne pas obéir aux ordres, précise-telle : « Si l’on refuse, ils arrêtent le chef du village et d’autres personnes au hasard, puis ils les torturent. C’est comme ça partout, tout le monde subit le travail forcé ».

 

Après avoir déménagé de village en village pour échapper aux soldats, Bak Ram a finalement pris la décision de fuir. « J’avais entendu parler du camp de Loi Taileng, placé sous la protection des rebelles. Alors je suis allée les trouver dans la forêt et je les ai suivis jusqu’ici. On marchait toute la journée, j’avais le visage et les pieds en sang, je portais mes deux nourrissons dans les bras… et ça a duré 45 jours. » La jeune femme ne regrette pas son choix. Depuis son arrivée il y a cinq ans, l’armée lui donne un peu de riz – 25 kg par personne et par mois – et elle peut garder pour elle les fruits de son travail. Elle n’a même pas la nostalgie de son village, car elle a appris que les soldats birmans l’avaient brûlé quelques mois après son départ. En Birmanie de l’Est, 3200 villages ont été détruits ou incendiés en dix ans par la junte, rapporte Amnesty International. Le travail forcé, les rackets et les viols sont monnaie courante, particulièrement dans les localités soupçonnées d’aider les rebelles. Non loin du camp de déplacés, la base militaire de Loi Taileng s’est dotée de sa propre radio, d’une clinique et d’une école où les deux enfants de Bak Ram passent aujourd’hui un examen de mathématiques. Les élèves de cet établissement sont souvent orphelins et vivent dans un dortoir attenant. Sai Sam avait 9 ans quand il a pris la décision de suivre les soldats de la rébellion : « Je n’avais plus de famille, les soldats birmans ont tué mes parents. C’est ce qu’il risquait de m’arriver si je restais. Les rebelles shans m’ont trouvé et m’ont proposé de m’emmener ici pour aller à l’école. Je me sens parfois triste, car à part la jungle, il n’y a pas grand-chose ici ». Impossible pour ces enfants d’oublier qu’ils vivent dans une base militaire. Leur vie quotidienne est rythmée par celle des soldats, comme le rappelle ce coup de sifflet à 22 heures. « C’est la police militaire qui arrive, chuchote un villageois. Au coup de sifflet, tout le monde doit dormir. »

 

La résolution du conflit parait impossible. Aux insurgés, la junte n’offre qu’une alternative : la reddition sans condition. Embourbé dans une guerre qui risque de durer, le chef de l’Armée du Sud de l’Etat Shan, Yawd Serk, observe d’un oeil amusé la préparation des élections de 2010. « Les élections ne sont qu’une tactique de la junte birmane pour piéger la communauté internationale et les peuples de Birmanie, gronde le colonel. Les minorités ethniques n’ont pas participé à l’écriture de la Constitution votée en 2008. Donc les élections seront par définition injustes. » L’Armée du Sud de l’Etat Shan n’est pas le seul groupe armé de la région. La plupart ont signé un accord de cessez-le-feu avec la junte il y a quelques années, qui leur assure une relative autonomie sur leur territoire. « Notre salut dépend de l’unité des différents groupes de l’Etat Shan, assure le moine supérieur de Loi Taileng. Si on se bat ensemble, on peut gagner. Je ne crois pas aux marches pacifistes, seuls les fusils auront raison de la junte. » A son sens, le moment est propice à une alliance. Depuis l’année dernière, la junte met la pression sur tous les groupes de cessez-le-feu de la région pour que ces derniers placent leurs milices sous son commandement. Peu sont disposés à le faire et certains, comme les Wa, commencent à se préparer à un éventuel conflit. Malgré tout, Renaud Egreteau, chercheur à l’université de Hong Kong, ne croit pas vraiment que ce rêve d’un front uni des groupes rebelles ethniques contre le régime soit réalisable : « Il y a peu de chance qu’un accord interethnique soit trouvé. Les guérillas de la Birmanie vont très certainement se poursuivre en périphérie du pays. »

Texte et photos : NINA MARTIN

 

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