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THAÏLANDE – CHRONIQUE : L’Isaan est-elle en danger touristique ?

Date de publication : 18/12/2023
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Isaan

 

Notre chroniqueur Patrick Chesneau l’affirme : il faut « sauver l’Isaan de la prédation touristique ». Vraiment ?

 

Le Premier Ministre de Thaïlande veut promouvoir le tourisme de masse dans l’immense région du Nord-Est. L’annonce vaut projet. Derrière une intention bienfaitrice, en l’occurrence le développement pour le plus grand nombre,  peut se profiler une grave menace existentielle.

 

Le scénario catastrophe à venir prendra vraisemblablement la forme du surtourisme. Ce que certains spécialistes dénomment une submersion. Sans connotation idéologique. En tant que simple observateur, aucun étranger n’est habilité à orienter le destin du pays du sourire. Mais, il peut participer au débat public et contribuer à une analyse critique débouchant sur une prise de conscience collective. Comment enrayer le tropisme productiviste de certains acteurs toujours prompts à intervenir en fonction de leurs intérêts particuliers ?  D’ailleurs, la prise en compte du bien commun n’oblige-t-elle pas à poser une question aussi élémentaire qu’indispensable: que pensent et que veulent les premiers concernés, soit les 25 millions d’habitants de l’Isaan ?

 

Le rouleau compresseur

 

Transporter Patong à Nakhon Phanom. Dupliquer Pattaya à Kalasin. Copier-coller Chaweng à Nong khai… Cette situation, jusqu’à présent de pure fiction, ne serait rien d’autre qu’une provocation aigre-douce s’il n’y avait en arrière-plan le spectre d’un rouleau compresseur susceptible de se mettre en branle à tout moment. Les voyages organisés et les tribulations programmées à grande échelle seraient le plus sûr moyen de laminer les particularismes et l’originalité d’une région jusqu’ici sauvegardée de dégâts irréversibles. Ces méfaits que provoque immanquablement tout afflux subit et ininterrompu de visiteurs. L’Isaan…que l’on peut encore qualifier d’authentique sans s’attirer une avalanche de quolibets goguenards et suspicieux. Pour une raison de bon aloi. Une telle description correspond précisément à la réalité. Alors, que faire ? Réponse immédiate bien que certainement trop simplificatrice : il est impératif de préserver à tout prix ce terroir des hordes pantagruéliques de Bidochons égrillards…

 

Refuser le décalque des situations délétères qui prévalent dans les principales stations balnéaires du Royaume. Lieux d’entassement de vacanciers à l’instinct grégaire, trop souvent irrespectueux des us et coutumes du cru. On pourrait croire que ces grappes de malotrus se sont faits greffer un plan farniente les éloignant quasi-automatiquement des réalités locales. Le tout dégage une impression persistante de frelaté. Les acteurs de “l’hospitality- business” se frottent les mains.

 

C’est très lucratif. Idem pour les milliers de bar girls sans diplômes autres qu’en science des fluides.

 

Elles bâtissent leur carrière à partir de simples caresses. Et permettent à des quantités impressionnantes de familles restées au pays d’enfance de vivre et même prospérer. Mais la “thainess” (appellation dont raffolent les autorités) comme corpus de valeurs morales y laisse des plumes. Autant d’exemples préférablement non reproductibles dans le reste du pays des orchidées, diront les puristes ne manquant de privilégier l’éthique sur les considérations économiques. Certes, nul ne peut vouer les provinces du Nord-Est à un avenir de camp retranché, maintenu volontairement à l’écart des grandes évolutions du monde. Favoriser la rencontre, la découverte et l’exploration de ce pays unique au sein de la nation siamoise est a priori un objectif louable. A condition de ne pas céder à une cession à l’encan, obstinée et méthodique, de la destination Isaan pour des raisons de comptabilité, d’objectifs purement financiers et de rentabilité à courte vue.

 

Cette terre espère évidemment une élévation de son niveau de ressources.

