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THAÏLANDE – EXPATRIATION : Chiang Mai, ma ville

Journaliste : Michèle Jullian
La source : Gavroche
Date de publication : 03/09/2020
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Nous publions une seconde fois sur notre site cette chronique de Michèle Jullian parue dans notre magazine. Chiang Mai, je l’habite comme elle m’habite. Au jeu du j’aime-j’aime pas, je me rends compte que tout ce que je n’aime pas me manque et tout ce que j’aime m’est devenu indispensable.

 

On s’approprie une ville lorsqu’on décide d’y déposer ses valises. Une ville, pas n’importe laquelle : Chiang Mai !

 

Je la lorgnais déjà lorsque j’enseignais à Udon Thani, en Isan. Ville choisie après de multiples séjours. Quartier adopté pour son animation. Appartement acquis car vendu nu, contrairement à la majorité des condominiums proposés avec « in furniture ». Vivre à Chiang Mai sans se laisser aller à la fantaisie de ses boutiques de créateurs, sans flâner chez ses jeunes designers bourrés d’idées et de talent, sans se laisser séduire par ses artisans de Baan Tawaï et San Khampaeng… Belle hérésie ! C’est à Nimmanhaemin, dans le quartier des universités, que j’ai donc déposé mes valises il y a un peu plus de trois ans déjà.

 

Les touristes de passage à Chiang Mai choisissent, eux, la vieille ville, centre historique considéré comme la « rose du Nord ». Encore un de ces heureux slogans, tout comme Siam meuang yim,

 

« Thaïlande, pays du sourire » ! C’est vrai qu’avec ses briques rouges et son canal qui l’enlace, l’enserre, la reflète avec une complaisance paresseuse, tout comme l’accent indolent de son kham meuang – le parler du Nord – (ici on ne dit pas sawasdee kha ou khrap mais sawasdee djaaaaaaaaao), le centre ne manque pas de charme. Il protège ses temples aux clochetons dorés, ses bouddhas silencieux et ses salons de massages traditionnels. J’aime, occasionnellement seulement, cette partie de la ville qui évoque un passé glorieux, celui où, derrière ses remparts, elle était encore le joyau du royaume de Lanna… avant d’être – bonne dernière – rattachée au Siam.

 

J’aime y croiser les backpackers pressés, en quête d’un trekking dans une « tribu jamais visitée !!! », ses flâneurs du dimanche dans le Sunday market où l’on reconnaît au premier coup d’œil les nouveaux arrivants : ils n’empruntent pas le bon sens de la marche – la gauche – au milieu des étals qui encombrent les rues du centre jusque dans leur milieu. J’aime moins la rue Loï Kroh qui, du canal, conduit au Night Bazaar, le marché de nuit où même les vendeurs ne croient plus en leur marchandise et ne prennent même plus la peine de « racoler » le chaland. Loï Kroh et ses bars vulgaires, ses kathoeys accrocheurs…

 

La vie est ailleurs, dans les soïs, les bars, les restaurants de Nimmanhaemin. Cuisine fusion (le chiquissime Mix, à l’extrémité du soï 1), cuisine « organique », (le must : An Chan restaurant, après le soï 6), bars à vins, boutiques froufroutantes pour jeunesse dorée qui s’en donne à cœur joie avec un enthousiasme renouvelé chaque nuit et jusqu’au petit matin. Pulsion. Pétarades. Bohême chic. Bangkokois en quête d’une nouvelle résidence pour quand Bangkok sera définitivement inondée. Chinois, Coréens traversant toute la ville, plan en main, pour découvrir Mango Tango, la boutique la plus en vogue du quartier. Tout y est à base de mangue. Amoureux, « addicts », curieux… y photographient tout, y compris eux-mêmes.

