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ASIE – UKRAINE : Un conflit européen qui aura aussi des conséquences en Extrême Orient

Journaliste : Yves Carmona Date de publication : 28/03/2022
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Guerre Ukraine

 

 

Quelles conséquences en Asie après un mois de guerre en Ukraine? Notre expert en géopolitique Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos, essaie de tirer un premier bilan et d’en mesure l’impact.

 

Plus que jamais avec la guerre en Ukraine, chacun voit midi à sa porte, son « intérêt national » alors que cette banalité doit être répétée, nous n’avons qu’une planète, notre intérêt est commun.

 

En réalité, la Covid est loin d’avoir disparu, on voit qu’en Occident notamment elle repart[1].

 

L’exemple Sud-Coréen entre autres montre que pour lutter contre elle, il n’y a que des bonnes politiques quel que soit le régime et que dans un même pays, les politiques peuvent être plus ou moins efficaces selon la période.

 

Des pays autoritaires comme le Vietnam réussissent bien mais même la Chine est obligée de confiner dès dizaines de millions d’habitants. Alors que des démocraties comme les Etats-Unis[2] ou le Brésil [3]ont encore des résultats catastrophiques.

 

La corruption est partout comme nous l’avons déjà écrit[4].

 

Singapour a un très bon score mais on y disait [5] que le régime incorpore la corruption et il n’y a pas si longtemps que la cité-Etat supprimait le jeu pour le réintroduire sous la forme de casinos où des nationaux très fortunés ont le droit de venir jouer. De même, les ministres y sont sans doute les mieux payés du monde, ce qui permet aux persévérants de devenir riches. Si ce n’est pas de la corruption, ça y ressemble furieusement !

 

A l’inverse, la Corée du Nord a un très mauvais score, sans doute mérité, mais que sait-on de cette dynastie qui a quasiment coupé son pays du monde, où la colonisation puis la guerre ont précipité le régime dans une recherche sans limite de survie ?

 

Qu’en a-t-il été de 2021 ? Quand on regarde ce qui s’écrit en 2022 de l’année écoulée, on constate que les tendances à l’inégalité et à la discrimination déjà perceptibles auparavant sont accentuées par la Covid.

 

– La Chine est omniprésente, au point que même des pays qui en sont proches comme les Philippines et justement pour cette raison s’en écartent politiquement ; on pourrait en dire autant de tous les pays voisins ou comportant une minorité ethnique d’origine chinoise.

 

– Certains pays qui ont su plutôt bien gérer la crise sanitaire comme le Laos, avec des moyens qui restent faibles, se relèvent alors qu’en Birmanie, le régime tire à vue sur les malades car il ne veut pas que l’épidémie se voie.

 

– L’industrialisation progresse comme l’avait prédit dans les années 30 l’économiste du Japon Akamatsu, utilisant comme image le vol d’oies sauvages. Il pensait à l’époque à son pays mais aujourd’hui d’autres comme la Corée du Sud le dépassent en produits sophistiqués avant que des entreprises nippones comme Sony ne deviennent leaders sur la voiture électrique – mais où sera-t-elle fabriquée ?

 

– L’inégalité hommes-femmes, déjà patente auparavant, s’aggrave par la précarité de l’emploi des femmes, que leur secteur d’activité soit de première ou de deuxième ligne.

 

La guerre en Ukraine affecte tout le monde et en particulier les dirigeants. Elle les met en Asie en position délicate, entre autres parce que la Russie et avant elle l’Union soviétique sont de longue date parmi les 5 premiers fournisseurs d’armes et l’an dernier le 2ème, en particulier en Inde.

 

La réalité économique affecte aussi Xi Jinping [6]- Sa contradiction est bien connue. On l’a vu pour les JO tout proche de Poutine mais au même moment celui-ci entrait en Ukraine. Ils ne s’étaient pas vu depuis le début de la Covid et leur rencontre laissait présager d’une coopération géopolitique et énergétique. Les Etats-Unis constituaient un adversaire commun [7], notamment du fait de sa stratégie indo-pacifique, de sa prétention hégémonique, de l’accord AUKUS [8].

 

Mais le soutien à Moscou n’a a pas débouché sur des avancées concrètes.

 

La pression occidentale y joue un rôle et la coopération en matière de sécurité peut se passer d’une alliance militaire. La Russie ne souhaite pas être impliquée dans les conflits de la PRC en Asie et il en va de même pour celle-ci qui ne souhaite pas se mêler de l’affaire ukrainienne, fort embarrassante : d’un côté elle utilise la rhétorique de Moscou[9] mais en sens inverse, ne pouvant ignorer l’émotion soulevée en Occident, elle se réfugie dans l’accent mis sur la « résolution pacifique des conflits » car la coopération économique avec l’Occident tient chez elle une plus grande place.

 

Elle pourrait aussi importer davantage de gaz russe comme le montrent les accords récents dans l’énergie, intérêt commun mais surtout nécessaire à la Russie à la suite du conflit en Ukraine. Ils sont le fruit de longues négociations[10] et la Chine peut avoir intérêt à prendre la place laissée par les entreprises occidentales[11].