 

Elle est dans l’attente bien naturelle d’un niveau de confort accru pour sa population. Dans le bastion de la ruralité thaïlandaise, de nombreux villages semblent assignés, encore aujourd’hui, à un dénuement volontiers pathétique. Vie trop rudimentaire. Aux confins de la subsistance. Les campagnes s’arriment à l’espoir de voir la multiplication des infrastructures en vue de faciliter la circulation des personnes et des biens. Escomptent une meilleure fluidité des échanges et des flux. Souhaitent un maillage renforcé entre les bassins de production agricole et leurs métropoles régionales en croissance soutenue depuis 20 ans. L’ambition étant de parvenir à un réel désenclavement. Les portions de territoire cantonnées dans une forme d’autarcie contrainte ne sont pas rares. D’aucuns appellent progrès ce désir irrépressible d’évolution vers une forme de plénitude consumériste. Toutefois, on ne peut faire l’impasse sur une observation. Les régions du Nord-Est privilégient tout autant que le profit la recherche inlassable de l’harmonie et de l’équilibre. Objectif : parvenir à aisance matérielle augmentée, constatable de visu, sans jamais se départir d’une spiritualité ancrée depuis des siècles. Dans le cœur battant de ce sud-est asiatique, la pratique du bouddhisme reste extrêmement vivace. Imprègne tous les actes du quotidien. Foi et dévotion toutes orientales. Mystères et émerveillement garantis pour l’étranger attentif à un univers qui lui est, au début de sa pérégrination, difficilement déchiffrable. La raison commande donc d’épargner à cette région soucieuse d’équilibre les miasmes d’une déferlante aux conséquences irrémédiables. Déstructurante. Trop envahissante. Les effets en sont invariablement de corroder le tissu social et de dénaturer le substrat culturel. L’industrie des vacances à grande échelle déstabilise, dévoie, pervertit. Elle impose toujours un pays foncièrement étranger à ce qui prééxistait. Sous les coups de boutoir incessants d’apprentis baroudeurs en mode Tartarin de Tarascon, l’ancienne  société autochtone est tellement triturée, malaxée, concassée qu’elle est inévitablement en passe d’éradication à plus ou moins brève échéance. Le constat est toujours celui d’une perversion du modèle originel. Allant jusqu’à la mise à mort anthropologique.

 

Choc des cultures, abandon progressif des traditions ancestrales, apparition d’une insécurité jusqu’alors inconnue,  multiplication des faits de délinquance.



Le tribut à payer au développement et son corollaire, la frénésie de consommation, peut-être très lourd. Certes, le terroir spécifique, enserré entre le Laos au nord et à l’est, le Cambodge au sud, lové dans la boucle du Mekong majestueux, ne doit plus rassembler les provinces les plus déshéritées du Royaume. Faut-il pour autant se résoudre à maquiller ce territoire en un Disneyland peuplé d’éléphants domestiqués du bout de la queue à l’extrémité de la trompe pour des shows d’opérette? Uniquement à finalité mercantile. Faut-il accepter que les buffles, placides et endurants pendant le labour des rizières, se prêtent à des simulacres et des facéties destinés à satisfaire la production des visiteurs allogènes en selfies égotistes et autres vidéos narcissiques ?

 

Faut-il voir des paysans au savoir ancestral se reconvertir par nécessité alimentaire dans des spectacles intentionnellement folkloriques ? Dans l’espoir fallacieux de quelques rétributions de circonstance ?

 

Faut-il envisager la mutation de temples rutilants, havres de spiritualité et de recueillement, en lieux de vente de colifichets et d’objets artisanaux galvaudés ? Faut-il encourager les comportements de cupidité au motif que ce serait dans l’air du temps ?

 

Quand bien même il afficherait des intentions altruistes, le tourisme plein pot s’avère être souvent un remède pire que le mal.

 

Ce n’est même pas une problématique de degré et de curseur. Quand la culture consent à un certain degré d’aliénation, prime alors une question de nature. Ou pour être plus précis, d’identité fragilisée dans ses fondements. Amoindrie, frelatée. Un mode de vie vernaculaire en péril. Dans une telle optique, c’est l’âme d’un peuple qui est aux prises avec la permanence, la pérennité, et donc avec sa survie.

 

Préserver l’Isaan de la ruralité, prémunir d’un grand danger le terroir des chawnaa, paysans rugueux mais ô combien chaleureux, doit être une promesse existentielle. Reste à trouver les matériaux et les alliages qui permettront de résister victorieusement aux assauts d’une modernité mal maîtrisée. En matière de tourisme de très forte affluence, comme en tout autre domaine, les excès sont potentiellement destructeurs.

 

Patrick Chesneau

 

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2 Commentaires

  1. No comment… Mais que voulez-vous dire à propos de cette région qu’est l’Isan ? Beau texte qui reste flou cependant.

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