 

La ville ancienne s’éteint dès 7 heures du soir tandis que Nimmanhaemin allume ses lampions pour fête à la bière locale. Étourdissements de musique, de bruits, de cacophonies. La rue, lieu de rendez-vous d’une jeunesse qui oublie de sourire, la « modernité », a un prix. Seuls quelques farangs continuent de saluer de waï maladroits les chauffeurs de tuk tuk et de songtheauw et s’obstinent à ânonner des « la korn » qui se transforment en « la konne » incompréhensibles, des « au revoir » que les Thaïlandais ne disent jamais. (Ils se contentent de dire : paï kawn ou paï laa « Je pars d’abord »).

 

J’aime voyager entre ces deux villes : l’ancienne, celle tournée vers le tourisme, et la nouvelle, celle tournée vers elle-même. « Celle où les jolies filles pauvres sourient aux farangs, et celle où les jolies filles riches sourient à leur miroir », me glisse une amie thaïlandaise qui tient mon coffee shop favori, le Smoothie Blue, lieu de rendez-vous de quelques intellos-écrivains-professeurs (Soï 6). J’aime l’animation sans fatigue de cette jeunesse qui se croit éternelle et elle a raison : la vie est trop courte pour l’envisager autrement que sans fin, entre officine de botox, slim beauty shop et musique techno. Éternelle et impérativement sans expression, sans ride, sans défaut, sans kilo superflu, sans marque du temps. Entre ribouldingue et défonce qui se terminent parfois en éclatements en morceaux sur le bord d’une route, à l’hôpital, ou pire.

 

Trottoirs improbables, impraticables, défoncés, traîtres que personne n’arpente en dehors de touristes aux pieds sandalés, baskettés, multisportisés, toutes marques ou copie confondues. La rue est faite pour la voiture, au pire, la moto, pas pour les jambes, les Thaïlandais ont-ils des jambes d’ailleurs ? Avant ils se déplaçaient sur l’eau, maintenant c’est sur roues. Et c’est toujours le flot. Un flot continu impossible à traverser, qui m’oblige certains soirs de fêtes à renoncer au restaurant qui se trouve de l’autre côté de la route.

 

Insouciante, affairée, bruyante, lascive, toujours en mouvement, je ne quitterais Chiang Mai pour rien au monde, trop curieuse de ses restaurants aux saveurs d’ailleurs. Je m’éloigne pourtant régulièrement d’elle, pour respirer un air moins vicié, moins pollué, surtout durant la saison chaude, vers mars, avril, mai. Pour rejoindre, en altitude, ces montagnes qui forment le plus bel écrin de verdure, de jungle autour d’elle. Pour la regretter aussitôt. Je l’habite comme elle m’habite. Et beaucoup plus encore lorsque je prends mes distances et change de continent. Loin d’elle, je rêve de la retrouver. Si c’est à ce « manque » qu’on réalise combien on aime une ville, alors oui, je l’aime avec sa cacophonie, ses clochetons, sa pollution, son désordre, son « j’m’en foutisme » dolent et délibéré, son appétit de vivre et de « profiter » des gogos comme des touristes de passage qui rêvent souvent d’y revenir. Un jour. Ou pour toujours.

 

Parce que Chiang Mai est le reflet de la vie thaïe d’aujourd’hui, orgueilleuse derrière ses remparts mais bien plus encore de ses malls à l’architecture contemporaine (centres commerciaux gigantesques en construction), parce que Chiang Mai, telle une auberge espagnole, offre et donne à chacun ce qu’il est venu y chercher : cours de massage, de Reiki, de méditation, ses lady boys, sa cuisine fusion aux saveurs lointaines et accessibles, la vision de ses moines baladeurs en quête de nourriture le matin et du meilleur smartphone l’après-midi, ses bars sordides de Loï Kroh, ses délicats artistes et designers et surtout ses aventures encore possible dans sa jungle de verdure qui la protège de façon naturelle et immuable. Pour combien de temps encore ?

 

Michèle Jullian

 

Michèle Jullian est l’auteur du roman « Là où s’arrêtent les frontières » aux Éditions de la Frémillerie.

 

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