 

Comme nous l’avons écrit, la guerre affecte aussi la Thaïlande à la faveur des prochaines élections maintenant que la parenthèse de la pandémie commence à se refermer. Un nécessaire renouvellement contre le général Prayud arrivé au pouvoir grâce à un coup d’Etat, le 17 ème depuis 1932, aura lieu. Le fait que la famille Shinawatra commence à réapparaitre prouve que certaines pages récentes de l’histoire thaïlandaise pourraient bien revenir. Avec toujours cette question : quel équilibre entre le pouvoir militaire et le pouvoir civil ? Et quelle formule sera jugée le mieux compatible avec la défense de la monarchie ?

 

En Inde, bien que la guerre en Ukraine soit largement un conflit européen, l’attaque russe a aussi des répercussions. Elle s’est abstenue systématiquement aux Nations Unies et n’a pas condamné la Russie avec laquelle elle entretient pratiquement depuis l’Indépendance une relation étroite[12], notamment dans le secteur de l’armement, les derniers marchés portant sur des missiles S 400, des frégates et des fusils d’assaut et d’importants projets d’avenir étant engagés. L’Inde aussi a besoin de l’énergie russe y compris sur le nucléaire civil.

 

Elle est soutenue par la Russie dans sa demande d’élargissement du CSNU, reste un partenaire-clé des BRICS et a pu compter sur le soutien russe pour entrer dans l’Organisation de coopération (SCO) de Shanghai.

 

Mais elle a des relations de partenariat, notamment dans la Quad [13]avec les Etats-Unis qui pourraient compromettre ses engagements sur les S400.

 

Ses relations sont de longue date conflictuelles avec l’autre géant asiatique, la Chine, avec laquelle le conflit sur le Ladakh a fait au moins 20 morts indiens et 4 chinois en 2020.

 

Elle a aussi des intérêts économiques, militaires et humains[14].

 

Bref, l’Inde se réclame de la « multipolarité » car elle souhaite un bon équilibre entre la Russie et l’Occident en particulier face à la Chine.

 

Mais le face à face entre un « Islam autocratique et un Islam démocratique» illustré par l’Indonésie du Président Jokowi joue également un rôle dans la société internationale. Or le chef de l’Etat d’un pays qui compte environ 240 millions de musulmans risque d’être pris entre ces deux feux. Il a réussi à coopérer avec les Émirats pour un Islam démocratique, respectueux des droits humains et du pluralisme face à ses rigoristes qui n’ont pas désarmé.

 

Or l’Indonésie est confrontée à court terme à plusieurs défis. Elle préside en 2022 le G20 et sera face à un choix redoutable en novembre : Poutine est membre de droit, pas l’Ukraine dont Washington veut inviter le Président Zelenski. Face à ce dilemme, certains souhaitent que le G20 revienne à sa vocation première de forum économique financier, dont le président Macron vient de remettre en lumière l’objectif de sécurité alimentaire.

 

Nul ne peut prédire comment tout cela va se terminer…

 

Commentaires :

 

1/ on ne voit pas comment la Chine pourrait soutenir l’invasion d’un Etat souverain comme l’Ukraine sans fragiliser sa position sur Taïwan.

 

2/ la mondialisation, donc la place de l’Asie dans nos vies, pouvons nous y renoncer alors qu’on peut, pour ne prendre que cet exemple, manger partout chinois, lao, thaï, indien ou vietnamien ?

 

L’accent mis sur le local a de bons côtés – il vaut mieux fabriquer sur place les masques qui ont terriblement manqué au pire de la Covid – mais on ne peut jeter la mondialisation par-dessus les moulins : la sécurité alimentaire est depuis des décennies un enjeu international et la guerre l’accentue.

 

Nous avons fait le choix d’un monde ouvert. Rien n’assure que cela puisse durer, pourtant c’est ce que souhaite ce magazine lu de par le monde. Et c’est en cela qu’il se différencie de Poutine qui voudrait que le monde s’arrête aux portes du Kremlin. Il faut souhaiter que d’une manière ou d’un autre, il cesse de nuire.

 

[1] L’auteur de ces lignes ne s’exprime pas sur des sujets de politique intérieure.
[2] Selon les Etats
[3] Les prochaines élections dans ce pays sont susceptibles d’inverser la tendance.
[4] 31/7/2021
[5] Une collaboratrice de l’auteur de ces lignes
[6] Résumé d’une note d’Anna Kirneva, professeure associée au centre d’études chinoises de Moscou.
[7] Une déclaration commune annonçait une coopération sans limites. Elle réaffirmait l’appartenance de Taïwan à la PRC et pour la première fois se faisait l’écho de l’opposition russe à l’élargissement de l’OTAN.
[8] Alliance militaire tournée contre la PRC entre Etats-Unis, Australie et Royaume-Uni.
[9] L’invasion guerrière de l’Ukraine est une opération spéciale, les accords de Minsk ont été sabotés par les Etats-Unis…
[10] Un accord Rosneft-CNPC permettant à la Russie d’exporter 10 Mds t. via le Kazakhsatn en 10 ans et un accord Gazprom-CNPC donnant à la Russie la même faculté pour 10Mds m3 de gaz.
[11] Le discours du Président Zelenski stigmatisant certaines entreprises le 23 mars a été peu suivi d’effet.
[12] Renforcée par plusieurs déclarations, la dernière en 2021.
[13] Cf note 8
[14] 17 000 personnes sauvées de la guerre en Ukraine.

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