Il vous a manqué ! Et c’est tant mieux ! Nous devions publier ce neuvième épisode de «La fille qui aimait les nuages» dimanche 6 octobre, mais nous avons pris du retard. Le voici. Un nouveau moment de suspense et de littérature signé de notre auteur passionné d’Asie: Patrice Montagu-Williams.
Résumé de l’histoire et de l’épisode 8 : La situation se complique pour le dignitaire communiste Anh Hùng, venu à Paris à la tête d’une importante délégation du PC vietnamien. Il est accompagné de sa femme et de sa fille. Mais cette dernière disparaît. Quand elle l’appelle pour lui annoncer qu’elle a découvert que son père était un bourreau et qu’elle lui annonce ne pas vouloir retourner dans un pays dont le régime a fait de son père un monstre, il lui avoue que lui-même comptait demander l’asile politique pour lui et pour sa famille. Sa femme, qui n’était pas au courant, entre dans une profonde colère : elle ne veut pas quitter le Vietnam…
Épisode 9 de «La fille qui aimait les nuages» par Patrice Montagu-Williams
— Pour une fois, tu vas m’écouter.
Enroulée dans un peignoir éponge blanc aux armes du Shangri La, Mai se tient debout, les bras croisés. Sa colère froide a cloué Anh Hùng sur un fauteuil. Lui, le chef de famille, le héros de la Grande Guerre de Libération, l’un des membres du Bureau Politique les plus influents, l’homme de confiance du Secrétaire Général du Parti, baisse les yeux devant sa femme.
— Tu veux abandonner ton pays au moment où l’ennemi héréditaire, celui qui nous a déjà occupé pendant plus de mille ans, est à nouveau à nos portes, dit-elle ? Rien n’a changé, tu le sais. Le parti communiste chinois a simplement pris la suite des dynasties Han et Ming. C’est toujours l’Empire du Milieu et les peuples qui sont autour sont là pour le servir. Ce qu’ils veulent, nos amis, c’est un pays vassal, comme du temps où ils avaient rebaptisé le Vietnam « Jiaozhi ». Bientôt, tu verras, ils vont exiger qu’on leur paye un impôt pour assurer notre protection, comme du temps du Dai Viet, le « Grand Viet », où nous étions, prétendaient-ils, indépendants !
Les containers de la mort
Anh Hùng décide de laisser passer l’orage. Cette femme, il l’a aimée toute sa vie. Il ne l’a même pratiquement jamais trompé alors que les occasions n’ont pas manqué, surtout depuis qu’il est au Bureau Politique. Heureusement, des femmes il en avait connu beaucoup avant son mariage ! À commencer par toutes ces prisonnières qui espéraient qu’il améliorerait leur sort, quand il dirigeait ce camp. À l’époque, il avait un véritable harem à sa disposition et, lorsqu’il se lassait de l’une d’elle, il suffisait de déclarer que c’était une pute à Américains tout juste bonne à faire des « massages boum-boum », rue Bui Vien, à Saïgon. Alors, son bras droit, un type fidèle qui se serait fait tuer pour lui, se chargeait de la faire disparaître, il n’avait jamais voulu savoir comment. Peut-être en l’enfermant dans l’un de ces containers qu’avaient laissé les Yankees derrière eux en quittant le pays dont on ne ressortait jamais vivant !
Confiance perdue
— Je crois que je n’ai plus la confiance du Secrétaire Général, Mai. Et tu sais ce que cela veut dire, maintenant que ce contrat est prêt…
— Tu as des preuves de ce que tu avances ? Il t’a parlé ?
— Il ne me parlera jamais, mais je serai mis sur la touche ou éliminé.
— Tu ne crois pas que c’est juste de la paranoïa ?
— Qui ne devient pas paranoïaque, au Parti ? Dis-moi : tu connais beaucoup de membres du Bureau Politique qui ont fini leur vie, tranquillement, en train de pêcher la carpe noire ou le poisson-chat sur les bords du lac Truc Bachau ? Si Ai Vân ne rentre pas, je reste moi aussi, Mai. Nous restons, si tu le veux bien. Les Français nous aideront. Au fond, je ne fais qu’avancer de quelques mois mon projet de m’établir ici…
Elle est encore sous le choc. D’abord, sa fille et, maintenant, son mari : tout le monde veut quitter le navire. Pourtant, elle aimait sa vie à Hanoï, une vie où elle pouvait jouir de tous les privilèges réservés aux apparatchiks.
— Et tu crois qu’ils vont laisser sans rien faire un membre du Bureau Politique et sa famille « choisir la liberté », comme le disaient ceux que l’on appelait autrefois « les impérialistes » ?